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Puifque je ne vous y ai point vu, vous jugerez aisément que je n'ai vu pėrsonne. Je ne cherchais 1726. qu'un feul homme que l'inftinct de fa poltronnerie a caché de moi (*), comme s'il avait deviné que je fuffe à fa pifte. Enfin, la crainte d'être découvert m'a fait partir plus précipitamment que je n'étais venu. Voilà qui eft fait, mon cher Thiriot; il y a grande apparence que je ne vous reverrai plus de ma vie. Je fuis encore très-incertain fi je me retirerai à Londres. Je fais que c'est un pays où les arts font tous honorés et récompenfés, où il y a de la différence entre les conditions; mais point d'autre entre les hommes que celle du mérite. C'eft un pays où on pense librement et noblement, fans être retenu par aucune crainte fervile. Si je fuivais mon inclination, ce ferait là que je me fixerais, dans l'idée feulement d'apprendre à penfer. Mais je ne fais fi ma petite fortune, très-dérangée par tant de voyages, ma mauvaise santé, plus altérée que jamais, et mon goût pour la plus profonde retraite, me permettront d'aller me jeter au travers du tintamarre de Witheall et de Londres. Je fuis très-bien recommandé en ce pays-là, et on m'y attend avec affez de bonté; mais je ne puis pas vous répondre que je faffe le voyage. Je n'ai plus que deux chofes à faire dans ma vie, l'une de la hasarder avec honneur dès que je le pourrai, et l'autre de la finir dans l'obscurité d'une retraite qui convient à ma façon de penfer, à mes malheurs et à la connaiffance que j'ai des hommes.

J'abandonne de bon cœur mes penfions du rol

(*) Le chevalier de Rohan.

Correfp. générale.

Tome I. E

et de la reine, le feul regret que j'ai eft de n'avoir 1726. pu réuffir à vous les faire partager. Ce ferait une confolation pour moi dans ma folitude de penfer que j'aurais pu, une fois en ma vie, vous être de quelque utilité; mais je fuis deftiné à être malheureux de toutes façons. Le plus grand plaifir qu'un honnête homme puiffe reffentir, celui de faire plaisir à fes amis, m'eft refusé.

Je ne fais comment madame de Bernières pense à mon égard.

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Prendrait-elle le foin de raffurer mon cœur

Contre la défiance attachée au malheur?

Je refpecterai toute ma vie l'amitié qu'elle a eue pour moi, et je conferverai celle que j'ai pour elle. Je lui fouhaite une meilleure fanté, une fortune rangée, bien du plaifir, et des amis comme vous. Parlez-lui quelquefois de moi. Si j'ai encore quelques amis qui prononcent mon nom devant vous, parlez de moi fobrement avec eux, et entretenez le fouvenir qu'ils veulent bien me conferver.

Pour vous, écrivez-moi quelquefois, fans examiner fi je fais exactement réponse. Comptez fur mon cœur plus que fur mes lettres.

Adieu, mon cher Thiriot; aimez-moi malgré l'abfence et la mauvaise fortune.

LETTRE X X X I.

A MADAME

LA PRESIDENTE DE BERNIERES.

JE

A Londres, 16 octobre.

E n'ai reçu qu'hier, Madame, votre lettre du 3 de septembre dernier. Les maux viennent bien vîte, et les confolations bien tard. C'en eft une pour moi très-touchante que votre fouvenir la profonde folitude où je fuis retiré ne m'a pas permis de la recevoir plutôt. Je viens à Londres pour un moment; je profite de cet instant pour avoir le plaifir de vous écrire, et je m'en retourne fur le champ dans ma retraite.

Je vous fouhaite du fond de ma tanière une vie heureuse et tranquille, des affaires en bon ordre, un petit nombre d'amis, de la fanté, et un profond mépris pour ce qu'on appelle vanité. Je vous pardonne d'avoir été à l'opéra avec le chevalier de Rohan, pourvu que vous en ayez fenti quelque confufion.

Réjouiffez-vous le plus que vous pourrez à la campagne et à la ville. Souvenez-vous quelquefois de moi avec vos amis, et mettez la conftance dans l'amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que ma destinée me rapprochera un jour de vous. Laiffez-moi espérer que l'absence ne m'aura point entièrement effacé dans votre idée, et que je pourrai

1726.

retrouver dans votre cœur une pitié pour mes mal1726. heurs, qui du moins reffemblera à l'amitié.

La plupart des femmes ne connaiffent que les paffions ou l'indolence, mais je crois vous connaître affez pour efpérer de vous de l'amitié.

Je pourrai bien revenir à Londres inceffamment, et m'y fixer. Je ne l'ai encore vu qu'en passant. Si à mon arrivée j'y trouve une lettre de vous, je m'imagine que j'y pafferai l'hiver avec plaifir, fi pourtant ce mot de plaifir eft fait pour être prononcé par un malheureux comme moi. C'était à ma fœur à vivre, et à moi à mourir; c'est une méprise de la deftinée. Je fuis douloureufement affligé de fa perte : vous connaissez mon cœur, vous favez que j'avais de l'amitié pour elle. Je croyais bien que ce ferait elle qui porterait le deuil de moi. Hélas! Madame, je fuis plus mort qu'elle pour le monde, et peut-être pour vous. Reffouvenez-vous du moins que j'ai vécu avec vous. Oubliez tout de moi, hors les momens où vous m'avez affuré que vous me conferveriez toujours de l'amitié. Mettez ceux où j'ai pu vous mécontenter au nombre de mes malheurs, et aimez-moi par générofité, fi vous ne pouvez plus m'aimer par goût.

Mon adresse chez milord Bolingbroke, à Londres.

LETTRE X X X I I.

A M. ***. (7)

DANS ce pays-ci comme ailleurs il y a beaucoup de cette folie humaine qui confifte en contradictions. Je comprends dans ce mot les usages reçus tout contraires à des lois qu'on révère. Il femble que, chez la plupart des peuples, les lois foient précifément comme ces meubles antiques et précieux que l'on conferve avec foin, mais dont il y aurait du ridicule à fe fervir.

Il n'y a, je crois, nul pays au monde où l'on trouve tant de contradictions qu'en France. Ailleurs les rangs font réglés, et il n'y a point de place honorable fans des fonctions qui lui foient attachées. Mais en France un duc et pair ne fait pas feulement la place qu'il a dans le parlement. Le préfident eft méprifé à la cour, précisément parce qu'il possède une charge qui fait fa grandeur à la ville. Un évêque prêche l'humilité (fi tant eft qu'il prêche), mais il vous refufe fa porte fi vous ne l'appelez pas Monfeigneur. Un maréchal de France, qui commande cent mille hommes, et qui a peut-être autant de vanité que l'évêque, fe contente du titre de Monfieur. Le chancelier n'a pas l'honneur de manger avec le roi, mais il précède tous les pairs du royaume.

(7) Ce fragment femble avoir fait partie d'une lettre écrite d'Angle

terre.

1727.

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