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Sodôme. Ce bon Dieu voulait pardonner à ces ...-là,

pays;

s'il avait trouvé cinq honnêtes dans le
gens
vous êtes affurément un de ces cinq ou fix qui me
font encore aimer la France. Cideville eft de cette
demi-douzaine; il m'écrit toujours de jolie profe et
de jolis vers.

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VOTRE

OTRE changement de fexe, Monfieur, n'a rien altéré de mon eftime pour vous. La plaifanterie que vous avez faite eft un des bons tours dont on fe foit avifé, et cela feul ferait auprès de moi un grand mérite. Mais vous en avez d'autres que celui d'attraper le monde; vous avez celui de plaire, foit en homme, foit en femme. Vous êtes actuellement fur les bords du Lignon, et de nymphe de la mer vous voilà devenu berger d'Aftrée. Si ce pays-là vous infpire quelques vers, je vous prie de m'en faire part; pour moi j'ai un peu 'abandonné la poëfie dans la campagne où je fuis:

Non eadem ætas, non vis.

Olim poteram cantando ducere noctes;

Mais à préfent je fonge à vivre:

Quid verum atque decens curo et rogo, et omnis in hoc fum.

1735.

1735.

Un peu de philofophie, l'hiftoire, la conversation partagent mes jours.

Duco follicita jucunda oblivia vita.

Cette vie fera plus heureuse encore fi vous me donnez part des fruits de votre loifir. Je fuis fâché que la Champagne foit fi loin du Lignon; mais c'est véritablement vivre enfemble que de fe communiquer les productions de fon efprit et les fentimens de fon ame.

LETTRE CXXXII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Cirey, 1 mars.

JE profite, mon cher et respectable ami, du voyage

de M. le marquis du Châtelet, pour répandre mon cœur dans le vôtre avec liberté. Je n'ai ofé vous écrire depuis que je fuis à Cirey, et vous croyez bien que je n'ai écrit à personne. Vous fentez, fans doute, combien il en coûte de garder le filence avec quelqu'un à qui je voudrais parler toute ma vie de ma tendre reconnaiffance.

Je n'ai pu reconnaître toutes vos bontés qu'en fuivant vos ordres à la lettre lorfque j'étais en Hollande. Je trouvai en arrivant une cabale établie par Rouffeau contre moi, et une foule de libelles imprimés depuis long-temps pour me noircir, de forte que je

me

me voyais à la fois perfécuté en France et calomnié dans toute l'Europe. Je ne pris d'autre parti que de 1735. vivre affez retiré, et de chercher des confolations dans l'étude et dans la fociété de quelques amis que je m'attirai malgré les efforts de mes ennemis. Le hasard me fit connaître une ou deux de ces perfonnes que Rousseau avait animées contre moi. J'eus le bonheur de les voir détrompées en peu de temps. Loin de vouloir continuer cette malheureufe guerre d'injures, je retranchai de l'édition qu'on fait de mes ouvrages tout ce qui fe trouve contre Rouffeau.

Je vous envoie la lettre d'un homme de lettres d'Amfterdam, qui vous inftruira mieux de tout cela que je ne pourrais faire, et qui vous fera voir en même temps ce que c'eft que Rousseau. Je vous, prie de lire cette lettre d'Amfterdam, et la copie de l'écrit qu'elle contient. Je crois qu'il eft bon que ce nouveau crime de Rousseau foit public. Peut-être ceux qu'il anime à me perfécuter en France rougiront-ils de prendre fon parti, et imiteront ceux qu'il avait féduits en Hollande, qui font tous revenus à moi, et m'aiment autant qu'ils le détestent.

