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LETTRE CLXXXV I I.

A M. THIRIOT.

A Cirey, 18 mars.

Il faut, mon ami, vous rendre compte de l'Epître à Clio. Les vers font frappés fur l'enclume qu'avait Rouffeau, quand il était encore bon ouvrier; mais malheureusement le choix du fujet n'a pas ce piquant qu'il faut pour le monde. C'eft le chef-d'œuvre d'un artiste fait pour des artiftes feulement. Tout s'y trouve, hors le plaifir qu'il faut à des lecteurs oififs. J'admirerai toujours cet écrit (excepté la bataille); mais nos Français veulent en tout genre de l'intérêt et des grâces. Il en faut par-tout, fans quoi le beau n'eft que beau.

Non fatis eft pulchra effe poëmata, dulcia funto ;
Et quocumque volent, animum auditoris agunto.

Dites-lui combien j'eftime fa précision, fa netteté, fa force, fon tour heureux, naturel, fon ftyle châtié. Ajoutez à cela que je fuis très-fâché qu'il déshonore un fi bon ouvrage par des éloges dont il rougit. S'il ne voulait qu'un afile heureux et fait pour un philofophe, au lieu d'une place inutile et qui n'a plus que du ridicule, je trouverais bien le fecret de le mettre en état de ne plus louer indignement.

1736.

Voici un petit quatrain en réponse à l'honneur

1736. qu'il m'a fait de m'envoyer fon épître :

Lorfque fa mufe courroucée
Quitta le coupable Rouffeau,
Elle te donna fon pinceau,

Sage et modefte la Chauffée.

Il ne faut pas oublier ce jeune M. de Verrières; car nous devons encourager la jeuneffe.

Elève heureux du dieu le plus aimable,
Fils d'Apollon, digne de fes concerts,
Voudriez-vous être encor plus louable?
Ne me louez pas tant, travaillez plus vos vers.
Le plus bel arbre a besoin de culture.
Emondez-moi ces rameaux trop épars,
Rendez leur féve et plus forte et plus pure.
Il faut toujours, en fuivant la nature,
La corriger: c'eft le fecret des arts.

C'eft ce qui fait que je me corrige tous les jours

moi et mes ouvrages.

Vous trouverez fur une dernière feuille une chose que je n'avais faite de ma vie, un fonnet. Présentezle au marquis ou non marquis Algarotti, et admirez avec moi fon ouvrage fur la lumière. Ce fonnet eft une galanterie italienne. Qu'il paffe par vos mains, la galanterie fera complète. (*)

(*) Voyez les Poëfies mêlées, vol. de Contes.

LETTRE CLXXXVII I. 1736.

A MADAME

LA MARQUISE DU DEFFANT.

A Cirey, par Vaffi en Champagne, 18 mars.

UNE affez longue maladie, Madame, m'a empêché

de répondre plutôt à la lettre charmante dont vous m'avez honoré. Vous devez vous intéresser à cette maladie; elle a été caufée par trop de travail: eh, quel objet ai-je dans tous mes travaux que l'envie de vous plaire, de mériter votre fuffrage? Celui que vous donnez à mes Américains, et furtout à la vertu tendre et fimple d'Alzire, me console bien de toutes les critiques de la petite ville qui eft à quatre lieues de Paris, à cinq cents lieues du bon goût, et qu'on appelle la cour. Je ferai ce que je pourrai affurément pour rendre Gusman plus tolérable. Je ne veux point me juftifier fur un rôle qui vous deplaît; mais Grandval ne m'a-t-il pas fait auffi un peu de tort? n'a-t-il pas outré le caractère ? n'a-t-il pas rendu féroce ce que je n'ai prétendu peindre que févère.

Vous pensâtes, dites-vous, dès les premiers vers, que ce Gufman ferait pendre fon père. Eh! Madame, le premier vers qu'il dit, eft celui-ci :

Quand vous priez un fils, Seigneur, vous commandez.

N'a-t-il pas l'autorité de tous les vice-rois du Pérou? et cette inflexibilité ne peut-elle pas s'accorder

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avec les fentimens d'un fils? Sylla et Marius aimaient 1736. leur père.

Enfin la pièce eft fondée sur le changement de fon cœur; et fi le cœur était doux, tendre, compatiffant au premier acte, qu'aurait-on fait au dernier ?

Permettez-moi de vous parler plus pofitivement fur Pope. Vous me dites que l'amour focial fait que tout ce qui eft, eft bien. Premièrement, ce n'eft point ce qu'il nomme amour focial (très-mal à propos) qui eft chez lui le fondement et la preuve de l'ordre de l'univers. Tout ce qui eft, eft bien, parce qu'un Etre infiniment fage en eft l'auteur; et c'est l'objet de la première épître. Enfuite il appelle amour focial, dans l'épître dernière, cette Providence bienfefante par laquelle les animaux fervent de fubfiftance les uns aux autres. Milord Shaftesbury, qui le premier a établi une partie de ce fyftême, prétendait, avec raison, que DIEU avait donné à l'homme l'amour de luimême pour l'engager à conferver fon être; et l'amour focial, c'eft-à-dire un inftinct très - fubordonné à l'amour propre, et qui se joint à ce grand reffort, est le fondement de la fociété.

Mais il est bien étrange d'imputer à je ne fais quel amour focial dans DIEU cette fureur irrésistible avec laquelle toutes les espèces d'animaux font portées à s'entre-dévorer. Il paraît du deffein à cela, d'accord; mais c'eft un deffein qui affurément ne peut être appelé amour.

Tout l'ouvrage de Pope fourmille de pareilles obscurités. Il y a cent éclairs admirables qui percent à tous momens cette nuit, et votre imagination brillante doit les aimer. Ce qui eft beau et lumineux est votre

élément. Ne craignez point de faire la differteufe; ne rougiffez point de joindre aux grâces de votre perfonne la force de votre efprit; faites des noeuds avec les autres femmes, mais parlez-moi raison.

Je vous fupplie, Madame, de me ménager les bontés de M. le préfident Hénault: c'eft l'efprit le plus adroit et le plus aimable que j'aye jamais connu. Mille refpects et un éternel attachement.

LETTRE CLXXXIX.

A M. L'ABBÉ MOUSSINOT,

Chanoine et tréforier du chapitre de Saint-Méry, à
Paris, et tréforier de M. de Voltaire.

MON

Cirey, 20 mars.

ON cher abbé, j'aime mille fois mieux votre coffre fort que celui d'un notaire; il n'y a perfonne au monde à qui je me fiasse autant qu'à vous: vous êtes auffi intelligent que vertueux; vous étiez fait pour être le procureur général de l'ordre des janfénistes, car vous favez qu'ils appellent leur union l'ordre; c'eft leur argot: chaque communauté, chaque fociété a le fien. Voyez fi vous voulez vous charger de l'argent d'un indévot, et faire par amitié pour cet indévot ce que par devoir vous faites pour votre chapitre. Mes affaires, comme vous favez, font trèsaifées et très-fimples: vous ferez mon furintendant en quelque endroit que je fois; vous parlerez pour

1736.

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