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1734.

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donnerez un bel arrêt, par lequel il fera dit que Rabelais, Montagne, l'auteur des Lettres perfanes, Bayle, Locke, et moi chétif, serons réputés gens de bien, et mis hors de cour et de procès.

Qu'eft devenu M. de Pont-de-Vefle (*), d'où vient que je n'entends plus parler de lui? N'eft-il point à Pont-de-Vefle avec madame votre mère?

Sivous voyez M. Hérault, fachez, je vous en prie, ce qu'aura dit le libraire qui eft à la bastille; et encouragez ledit M. Hérault à me faire, auprès du bon cardinal et de l'opiniâtre Chauvelin, tout le bien qu'il pourra humainement me faire.

Je vais vous parler avec la confiance que je vous dois, et qu'on ne peut s'empêcher d'avoir pour un cœur comme le vôtre. Quand je donnai permiffion, il y a deux ans, à Thiriot d'imprimer ces maudites Lettres, je m'étais arrangé pour fortir de France, et aller jouir, dans un pays libre, du plus grand avantage que je connaisse, et du plus beau droit de l'humanité, qui eft de ne dépendre que des lois et non du caprice des hommes. J'étais très-déterminé à cette idée; l'amitié feule m'a fait entièrement changer de réfolution, et m'a rendu ce pays-ci plus cher que je ne l'efpérais. Vous êtes affurément à la tête des perfonnes que j'aime ; et ce que vous avez bien voulu faire pour moi dans cette occafion m'attache à vous bien davantage, et me fait fouhaiter plus que jamais d'habiter le pays où vous êtes. Vous favez tout ce que je dois à la généreuse amitié de madame du Châtelet, qui avait laiffé un domeftique

(*) Frère de M. d'Argental.

à Paris, pour m'apporter en pofte les premières nou velles. Vous cûtes la bonté de m'écrire ce que j'avais 1734. à craindre; et c'est à vous et à elle que je dois la liberté dont je jouis. Tout ce qui me trouble à préfent, c'eft que ceux qui peuvent favoir la vivacité des démarches de madame du Châtelet, et qui n'ont pas un cœur auffi tendre et auffi vertueux que vous, ne rendent pas à l'extrême amitié et aux fentimens refpectables dont elle m'honore, toute la justice que fa conduite mérite. Cela me défefpérerait, et c'eft en ce cas furtout que j'attends de votre générofité que vous fermerez la bouche à ceux qui pourraient devant vous calomnier une amitié si vraie et si peu commune. Faites-moi la grâce, je vous en prie, de m'écrire où en font les choses; fi M. de Chauvelin s'adoucit, fi M. Rouillé peut me fervir auprès de lui, fi M. l'abbé de Rothelin peut m'être utile. Je crois que je ne dois pas trop me remuer dans ces commencemens, et que je dois attendre du temps l'adouciffement qu'il met à toutes les affaires; mais auffi, il eft bon de ne pas m'endormir entièrement fur l'efpérance que le temps feul me fervira.

Je n'ai point fuivi les confeils que vous me donniez de me rendre en diligence à Auxone; tout ce qui était à Montjeu m'a envoyé vîte en Lorraine. J'ai de plus une averfion mortelle pour la prison; je fuis malade; un air enfermé m'aurait tué; on m'aurait peut-être fourré dans un cachot. Ce qui m'a fait croire que les ordres étaient durs, c'eft que la maréchauffée était en campagne.

Ne pourriez-vous point favoir fi le garde des sceaux a toujours la rage de vouloir faire périr à Auxone un

homme qui a la fièvre et la dyffenterie, et qui eft 1734. dans un défert. Qu'il m'y laiffe, c'eft tout ce que je

lui demande, et qu'il ne m'envie pas l'air de la campagne. Adieu; je ferai toute ma vie pénétré de la plus tendre reconnaiffance. Je vous ferai attaché comme vous méritez qu'on vous aime.

A M.

LETTRE CIX.

DE CI DE VILLE.

Ce 8 mai.