Vous n'ignorez peut-être pas qu'en dernier lieu ce fcélérat, croyant aplanir fon retour en France, a fait imprimer contre le vieux Saurin les calomnies les plus atroces. Vous favez que c'eft lui qui écrivait et qui fefait écrire que j'étais venu prêcher l'athéifme en Hollande, que j'avais foutenu une thèse d'atheisme à Leyde contre M. s'Gravefende, qu'on m'avait chaffe de l'univerfité, &c. Vous êtes inftruit de la lettre de M. s'Gravefende, dans laquelle cette indigne et absurde calomnie eft fi pleinement confondue; l'original eft Correfp. générale. Tome I. R

entre les mains de M. de Richelieu; je ne fais quel 1735. ufage il en a fait, ni même s'il en doit faire ufage. Je fouhaiterais fort pourtant que M. de Maurepas en fût informé; ne pourrait-il pas dans l'occasion en parler au cardinal, et ne dois-je pas le fouhaiter?

Je vous avoue que fi l'amitié, plus forte que tous. les autres fentimens, ne m'avait pas rappelé, j'aurais bien volontiers paffé le refte de mes jours dans un pays où du moins mes ennemis ne peuvent me nuire, et où le caprice, la fuperftition et l'autorité d'un miniftre ne font point à craindre. Un homme de lettres doit vivre dans un pays libre, ou se réfoudre à mener la vie d'un esclave craintif, que d'autres efclaves jaloux accufent fans ceffe auprès du maître.. Je n'ai à attendre en France que des perfécutions; ce fera là toute ma récompenfe. Je m'y verrais avec horreur, fi la tendreffe et toutes les grandes qualités de la perfonne qui m'y retient ne me fesaient oublier que j'y fuis. Je fens que je ferai toujours la victime du premier calomniateur. Hérault eft celui qui m'a le plus nui auprès du cardinal. Faut-il qu'un homme qui penfe comme moi ait à craindre un homme comme Hérault! Eh, qui me répondra que m'ayant deffervi avec malice il ne me poursuive pas avec acharnement ? J'ai beau me cacher dans l'obscurité, j'ai beau n'écrire à perfonne, on faura où je fuis, et mon obftination à me cacher rendra peut-être encore ma retraite coupable. Enfin, je vis dans une crainte continuelle, fans favoir comment je peux parer les coups qu'on me porte tous les jours. C'eft une chofe bien inouie que la manière dont on en ufe avec moi; mais enfin je la fouffre, je me fais efclave volontiers,

pour vivre auprès de la perfonne auprès de qui tout doit disparaître. Il n'y a pas d'apparence que je 1735. revienne jamais à Paris m'exposer encore aux fureurs de la superstition et de l'envie. Je vivrai à Cirey ou dans un pays libre. Je vous l'ai toujours dit : fi mon père, mon frère, ou mon fils était premier ministre dans un état defpotique, j'en fortirais demain; jugez ce que je dois éprouver de répugnance en m'y trouvant aujourd'hui. Mais enfin madame du Châtelet eft pour moi plus qu'un père, un frère et un fils.

Je ne demande qu'à vivre enfeveli dans les montagnes de Cirey, et je n'y défirerai jamais rien que de vous y voir. Adieu, les deux frères aimables; je vous embraffe tendrement. Voici une lettre pour M. de Maurepas, que vous donnerez, fi vous le jugez à propos; mais il faut qu'il fache d'où viennent les deux chevreuils.

Je ne peux vous rien dire des Elémens de la philofophie de Newton. Je n'ai point reçu de nouvelles de mes libraires de Hollande. Ce font de bonnes gens, mais très-peu exacts. Je ne refuse point de la faire imprimer en France, quelque jufte averfion que j'aye pour la douane des pensées. Au refte, c'est un ouvrage purement phyfique, où le plus imbécille fanatique et l'hypocrite le plus envenime ne faurait rien entendre ni rien trouver à redire. J'ai un beau fujet de tragédie, je le travaillerai à loifir, et je ne donnerai l'ouvrage que quand les comédiens auront repris Zaïre et Brutus.

Je n'ai point de termes pour vous dire à quel point mon cœur eft à vous.

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