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l'Assemblée constituante n'osa pas ouvertement braver la superstition. Un des députés avancés, Rewbell, représentant de l'Alsace, dit qu'il ne répondait point de la tranquillité de sa province, si la proposition était adoptée. Heureux de trouver un auxiliaire dans les passions du peuple, le clergé voulut que l'on divisât la proposition, qu'on l'accueillit pour les protestants, qu'on la rejetât pour les comédiens et les juifs. Mirabeau, voyant que le fanatisme allait l'emporter sur la raison et sur la justice, demanda l'ajournement. C'était donner gain de cause au droit, car il était impossible qu'une révolution faite au nom de l'égalité consacrât l'ilotisme d'une partie de la nation. Au mois de mai 1791, les juifs domiciliés à Paris s'adressèrent à la municipalité, pour obtenir sa protection auprès de l'assemblée. Cet appui pouvait-il leur manquer, alors que Bailly était maire? La pétition de 1791 a un tout autre caractère que celle de 89: deux années de liberté avaient suffi pour changer les esclaves en hommes.

« L'esclavage religieux des juifs vient de cesser, disent les pétitionnaires, mais leur esclavage civil dure encore, et cependant s'ils ont reçu de la loi le droit d'élever des synagogues, peuvent-ils ne pas recevoir d'elle aussi le titre et les droits de citoyen? Peuvent-ils être citoyens dans leurs synagogues seulement, et hors de là étrangers ou esclaves? C'est parce qu'ils pratiquaient un culte proscrit par une religion dominante, qu'ils étaient proscrits eux-mêmes, et réduits à un état de nullité et d'abjection. Mais leur culte est élevé à la hauteur des autres par le système universel, non de tolérance, mais de justice qui doit régner chez un peuple libre et éclairé. Où pourrait donc être maintenant la raison de séparer leur état civil de celui des autres citoyens? Il ne doit y avoir de différence entre les hommes de différentes religions que dans l'exercice de leur culte; hors de là, on ne voit et l'on ne doit voir que des citoyens. S'il est un culte que la nation ait voulu payer, parce qu'il tient à la croyance du plus grand nombre, dit M. Talleyrand, il n'en est aucun hors duquel elle ait voulu, elle ait pu déclarer qu'on ne serait pas citoyen et, par conséquent, habile à toutes les fonctions. S'il en était autrement, ce seraient les religions qui donneraient les droits civils; et ce n'est que la naissance ou le domicile qui peuvent les donner. Il s'ensuivrait aussi que, s'il y avait une religion dans laquelle on ne

pourrait pas être citoyen, tandis qu'on le serait dans toutes les autres, celles-ci seraient des religions dominantes, et aucune ne peut en dominer une autre, toutes ont des droits égaux... Si on refusait aux juifs l'état civil, parce qu'ils sont juifs, on les punirait donc d'être nés dans leur religion; et dès lors la liberté des religions et des cultes n'existerait vraiment pas, puisque la nullité ou la perte de l'état civil serait attachée à l'exercice de cette liberté. Ah! certes, en élevant les hommes à la liberté religieuse, on a entendu les élever tous aussi à la liberté civile; il ne peut point y avoir de demi-liberté, comme il n'y a point de demi-justice (1). »

Il n'y avait rien à répondre à ces raisons. Le corps municipal de Paris décida qu'il mettrait sous les yeux de l'Assemblée la requête des juifs et le vœu de la municipalité tendant à ce que la loi étendît aux juifs les principes bienfaisants que le législateur avait consacrés sur la liberté des opinions religieuses. Au mois de septembre de 1791, dans une des dernières séances de la Constituante, Dupont renouvela la proposition faite en 89 par ClermontTonnerre. « Je crois, dit-il, que la liberté des cultes ne permet plus qu'aucune distinction soit mise entre les citoyens à raison de leur croyance. La question de l'existence politique des juifs a été ajournée; cependant les Turcs, les musulmans, les hommes de toutes les sectes, sont admis à jouir en France des droits politiques. Je demande que l'ajournement soit révoqué, et qu'il soit décrété que les juifs jouiront en France des droits de citoyen actif. >> La motion fut accueillie par des applaudissements. Quand Rewbell demanda à la combattre, Regnault s'écria qu'il fallait rappeler à l'ordre tous ceux qui parleraient contre la proposition, parce que c'était la constitution elle-même qu'ils combattaient. La proposition fut adoptée sans débat (2).

Nous nous sommes arrêté longuement sur un décret qui aujourd'hui est si bien entré dans nos mœurs que nous n'en comprenons même plus la gravité. L'Assemblée nationale n'en a point rendu de plus important. On invoque toujours dans les sermons, dans les ouvrages de polémique religieuse, les juifs comme té

(1) Moniteur du 16 juin 1791. (2) Ibid. du 29 septembre 1791.

