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point aperçue que par là clle ruinait de fond en comble la discipline, la discipline, principe essentiel, sans lequel nulle armée permanente n'est possible, principe qui signifie l'absence de tout droit, l'abdication de toute volonté, l'anéantissement de toute dignité, la servitude façonnée à l'exercice de la tyrannie. Or, ce n'est pas impunément que, parmi des hommes accoutumés à servir d'instruments aveugles aux jeux de la force, on ouvre les chemins à l'esprit de révolte. Si une multitude non enrégimentée et sans armes ne laisse pas que d'être terrible lorsqu'elle entre en fureur, que serace d'une multitude ayant aux ordres de son délire des mousquets chargés, et la science, l'habitude, le goût de la destruction? Malheur à tous, dès que dans ces corps obéissants un cœur soudain se révèle et se met à frémir! Malheur à tous et aux soldats eux-mêmes, dès que ces machines s'avisent enfin de savoir qu'elles sont des hommes ! Il n'est pas alors jusqu'au maître qui ne doive frissonner d'épouvante. A Rome, les soldats reçurent, avec le pouvoir de faire des empereurs, celui de les égorger, et ceux qui posèrent une couronne sur la tête d'Othon venaient de la ramasser dans le sang de Galba!

Quoi qu'il en soit, il est certain que, dès les premiers jours, la Révolution était entrée dans l'armée. Qu'on se reporte à l'époque de la prise de la Bastille. Ici, ce sont les gardes françaises qui figurent à la tête du peuple; là, c'est le régiment suisse de Châteauvieux qui refuse de marcher. Royal-Allemand ne refuse pas, lui; mais à la contenance morne des soldats, à leur regard découragé, comme l'abattement de leur âme se devine!

A dater de ce moment, l'esprit révolutionnaire, communiqué de proche en proche par la conversation, propagé par le contact, volant sur l'aile des gazettes, et mêlé, pour ainsi dire, à l'air que chaque soldat respirait, alla envahissant toutes les casernes, depuis Paris jusqu'à la dernière des villes de garnison. Les journaux pénétrant de mille côtés divers dans les chambrées, non-seulement on les lut avec avidité, mais on fut tenté de l'ambition d'y écrirc, D'ardents

émissaires parcoururent les régiments; il s'y forma des associations patriotiques, des comités directeurs; il en partit des pétitions et des remontrances; les mécontentements anciens ou nouveaux, les injustices journalières, les rancunes jalouses, les soupcons, s'y amassèrent comme autant de nuages recélant la foudre; en un mot, du service de la tyrannie, la force organisée se disposa manifestement à passer au service de la sédition.

Les griefs, comme on le pense bien, ne pouvaient manquer; mais il en était un qui dominait tous les autres : cette Révolution que les soldats aimaient, les officiers, par une suite naturelle de leur naissance et de leur position, l'avaient en horreur. Ceux-ci appartenaient à l'ordre des nobles; il était difficile qu'ils ne regrettassent point un régime sous l'empire duquel on devait, pour être lieutenant, justifier de quatre degrés de noblesse 1. A la vérité, les vieux officiers enveloppaient leur dépit d'une réserve silencieuse, prudente; mais chez les plus jeunes, il éclatait à tout moment, et avec une imprudence fatale. Toutefois, dans les armes savantes et méditatives, dans l'artillerie, dans le génie, l'attachement à la Révolution prévalait, même parmi les officiers. Étrange effet de l'âge et des circonstances! De ces derniers, celui qui paraissait avoir le plus vivement embrassé le culte nouveau, c'était un jeune lieutenant d'artillerie auquel la fortune réservait une place à part dans l'histoire. Est-il besoin de dire son nom ? Relégué à Auxonne, où son régiment tenait garnison, et où il occupait, à côté de son frère Louis, une misérable petite chambre aux murailles nues 2, Bonaparte laissait alors aller son cœur à l'amour passionné de cette même Révolution que son destin était d'étouffer un jour, et apôtre fervent de la liberté, adorateur de l'indépendance de la Corse, que Buttafuoco avait livrée, il s'occupait à écrire contre son

1 Dampmartin, Événements qui se sont passés sous mes yeux pendant la

Révolution.

2 Carlyle, The French Revolution, vol. II, book II, chap. II, p. 93. Se▾ cond edition.

compatriote une brochure toute pleine d'enthousiasme patriotique 1. Mais, dans les corps qui n'étaient pas l'artillerie et le génie, les sentiments de Bonaparte étaient loin d'être ceux des jeunes officiers. Animés contre l'ordre nouveau d'une haine à laquelle ils donnaient volontiers les allures du courage, ils ne se contentaient pas de la répandre en propos insultants ou moqueurs, ils la faisaient passer dans les détails du service, d'autant plus durs à l'égard du soldat, qu'en le frappant, ils le punissaient du crime de se croire. leur égal.

Ainsi, les colères s'accumulaient, et quand vint s'y joindre l'indignation causée par la désertion des chefs, par leur connivence avec l'étranger, elles ne connurent plus de bornes.

Mais, pour qu'une idée générale soulève les masses, il faut qu'elle se vienne confondre avec un objet particulier qui la rende palpable en quelque sorte et vivante. Les soldats détestèrent bien mieux encore la contre-révolution, quand elle leur apparut sous les traits hideux du péculat, et l'agitation alors devint formidable.

