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LIVRE PREMIER,

L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

CHAPITRE PREMIER

LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

§ 1. Les prétentions du catholicisme

I

L'ère nouvelle inaugurée par la Révolution est religieuse, autant que politique. Que la société politique ne soit plus ce qu'elle était avant 89, on ne le pourrait nier, sans nier la lumière du jour. Si les notions des droits de l'homme, de la mission et des devoirs de l'État ont changé complétement, se pourrait-il que les idées religieuses fussent restées les mêmes? Il y a un fait éclatant qui prouve le contraire, c'est la liberté de conscience inscrite dans nos constitutions, non plus sous forme de tolérance, mais comme un de ces droits innés à l'homme, dont l'État ne peut le dépouiller, qu'il doit, au contraire, garantir. Avant 89, la tolérance même était bannie des pays catholiques par excellence, de la France, de l'Espagne, de l'Italie; en Allemagne, dans la patrie de la réforme, elle n'était admise que pour certaines confessions et dans des limites très étroites. Aujourd'hui l'homme jouit de la liberté de penser la plus illimitée dans la plupart des pays où, avant la Révolution, on ne tolérait pas un culte dissident. Ce changement si radical n'aurait-il pas une signification religieuse?

Après tout ce que nous avons dit de l'intolérance, la question peut à peine être posée. S'il est vrai que l'intolérance tient à l'essence de la révélation, s'il est certain que la liberté religieuse est la négation de la révélation chrétienne, la société qui proclame la liberté de penser, qui reconnaît à toute personne le droit de professer un culte quelconque, même de n'en pratiquer aucun, ne croit évidemment plus qu'il n'y a qu'une seule religion vraie, le christianisme traditionnel; elle ne croit plus que le premier devoir des souverains soit de protéger le catholicisme et de punir ceux qui l'attaquent, de ramener, fût-ce par la force, dans le sein de l'Église, ceux qui la désertent. Elle ne croit donc plus ce que croyait saint Augustin, ce que croyait Bossuet; sa foi a changé. La révélation n'est plus une vérité absolue, elle n'existe plus qu'à titre d'hypothèse ou de fait; mais les faits contraires ont absolument la même légitimité : le judaïsme qui nie le christianisme, les sectes réformées qui nient le catholicisme, la philosophie qui nie toute religion surnaturelle, sont placés sur la même ligne. Et on dira que cet état de choses n'implique point un changement profond dans les croyances!

Vainement les catholiques qui prétendent allier le catholicisme et la liberté, font-ils une distinction entre la tolérance religieuse et la tolérance civile, leur doctrine est une espèce d'hérésie, ils font secte au sein de l'Église catholique le pape les a répudiés dans la personne du plus illustre défenseur de ces idées, et les hommes convaincus, les esprits logiques, les croyants de vieille roche, les repoussent également. L'histoire, témoin irréprochable, quand on lui laisse dire la vérité, réduit à néant toutes ces distinctions imaginées pour le besoin de la cause. Elle nous apprend qu'avant 89, le catholicisme a été intolérant, persécuteur, partout où il en a eu le pouvoir; elle nous apprend qu'il ne s'est pas contenté de l'intolérance dogmatique, qu'il a, dans tous les temps et dans tous les pays, fait une loi aux princes de réprimer les sectes dissidentes, même par la violence, même par le fer et par le feu. Il n'est pas plus possible de séparer l'intolérance civile de l'intolérance dogmatique, qu'il n'est possible de séparer les principes des conséquences qui en découlent. Nous avons un dernier témoignage à produire contre l'Église c'est sa doctrine, ce sont ses actes pendant la Révolution française. La liberté reli

gieuse, comme toutes nos libertés, date de 89. On prétend aujourd'hui que l'Église s'est associée aux conquêtes légitimes de la Révolution, qu'elle n'a condamné que les excès. Que dis-je? on célèbre le catholicisme comme ayant pris l'initiative du mouvement libéral qui agite l'Europe. Nous avons déjà répondu à cette apologie, pour ce qui concerne les libertés politiques; l'altération de la vérité est plus évidente encore pour ce qui regarde la liberté religieuse. L'Église peut, à la rigueur, accepter la liberté politique, là où son influence lui permet de s'en faire un instrument de domination. Jamais elle n'acceptera franchement la liberté religieuse, son dogme et sa tradition le lui défendent. N'est-elle pas une et immuable par essence? Comment donc pourrait-elle approuver aujourd'hui ce que toujours et partout elle a condamné?

II

Les états généraux sont convoqués. Un magnifique élan emporte la France. Les électeurs des trois ordres se réunissent; ils dressent leurs cahiers. Que demande le clergé? Son premier væu, et il est unanime, « c'est que la nation conserve inviolablement sa religion nationale, laquelle doit seule avoir l'exercice public de son culte.» Le clergé a soin d'ajouter que cette religion nationale est la religion catholique, apostolique et romaine: « Il regarde, dit-il, comme une loi fondamentale du royaume, que la religion catholique, la seule véritable, soit la seule reçue en France. » Le clergé de Paris formula ses désirs dans un article impératif, qui tendait au maintien de tout l'ancien ordre de choses; à ses yeux, le dix-huitième siècle, la philosophie, l'indifférence, l'incrédulité étaient comme non avenues: « La religion catholique, apostolique et romaine, la seule vraie, la seule religion de l'État, dont les principes sont si intimement liés au maintien de l'autorité et au bonheur des peuples, sera conservée dans toute son intégrité, et à elle seule appartiendra l'exercice du culte extérieur et public, à l'exclusion de toute autre (1). » C'est l'union du trône et de l'autel que les hauts prélats avaient invoquée pendant tout le dix-huitième siècle, comme l'ancre

