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A peine a-t-il cette lettre entre les mains, qu'il 1736. fent qu'il a contre moi un avantage, et alors il me fait propofer doucement de lui donner mille écus, ou qu'il va me dénoncer comme auteur des Lettres philofophiques. M. d'Argental et tous mes amis m'ont confeillé de ne point acheter le filence d'un fcélérat. Enfin, il me fait affigner; il fe déclare imprimeur des Lettres, pour m'en dénoncer l'auteur; mais cette iniquité eft trop criante, pour qu'elle ne foit pas punie. C'est ce malheureux Demoulin qui m'a volé enfin une partie de mon bien, qui me fuscite cette affaire; c'eft Launay qui eft de moitié avec Jore. Ah! mon ami, les hommes font trop méchans. Eft – il poffible que j'aye quitté Cirey pour cela? Il ne fallait fortir de Cirey que pour venir vous embrasser.

Adieu, mon cher ami; l'ode fur la fuperftition n'était que pour vous, pour Formont et pour Emilie; et tout ce que je fais eft pour vous trois. Allez, allez, malgré mes tribulations, je travaille comme un diable à vous plaire.

LETTRE C x C V.

A M. DE CI DE VILLE.

MON

Paris, 2 juillet.

ON cher ami, le miniftère a été fi indigné de cette abominable intrigue de la cabale qui fesait agir Jore, qu'on a forcé ce miférable de donner un défiftement pur et fimple, et à rendre cette lettre arrachée

à la bonne foi. Cette maudite lettre fefait tout l'em

barras : c'était une conviction que j'étais l'auteur des 1736. Lettres philofophiques. Rien n'était donc fi dangereux que de gagner fa caufe juridiquement contre Jore. Mais je vous avoue qu'au milieu des remercîmens que je dois à l'autorité qui m'a fi bien fervi en cette occafion, j'ai un petit remords, comme citoyen, d'avoir obligation au pouvoir arbitraire : cependant il m'a fait tant de mal qu'il faut bien permettre qu'il me faffe du bien une fois en ma vie.

Je retourne bientôt à Cirey; c'est là que mon cœur parlera au vôtre, et que je reprendrai ma forme naturelle. L'accablement des affaires a tué mon esprit pendant mon féjour à Paris. J'ai eu à effuyer des banqueroutes et des calomnies. Enfin, je n'ai perdu que de l'argent; et je pars, de l'argent; et je pars, dans deux ou trois jours, trop heureux et ne connaissant plus de malheur que l'abfence de mes amis. Madame de Bernières eft-elle à Rouen? notre philofophe Formont y eft-il? comment vont vos affaires domeftiques, mon cher ami? êtes- -vous auffi content que vous méritez de l'être? avez-vous le repos et le bien-être? Adieu; je ferai heureux fi vous l'êtes.

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Vous êtes le plus aimable et le plus exact corres

pondant du monde. Voilà la Henriade fous votre
coulevrine. Je ne veux plus rien y changer, après
que vous aurez dirigé cette édition. Je regarde la
peine que vous prenez, comme la bordure du tableau
et le dernier fceau à la réputation de l'ouvrage, s'il
en mérite quelqu'une. Prault n'ira pas plus vîte;
ainfi je ferai toujours à portée de corriger quelques
vers, quand vous m'en indiquerez. J'attendais de
bonnes remarques de notre ami Thiriot, mais il eft
critique pareffeux autant que juge éclairé. Réveillez
un peu, je vous prie, fon amitié et fa critique :
marquez-moi franchement les vers qui déplairont à
vous et à vos amis, c'eft pour vous autres que j'écris ;
c'est à vous que je veux plaire. Il eft vrai que mes
occupations me détournent un peu de la poësie.
J'étudie la philofophie de Newton. Je compte même
faire imprimer bientôt un petit ouvrage qui mettra
tout le monde en état d'entendre cette philofophie
dont le monde parle, et qui eft fi peu connue;
mais, dans les intervalles de ce travail, la Henriade
aura quelques-uns de mes regards. L'harmonie des
vers me délaffera de la fatigue des difcuffions.
Rousseau peut écrire contre moi tant qu'il voudra;
je fuis beaucoup plus sensible aux vérités que j'étudie,

et qui me paraiffent éternelles, qu'aux calomnies de ce pauvre homme, qui pafferont bientôt : malheur 1736. furtout dans ce fiècle à un verfificateur qui n'est verfificateur.

que

A-t-on imprimé les harangues des nouveaux récipiendaires à l'académie? Adieu; mille complimens à tous nos amis, à ceux qui font des opéra, à ceux qui les aiment. Je vous embraffe.

Si vous voyez M. de Mairan, je vous prie de lui demander fi M. Lamare lui a remis une brochure qu'il avait eu la bonté de me confier. C'eft un philosophe bien estimable que ce M. de Mairan : il femble qu'il a raifon dans tout ce qu'il écrit.

J'ai reçu les lettres que M. Duclos a bien voulu me renvoyer; je lui écrirai pour le remercier.

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Il y a du malheur fur les paquets que vous m'en

L

voyez, mon aimable correspondant. Je n'ai encore rien reçu de ce qu'on remit entre les mains de M. du Châtelet, à son départ de Paris. Ce petit ballot arriva trop tard pour être mis dans la chaise déjà trop chargée, et fut envoyé au coche: Dieu fait quand je

l'aurai.

L'aventure de M. Rafle ne peut être vraie. Je n'ai ni créancier qui puiffe m'arrêter, ni rien par devers

moi qui doive me faire craindre le gouvernement 1736. fage fous lequel nous vivons. Je suis loin de penser que le magiftrat en queftion foit mon ennemi; mais s'il l'était, il n'est pas en fon pouvoir de nuire à un honnête homme.

La lettre dont vous me parlez, et qu'on doit mettre à la tête de la Henriade, eft de M. Cocchi, homme de lettres très-eftimé. Elle fut écrite à M. de Renuccini, fecrétaire et miniftre d'Etat à Florence. Elle eft traduite par le baron Elderchen. Je ne me fouviens pas qu'il y ait un feul endroit où M. Cocchi me mette au-deffus de Virgile. Sa lettre m'a paru sage et inftructive. Si c'était ici une première édition de la Henriade, j'exigerais qu'on n'imprimât pas cette lettre; trop d'éloges révolteraient les lecteurs français. Mais, après vingt éditions, on ne peut plus avoir ni orgueil ni modeftie fur fes ouvrages; ils ne nous appartiennent plus, et l'auteur eft hors de tout intérêt. Au refte, n'ayant point encore reçu les exemplaires du poëme que j'avais demandés, je ne puis rien répondre fur ce qui concerne l'édition.

Le petit poëme que vous m'avez envoyé eft d'un pâtiffier (*); il n'est pas le premier auteur de fa profeffion. Il y avait un pâtiffier fameux qui enveloppait ses biscuits de ses vers, du temps de maître Adam, menuifier de Nevers. Ce pâtiffier difait que fi maître Adam travaillait avec plus de bruit, pour lui il travaillait avec plus de feu. Il paraît que le pâtiffier d'aujourd'hui n'a pas mis tout le feu de fon four dans fes vers.

(*) Favart.

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