1736. chose ou non fur fon compte? Que me fait fon aventure d'une lettre de change à Londres? Qu'il se disculpe devant les jurés; mais moi, je fuis attaqué dans mon honneur par des ennemis, par des écrivains indignes; je dois leur répondre hardiment, une fois dans ma vie, non pour eux, mais pour moi. Je ne crains point Rouffeau, je le méprife; et tout ce que j'ai dit dans mon épître eft vrai : reste à favoir s'il faut que ce foit moi ou un autre qui ferme la bouche au menfonge. Si don Prévost voulait entrer dans ces détails, dans une feuille confacrée en général à venger la réputation des gens de lettres calomniés, il me rendrait un service que je n'oublierais de ma vie. La matière d'ailleurs eft belle et intéreffante. Les perfécutions faites aux auteurs de réputation, ont mérité des volumes. Si donc je fuis affuré que le Pour et Contre parlera auffi fortement qu'il eft nécessaire, je me tairai, et ma caufe fera mieux entre fes mains que dans les miennes ; mais il faut que j'en sois sûr. Quel eft le malheureux auteur de cet Obfervateur poligraphique? Ne ferait-ce point l'abbé Desfontaines? C'eft affurément quelque miférable écrivain de Paris. Il ne fait donc pas que vous êtes mon ami intime, mon plénipotentiaire, mon juge: voilà vos qualités fur le Parnaffe. P. S. Madame la marquise du Châtelet veut abfolument que mon apologie paraiffe en mon nom; cela n'empêcherait pas les bons offices du Pour et Contre. LE fuccès, de mes Américains et d'autant plus flatteur pour moi, mon cher Monfieur, qu'il justifie votre amitié pour ma perfonne, et votre goût pour mes ouvrages. J'ofe vous dire que les fentimens vertueux qui font dans cette pièce font dans mon cœur; et c'eft ce qui fait que je compte beaucoup plus fur l'amitié d'une perfonne comme vous dont je fuis connu, que fur les fuffrages d'un public toujours inconftant, qui fe plaît à élever des idoles pour les détruire, et qui, depuis long-temps, passe la moitié de l'année à me louer, et l'autre à me calomnier. Je fouhaiterais que l'indulgence avec laquelle cet ouvrage vient d'être reçu, pût encourager notre grand musicien Rameau à reprendre en moi quelque confiance, et à achever fon opéra de Samfon fur le plan que je me fuis toujours propofé. J'avais travaillé uniquement pour lui. Je m'étais écarté de la route ordinaire dans le poëme, parce qu'il s'en écarte dans la mufique. J'ai cru qu'il était temps d'ouvrir une carrière nouvelle à l'opéra, comme fur la fcène tragique. Ces beautés de Quinault et de Lulli font devenues des lieux communs. Il y aura peu de gens affez hardis pour confeiller à M. Rameau de faire de la mufique pour un opéra dont les deux premiers actes font fans 1736. 1736. amour; mais il doit être affez hardi pour fe mettre A l'égard de M. de Marivaux, je ferais très-fâché ་ de trop détailler les paffions, et de manquer quelquefois le chemin du cœur, en prenant des routes un peu trop détournées. J'aime d'autant plus fon esprit, que je le prierais de le moins prodiguer. Il ne faut point qu'un perfonnage de comédie fonge à être fpirituel; il faut qu'il foit plaifant malgré lui, et fans croire l'être; c'eft la différence qui doit être entre la comédie et le fimple dialogue. Voilà mon avis, mon cher Monfieur; je le foumets au vôtre. J'avais prêté quelque argent à feu M. de Laclede, mais fans billet; je voudrais en avoir perdu dix fois davantage, et qu'il fût en vie. Je vous supplie de m'écrire tout ce que vous apprendrez au sujet de mes Américains. Je vous embraffe tendrement. Qu'eft devenu l'abbé Desfontaines? dans quelle loge a-t-on mis ce chien qui mordait ses maîtres? hélas! je lui donnerais encore du pain, tout enragé qu'il eft. Je ne vous écris point de ma main, parce que je fuis un peu malade. Adieu. LETTRE CLXXXI I. A M. THIRIO T. 17.36. I mars. MADAME la marquise du Châtelet vient de vous écrire une lettre dans laquelle elle ne fe trompe que fur la bonne opinion qu'elle a de moi; et mon plus grand tort, dans l'épître dont elle approuve l'hommage, c'est de n'avoir pas dignement exprimé la jufte opinion que j'ai d'elle. 1736. Il s'en fallait de beaucoup que je fuffe content de mon épître dédicatoire et du difcours que je vous adreffais; je ne l'étais pas même d'Alzire, malgré l'indulgence du public. Je corrige affidument ces trois ouvrages; je vous prie de le dire aux deux refpec tables frères. Si j'étais la Fontaine, et fi madame du Châtelet avait le malheur de n'être que madame de Montefpan, je lui ferais une épître en vers, où je dirais ce qu'on dit à tout le monde; mais le ftyle de fa lettre doit vous faire voir qu'il faut raifonner avec elle, et payer à la fupériorité de fon efprit un tribut que les vers n'acquittent jamais bien. Ils ne font ni le langage de la raison, ni de la véritable estime, ni du respect, ni de l'amitié; et ce font tous ces fentimens que je veux lui peindre. C'est précisément parce que j'ai fait de petits vers pour mademoiselle de Villefranche, pour mademoiselle Gauffin, &c., que je dois une profe raifonnée et fage à madame la marquife du Châtelet. Faites-la donc digne d'elle, me direz-vous; c'est ce que je n'exécuterai pas, mais c'est à quoi je m'efforcerai. Non poffis oculis quantum contendere Lynceus Je tâcherai du moins de m'éloigner autant des pensées de madame de Lambert, que le ftyle vrai et ferme de madame du Châtelet s'éloigne de ces riens entortillés dans des phrases précieuses, et de ces billevefées énigmatiques. |