VOTRE protégé Jore m'a perdu. Il n'y avait pas

encore un mois qu'il m'avait juré que rien ne paraîtrait, qu'il ne ferait jamais rien que de mon confentement; je lui avais prêté quinze cents francs dans. cette espérance; cependant, à peine fuis-je à quatrevingts lieues de Paris, que j'apprends qu'on débite publiquement une édition de cet ouvrage, avec mon nom à la tête, et avec la lettre fur Pafcal. J'écris à Paris, je fais chercher mon homme, point de nouvelles. Enfin, il vient chez moi, et parle à Demoulin, mais d'une façon à fe faire croire coupable. Dans cet intervalle, on me mande que fi je ne veux pas être perdu, il faut remettre fur le champ l'édition à M. Rouillé. Que faire dans cette circonftance? Irai-je être le délateur de quelqu'un? et puis-je remettre un dépôt que je n'ai pas ?

Je prends le parti d'écrire à Jore, le 2 mai, que je ne veux être ni fon délateur ni fon complice; que

s'il veut fe fauver et moi auffi, il faut qu'il remette entre les mains de Demoulin ce qu'il pourra trouver 1734. d'exemplaires, et apaiser au plus vite le garde des fceaux par ce facrifice. Cependant il part une lettre de cachet, le 4 maj; je suis obligé de me cacher et de fuir; je tombe malade en chemin; voilà mon état, voici le remède.

Ce remède eft dans votre amitié. Vous pouvez engager la femme de Jore à facrifier cinq cents exemplaires; ils ont affez gagné fur le refte, fuppofé que ce foit eux qui aient vendu l'édition. Ne pourriez-vous point alors écrire en droiture à M. Rouillé, lui dire qu'étant de vos amis depuis long-temps, je vous ai prié de faire chercher à Rouen l'édition de ces Lettres, que vous avez engagé ceux qui s'en étaient chargés, à la remettre, &c.; ou bien voudriez-vous faire écrire le premier préfident? Il s'en ferait honneur, et il ferait voir fon zèle pour l'inquifition littéraire qu'on établit. Soit que ce fût vous, foit que ce fût le premier préfident, je crois que cela me ferait grand bien, fi le garde des fceaux pouvait favoir, par ce canal et par une lettre écrite à M. Rouillé, que j'ai écrit à Rouen, le 2 mai, pour faire chercher l'édition à quelque prix que ce pût être.

Je remets tout cela à votre prudence et à votre tendre amitié. Votre efprit et votre cœur font faits pour ajouter au bonheur de ma vie, quand je fuis heureux, et pour être ma confolation dans mes traverses.

A préfent que je vais être tranquille dans une retraite ignorée de tout le monde, nous vous enverrons furement des Samfon et des pièces fugitives en

1734.

quantité. Laiffez faire, vous ne manquerez de rien, vous aurez des vers.

J'embraffe tendrement mon ami Formont et notre cher du Bourgtroulde. Adieu, mon aimable ami, adieu.

LETTRE C X.

A M. DE CI DE VILLE.

JE

Ce 11 mai, en passant.

Je n'ai que le temps de vous écrire, mon cherami,

E

de ne faire nul usage du billet de treize cents foixantehuit livres, qu'on vous a envoyé, fans ma participation. Il vaut beaucoup mieux que le fils du vieux bon homme faffe ce dont il était convenu avec moi, en cas qu'il voye que cette démarche puiffe être utile. Peut-être en a-t-il déjà vendu, et en ce cas il ferait puni tout auffi févèrement, et on lui répondrait comme DIEU aux Juifs: Sacrificia tua non volo. C'est à lui à voir s'il eft coupable, et jusqu'à quel point il peut compter fur l'indulgence des gens à qui il a affaire. Il faut qu'il commence par m'instruire de ses démarches, afin que je fache de mon côté fur quoi compter. Je ne veux ni ne dois rien faire aveuglément. Je commence à croire que l'édition, avec mon nom à la tête, eft une édition de Hollande. En ce cas, votre protégé n'aurait rien à craindre, ni même rien à faire à préfent qu'à fe tenir tranquille. Je lui demande pardon de l'avoir foupçonné; mais il fallait qu'il m'écrivît pour prendre des mesures.

Adieu; je vous embraffe tendrement.

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