(1) Résumé général des cahiers, t. I, pag. 8, 9.

du salut pour la royauté et pour l'Église. Les aveugles! Cette fatale union faisait de l'État l'instrument de l'intolérance catholique, tandis que le premier droit que la Révolution inscrivit sur son drapeau, fut celui de la liberté de penser. Demander en 89 le maintien de l'ancien ordre de choses, l'intégrité de l'établissement catholique et lier les destinées de la royauté à celles de l'Église, c'était montrer une inintelligence complète des besoins nouveaux de la société, c'était courir au devant de l'abîme!

Le catholicisme a toujours confondu l'Église avec la religion; pour lui l'Église est aussi sacrée que le dogme. Si cette solidarité avait été pendant l'époque de violence et de force brutale qu'on appelle moyen âge, une sauvegarde pour la religion, il n'en était plus de même à la fin du dix-huitième siècle. Ce qui avait été une garantie, devenait un danger; la société ne voulait plus à aucun prix la domination de l'Église, et l'Église ne voulait pas, elle ne pouvait pas renoncer à son prétendu pouvoir spirituel ; or, ce pouvoir implique une action plus ou moins étendue sur le temporel, elle implique surtout l'intolérance civile aussi bien que l'intolérance religieuse. Cependant, en 89, le clergé demande que l'on maintienne toutes les lois et ordonnances reçues dans le royaume, qui en forment le droit public, ecclésiastique et canonique (1). C'était demander l'exécution de l'édit de Louis XIV qui révoqua l'édit de Nantes, alors que déjà avant 89 la royauté absolue avait été obligée par la pression de l'opinion publique de rendre aux réformés la liberté civile, dont les déclarations odieuses du grand roi les avaient privés.

Il fallait être frappé de l'aveuglement qui caractérise la décrépitude, pour ne pas voir que l'édit de 1787 était un premier pas vers une liberté complète. La liberté religieuse la plus absolue allait être proclamée, et le clergé trouvait que l'édit de 1787 donnait trop aux protestants! Il ne leur rendait que l'état civil; il ne leur permettait que de naître, de vivre, de se marier et de mourir! Le clergé demanda que l'édit fût révoqué, comme (contraire aux lois ecclésiastiques; ou que du moins il fût révisé, interprété et modifié, conformément aux principes établis dans les remontrances de l'Assemblée générale de 1788 (2). On va voir quelle liberté

(1) Résumé général des cahiers, t. I, pag. 34.

(2) Idem, itid., pag. 75.

375 auraient eue les réformés, si l'on avait fait droit aux exigences du clergé. D'abord il ne veut point que les protestants puissent aspirer à des offices de judicature, réservés par les lois, à ceux-là seulement qui professent la religion du prince; puis il demande que les choses soient remises en l'état où elles étaient sous le règne de Louis XIV (1). Voilà l'idéal du clergé : la législation de Louis XIV, flétrie pendant un siècle par tout ce que la France possédait d'esprits éminents! Qu'importe au clergé? Il ne connaît que les lois ecclésiastiques qui sont pour lui la vérité absolue. C'étaient de belles lois que les lois de l'Eglise! En voici un échantillon. On lit dans les cahiers du clergé : « C'était une loi toujours observée dans le royaume que les protestants fissent baptiser leurs enfants dans les églises paroissiales. Les députés insisteront sur le rétablissement de cette loi (2).

C'est ainsi que l'Église gallicane comprenait la tolérance. Cependant cette église était à moitié révolutionnaire; elle comptait dans son sein une minorité ardente, prête à donner la main, non seulement aux hommes de 89, mais aux idées de 92 et de 93. Il y avait des républicains parmi le bas clergé; ces républicains ne comprenaient pas encore en 89 la plus naturelle, la plus légitime des libertés, la liberté religieuse. Dans toute la France catholique, il ne se trouva que douze bailliages qui voulurent bien reconnaître à la nation le droit d'accorder, si elle le jugeait convenable, la tolérance civile aux sectes religieuses; mais ces libéraux tonsurés se hâtaient d'ajouter, qu'ils entendaient néanmoins ne leur accorder jamais l'exercice public de leur culte (3). Ainsi la tolérance civile du culte protestant consistait à ne pas exercer ce culte. Défions-nous des abbés démocrates; la démocratie n'est pour eux qu'un instrument; la seule liberté qu'ils comprennent, c'est celle de l'Église, et la liberté de l'Église veut dire la servitude de l'État, et l'asservissement des consciences.

Il y avait au début de la Révolution un abbé démocrate, dont la parole vive et enthousiaste était vivement applaudie par les hommes de 89. Les révolutionnaires étaient hostiles au catholicisme, parce qu'ils voyaient la religion alliée de la monarchie

(4) Résumé général des cahiers, t. I, pag. 76.

(2) Idem, ibid., pag. 77.

(3) Idem, ibid., t. I, pag. 74 et 361.

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