moins de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ; ils sont donc appelés à témoigner pour la divinité du Christ, pour la révélation. Mais, pour qu'ils soient témoins, il faut qu'ils portent toujours le sceau de l'horrible crime de leurs ancêtres déicides. Il leur est permis de se perpétuer, à condition de rester frappés de malédiction errants, sans patrie, sans domicile, sans droit, esclaves des chrétiens, telle est leur destinée jusqu'à la consommation des siècles. Voilà ce qu'ont dit les Pères de l'Église, voilà ce qu'ont décrété les papes et les conciles, voilà ce qu'ont répété encore Pascal et Bossuet. C'est déjà une réunion d'imposantes autorités, mais ce n'est pas tout; ceux qui condamnent les juifs à une servitude éternelle invoquent l'Écriture sainte. Ainsi Dieu même aurait voué les juifs à une existence ignominieuse, pour les punir tout ensemble et pour qu'ils servent de témoins à son Fils. Enfin il y a des prophéties qui viennent confirmer cette sentence. Eh bien, prophéties, Ecriture sainte, conciles, papes et Pères de l'Église, toutes ces autorités, et il n'y en a point de plus sacrées, toutes se sont trompées. La servitude perpétuelle a cessé; la Révolution y a mis fin pour toujours. Elle a mis fin aussi à la révélation; la révélation s'en va avec les témoins qui l'attestent, elle s'en va avec les prophéties et les livres saints, convaincus d'erreur. Voilà ce qu'a fait l'Assemblée nationale, en émancipant les juifs du joug de l'intolérance chrétienne. Ce n'est pas dans de vaines prophéties, ni dans de vaines Écritures que se trouve la parole de Dieu; la voix de l'humanité, la voix des peuples, telle est la voix de Dieu.

CHAPITRE II

CLARISATION DE LA RELIGION

§ 1. La Révolution et la Religion

No 1. L'Assemblée constituante.

La liberté religieuse implique la séparation de la religion et de l'État, en ce sens qu'il n'y a plus de religion dominante. Mais, de ce que tous les cultes sont libres, il ne suit pas nécessairement que l'État ne puisse se mêler d'aucune religion, qu'il doive rester étranger à tout culte.¡On réclame aujourd'hui la séparation complète de la religion et de l'État; les partisans de la démocratie prétendent que la Convention inaugura ce système, et que la constitution de l'an III le consacra. I importe de rétablir la réalité des faits. Il est très vrai que le principe de la liberté religieuse, proclamé par l'Assemblée, nationale, ne nous donne pas le dernier mot de la Révolution. Pour comprendre les diverses phases de l'ère révolutionnaire, dans ses rapports avec la religion, il ne faut point perdre de vue que la Révolution procède de la philosophie du dix-huitième siècle, et que la philosophie fut hostile, non seulement au catholicisme, mais au christianisme et à toute religion révélée. Les historiens de cette époque mémorable n'ont point fait ressortir ses tendances religieuses; quand on les lit, on croirait que la Révolution fut exclusivement politique, et que les débats religieux ne furent qu'un accident provoqué imprudemment par le décret sur la constitution civile du clergé. C'est donner de la Révolution une idée fausse, parce qu'elle est incomplète. Il

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eût fallu un miracle, pour que la Révolution française restat étrangère à la religion. La philosophie, dont elle s'inspira, était un mouvement religieux bien plus que politique. Et l'on veut que les disciples de Voltaire et de Rousseau soient restés indifférents à des questions qui avaient tant préoccupé leurs maîtres!

L'opposition du dix-huitième siècle contre le catholicisme était une véritable haine. Voltaire s'était donné pour mission d'écraser l'infâme; nous avons dit ailleurs que l'hostilité des libres penseurs devint de plus en plus passionnée, à mesure que l'on approcha de 89 (1). On ne voulait rien moins que la destruction du christianisme, et l'on croyait que le temps approchait où cette œuvre serait chose facile. Les philosophes se faisaient illusion: la décadence des vieilles religions était évidente, mais, de là à leur fin prochaine, il y avait loin. Ils se trompèrent surtout sur le caractère de la révolution qui devait consommer la ruine du christianisme. Comme les peuples restaient attachés à leurs croyances superstitieuses, les philosophes s'adressèrent aux princes; ils ne voyaient pas que le pouvoir des rois s'en allait aussi bien que celui des prêtres, et qu'au besoin la royauté s'allierait avec le sacerdoce pour sauver l'édifice du passé. La Révolution se fit par le peuple et non par les rois. Cela bouleversa toutes les prévisions, et cela n'allait-il pas déranger tous les calculs? Un écrivain, catholique tout ensemble et révolutionnaire, disait en 89 que la France était catholique jusqu'à la moelle des os (2). Est-ce qu'une nation catholique pouvait démolir le catholicisme?

Que les couches inférieures de la société fussent catholiques, surtout dans les campagnes, nous le croyons volontiers. Mais ce n'est pas de là que partit la Révolution. Ce furent les trois ordres qui élurent les députés des états généraux. Nous laissons le clergé de côté; tout déchu, tout incrédule qu'on le suppose, il ne pou vait pas se suicider; l'incrédulité d'ailleurs ne gagna que les hauts prélats, les vrais travailleurs restèrent croyants. Les nobles étaient profondément imbus des doctrines philosophiques de leur siècle; mais, pour des motifs politiques que chacun sait,

(1) Voyez le t. XII de mes Etudes sur l'histoire de l'humanité.

(2) L'abbé Fauchet, la Religion nationale, pag. 11: Depuis quinze siècles, la religion catho'ique est nationale en France. Il ne serait pas aussi facile que quelques-uns aiment à le penser d'amener la nation française à un grand changement légal sur la religion,

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