« Il existait dans les états-majors, écrit Loustalot, unc sorte de rapine indigne de quiconque porte le nom d'officier, une espèce de brigandage connu sous le nom de retenue. Par des mémoires fidèles, qui nous ont été transmis, nous apprenons que cette manière de voler (quel autre nom peut-on lui donner?) avait enlevé au régiment de Beauce. deux cent quarante mille sept cent vingt-sept livres; c'est à quoi se monte l'état que les soldats en ont fait 2. »

Le feu prit, en Lorraine, à Nancy. Cette ville avait gardé, de la résidence de ses ducs et du somptueux séjour de Stanislas, des habitudes qui l'éloignaient de la Révolution. Le duc Léopold y avait prodigué les lettres de noblesse, et tout n'y était que priviléges. La municipalité y était si ouvertcment contre-révolutionnaire, qu'au mois d'avril 1790, elle

1 Voyez cette lettre dans la Revue du Progrès, t. V, 6e livraison. Révolutions de Paris, no 57.

avait déclaré séditieux un arrêté de la garde nationale relatif à la Fédération 1. Mais là, d'un autre côté, là plus que partout ailleurs, peut-être, grondait l'esprit jacobin. La société-mère de Paris y entretenait d'ardentes succursales; la puissance des idées jeunes y résidait dans les classes non encore affranchies, et les soldats y faisaient cause commune avec le peuple.

Trois régiments, à cette époque, tenaient garnison à Nancy un de cavalerie, Mestre-de-Camp; deux d'infantcric, Châteauvieux, et le Régiment-du-Roi.

Or, les cavaliers de Mestre-de-Camp se trouvaient acquis sans réserve à la Révolution. Il en était de même des Suisses de Châteauvieux, Français du pays de Vaud et du lac de Genève, qui, lors de la prise de la Bastille, avaient refusé de tirer sur le peuple, et qui, depuis, étaient chers au parti patriote.

Quant au Régiment-du-Roi, il comptait au nombre des corps favorisés. Ses priviléges étaient immenses et, sous certains rapports, plus honorifiques encore que ceux des gardes françaises. Il était le seul de tous les régiments qui fût resté à quatre bataillons, depuis le dédoublement qu'avait opéré le comte de Saint-Germain. Outre les officiers par compagnie, qui alors existaient dans chaque corps, le Régiment-du-Roi avait quatre sous-lieutenants par compagnie, ce qui formait une masse de deux cents officiers, dont la moitié n'avaient pas vingt ans. Choisis parmi les premières familles de la noblesse, ils avaient tous le privilége de passer soit capitaine dans n'importe quelle arme, soit major en second, soit colonel en second ou même colonel, dès qu'ils atteignaient l'âge requis par les ordonnances 2. La composition des soldats de ce régiment ne tranchait pas d'une manière moins marquée avec celle du reste de l'armée.

1 Rapports des comités réunis militaires, des rapports et des recherches sur l'affaire de Nancy, par Sillery, imprimés par ordre de l'Assemblée nationale, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. NANCY, 326, 7, 8.

British Museum.

2 Relation manuscrite de l'affaire de Nancy.

On les admettait à fréquenter des cours de mathématiques, de fortification, institués pour les officiers et que ceux-ci étaient assujettis à suivre. Ces avantages et la beauté de l'uniforme attiraient dans le Régiment-du-Roi beaucoup de jeunes gens de la classe bourgeoise, dont quelques-uns trèsriches. D'après cela, on aurait pu croire ce corps entièrement dévoué à la cour, et elle l'avait si bien cru elle-même, qu'elle avait eu la pensée de l'appeler à Paris, après la défection des gardes françaises1. Mais pas plus que Mestre de-Camp, pas plus que Châteauvieux, le Régiment-du-Roi ne devait échapper à la contagion. Au mois de septembre 1789, des inconnus, qu'on supposa être des émissaires du duc d'Orléans, avaient paru à Nancy : Théroigne de Méricourt les suivit de près 2, et n'essaya pas sans succès, diton, auprès des soldats, le pouvoir d'un apostolat servi par de doux regards et des paroles brûlantes.

Ce qui est certain, c'est que les soldats du Régiment-duRoi ne tardèrent pas à donner des preuves d'insubordination. Quelques semaines s'étaient à peine écoulées depuis la prise de la Bastille, que déjà ils demandaient en tumulte la liberté des portes et l'exemption de l'appel de quatre heures. Les officiers refusèrent d'abord, puis cédèrent : faiblesse imprudente, premier ébranlement donné à la discipline, qui meurt si elle cesse un instant d'être écrasante et inexorable! Au mois d'avril 1790, nouveau soulèvement. Les soldats s'opposent à ce que M. de Lorenzie, lieutenantcolonel, prenne le commandement du régiment, parce que c'était un homme inflexible et rude. Il fallut recourir à des mesures sévères, et, à cette occasion, trente-cinq soldats furent congédiés avec des cartouches jaunes, c'est-à-dire infamantes 1.

Malheureusement, loin de se conduire de manière à conjurer le péril, les jeunes officiers semblaient prendre à tâche

1 Relation manuscrite de l'affaire de Nancy.

2 Ibid.

8 Rapport de Sillery, p. 9.

4 Ibid., p. 11,

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