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LETTRE LI I I.

A M. DE CIDEVILL E.

Mercredi des cendres, 27 février.

LA beauté qu'en fecret Cideville idolâtre

Voit en lui deux talens rarement réunis :
Le cœur aimable de Daphnis,

Et l'efprit du héros qui charmait Cléopâtre.

1732.

Cependant, mon cher ami, votre cœur a mieux réuffi que le refte, et l'on eft beaucoup plus content de vos bergers que de vos héros. Notre ami Formont, qui n'a point de tragédie à faire jouer, vous aura mandé plus au long des nouvelles de Daphnis et d'Antoine. Pour moi, qui cours rifque d'être fifflé mercredi prochain, et qui vais faire répéter Eryphile dans l'instant, je ne puis que me recommander à DIEU et me taire fur les vers des autres.

Je voudrais que vous raccommodaffiez votre befogne à Paris, et moi la mienne; mais, comme probablement vous en avez de plus agréable à Rouen, je vous dirai feulement, felices quibus ifta licent. Cependant, quand vous voudrez avoir du relâche et venir à Paris, j'espère, mon cher ami, pouvoir vous procurer non-feulement un appartement, mais une vie affez commode. C'eft une affaire que j'ai dans la tête. Vous m'avez accoutumé à vivre avec vous, et il faut que j'y revive.

Adieu; je vous embraffe tendrement. Plura aliàs.

1732.

LETTRE

LIV.

A M. DE CIDE VILLE.

Samedi 8 mars.

Il faut vous donner les prémices

De ces aimables fruits, aux beaux efprits fi doux.
Le public a goûté mes derniers facrifices;
Ils en font plus dignes de vous.

Cela veut dire, mon cher Cideville, qu'Eryphile que vous avez vue naître, reçut hier la robe virile devant une affez belle affemblée qui ne fut pas mécontente, et quijustifia votre goût. Notre cinquième acte a été critiqué; mais on pardonne au deffert, quand les autres fervices ont été paffables. Je suis fâché en bon chrétien, que le facré n'ait pas le même fuccès que le profane, et que Jephté et l'Arche du Seigneur foient mal reçus à l'opéra, lorsqu'un grandprêtre de Jupiter et une catin d'Argos réuffiffent à la comédie; mais j'aime encore mieux voir les mœurs du public dépravées, que fi c'était fon goût. Je demande très - humblement pardon à l'ancien Teftament s'il m'a ennuyé à l'opéra.

Pardon d'un billet fi fuccinct; courtes lettres et longues amitiés, eft ma dévife; mais je ferais bien fâché et j'y perdrais trop, fi vos lettres étaient auffi

courtes.

JE

LETTRE L V.

A M. BROSSET TE. (10)

Le 14 avril.

E fuis bien flatté de plaire à un homme comme vous, Monfieur; mais je le fuis encore davantage de la bonté que vous avez de vouloir bien faire des corrections fi judicieufes dans l'hiftoire de Charles XII.

Je ne fais rien de fi honorable pour les ouvrages de M. Defpréaux, que d'avoir été commentés par vous, et lus par Charles XII. Vous avez raifon de dire que le fel de fes fatires ne pouvait guère être fenti par un héros vandale, qui était beaucoup plus occupé de l'humiliation du czar et du roi de Pologne, que de celle de Chapelain et de Cotin. Pour moi, quand j'ai dit que les fatires de Boileau n'étaient pas fes meilleures pièces, je n'ai pas prétendu pour cela qu'elles fuffent mauvaises. C'est la première manière de ce grand peintre, fort inférieure, à la vérité, à la seconde; mais très-fupérieure à celle de tous les écrivains de fon temps, fi vous en exceptez M. Racine. Je regarde ces deux grands hommes comme les feuls qui aient eu un pinceau correct, qui aient toujours employé des couleurs vives, et copié fidellement la nature. Ce qui m'a toujours charmé dans leur flyle, c'eft qu'ils ont dit ce qu'ils voulaient dire, et que jamais leurs penfées n'ont rien coûté à l'harmonie

(10) Auteur d'un commentaire fur les ouvrages de Boileau.

1732.

ni à la pureté du langage. Feu M. de la Motte, qui 1732. écrivait bien en profe, ne parlait plus français, quand

il fefait des vers. Les tragédies de tous nos auteurs, depuis M. Racine, font écrites dans un style froid et barbare; auffi la Motte et fes conforts fefaient tout ce qu'ils pouvaient pour rabaiffer Defpréaux auquel ils ne pouvaient s'égaler. Il y a encore, à ce que j'entends dire, quelques-uns de ces beaux efprits fubalternes, qui paffent leur vie dans les cafés, lefquels font à la mémoire de M. Defpréaux, le même honneur que les Chapelain fefaient à fes écrits, de son vivant. Ils en difent du mal, parce qu'ils fentent que fi M. Defpréaux les eût connus, il les aurait méprifés autant qu'ils méritent de l'être. Je ferais très -fâché que ces meffieurs cruffent que je penfe comme eux, parce que je fais une grande différence entre fes premières fatires et fes autres ouvrages. Je fuis furtout de votre avis fur la neuvième fatire qui eft un chefd'œuvre, et dont l'épître aux mufes de M. Rouffeau, n'eft qu'une imitation un peu forcée. Je vous ferai très-obligé de me faire tenir la nouvelle édition des ouvrages de ce grand-homme, qui méritait un commentateur comme vous. Si vous voulez auffi, Monfieur, me faire le plaifir de m'envoyer l'Hiftoire de Charles XII, de l'édition de Lyon, je ferai fort aise d'en avoir un exemplaire.

Je fuis, &c. .

LETTRE LV I.

M. DE CID E VILLE,

A M.

16 mai.

1732.

J

AI reçu aujourd'hui Eryphile; mais, avant de vous la renvoyer, il faut que vous me jugiez en cour de petit commiffaire. Voici ce que j'allégue contre moi-même. Je fais la fonction de l'avocat du diable contre la canonifation d'Eryphile.

1o. En votre conscience n'avez-vous pas fenti de la langueur et du froid, lorsqu'au troifième acte Théandre vient annoncer que les furies fe font emparées de l'autel, &c. Ce que dit la reine à Alcméon, dans ce moment, eft beau; mais on eft étonné que ce beau ne touche point. La raison en eft, à mon avis, que la reine est trop long-temps bernée par les dieux. Elle n'a pas le loifir de respirer; elle n'a pas un instant d'espérance et de joie: donc elle ne change point d'état, donc elle ne doit point remuer le spectateur, donc il faut retrancher cette fin du troisième

acte.

2o. Le quatrième acte commence avec encore plus de froid. Théandre y fait un monologue inutile. La fcène qu'il a enfuite avec Alcméon me paraît mauvaise, parce que Théandre n'y dit rien de ce qu'il devrait dire. Ses doutes équivoques ne conviennent point au théâtre. S'il fait qu'Alcméon eft fils de la reine, il doit l'en avertir; s'il n'en fait rien, il ne doit rien en foupçonner. Cette fcène devrait être terrible, et n'eft pas

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