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Ah! monsieur, me dit le vieux matelot, Dieu a durement agi avec eux. God has dealt rudely with them. Si vous voulez me suivre, je vous mènerai chez leur ancienne domestique, Rachel Blount, qui demeure là-bas, dans cette cabane. Elle vous contera toute cette histoire, qu'elle sait mieux que moi; car elle l'a vue, elle la redit tous les jours, et elle pleure en la racontant.

Je le suivis chez Rachel Blount, la même domestique qui m'avait ouvert le soir de mon arrivée. Elle me reconnut, et, après les premières explications, elle me fit peu à peu le récit suivant:

Le strlendemain de votre départ, monsieur, les fiançailles de miss Sibylla et de l'honorable jeune homme Abraham S... devaient avoir lieu; mais Dieu visite dans sa colère les crimes des hommes il en avait autrement décidé, et dès le lendemain, tout était fini: il n'y avait plus de bonheur pour la famille. D'abord une rumeur effrayante, qui se répandait de village en village, arriva jusqu'à nous; les bandes de la presse balayaient tout le pays jusqu'à la côte, et enlevaient sur la route, jeunes gens, hommes mûrs, et même vieillards. Le matin, avant l'heure où

cette nouvelle parvint jusqu'à nous, M. Abraham était sorti avec sa fiancée, et se promenait avec elle sur la plage. Nous courûmes sur ses traces, sans pouvoir le trouver. Les brigands arrivèrent à l'endroit où ils étaient ; ils le saisirent; monsieur, ces ennemis de Dieu saisirent cet innocent agneau dans les bras de sa fiancée, et l'entraînèrent avec eux. En vain on les supplia de permettre au moins que le mariage des deux jeunes gens fût célébré, ils s'y refusèrent. La gloire de ces misérables et leur joie est de briser le cœur des familles. Abraham fut emporté en triomphe, garrotté comme une victime, par ces mécréans, qui chantaient en l'emportant, et qui laissaient le père, la mère et la jeune fille pleurer seuls leur misère. Ce fut le len demain, au départ du vaisseau, qu'il y eut de la douleur dans notre village! Tous les fils, les femmes, les filles, les pères sur le rivage; et les cris d'adieux qui n'étaient pas entendus; et les mères à genoux dans le sable mouillé, tendant les bras à leurs enfans, demandant vainement qu'on leur permît de les embrasser une fois! et pas une permission accordée! pas un adieu! non, pas un dernier coup d'œil! Nous apercevions bien les gens du navire

sur le pont, mais nous n'en distinguions aucun. Quelle cruauté ! quelle cruauté! »

«

La vieille femme essuyait ses larmes, et continuait avec son bon sens pathétique et populaire. Quelle misère, monsieur, que cette Presse! n'estce pas une abomination devant Dieu! On dit que ces choses doivent se faire! Se faire ! quoi! nous envoyer des démons avec leurs cris de rage, leurs insultes et leurs armes, pour déchirer tout ce que Dieu a mis d'amour légitime et d'honnêtes plaisirs dans nos pauvres chaumières! S'ils nous avaient laissé une semaine, un jour seulement, les cruels! ma jeune maîtresse vivrait encore. Tout le monde avoue que cette presse est injuste, mauvaise et détestable ; et depuis soixante ans que j'ai l'usage de ma raison, je la vois toujours renaître à chaque guerre! pourquoi, monsieur? c'est que les hommes puissans n'ont pas la crainte de Dieu devant les yeux, ni l'amour de leurs semblables dans le cœur !

» Enfin Abraham S... partit avec ses compagnons d'infortune, et Sibylla apprit que le jeune homme avait été tué à la Corogne. Depuis ce temps, on ne l'a jamais vue sourire; sa tête s'égara; elle

parlait tout haut et toute seule; elle était toujours douce, pensive, supportait patiemment la vie, priait encore; mais ce n'était plus elle. Alors vint la faute du père, qui, voyant sa fille avancer en âge, et survivre à sa peine, voulut la marier. Elle refusa doucement: et sa mère et toute sa famille supplièrent Ézéchiel de laisser en paix la malheu

reuse enfant. Mais la loi sacrée l'ordonnait : Croissez et multipliez, a dit le Seigneur. Ézéchiel le voulut: un prédicateur de la bonne cause fut choisi pour époux de Sibylla, et le jour de la cérémonie fixé. Alors, monsieur, alors la raison de ma jeune maîtresse, qui, depuis le départ de son fiancé, n'avait jamais été bien forte, se perdit entièrement, et dans une nuit d'orage, trois jours avant la cérémonie, elle se jeta de ce rocher dans la mer.

» Le corps nous revint tout enveloppé de mousses noires, et fut rejeté sur le sable. Désolation, monsieur! La mère mourut. Le père, qui dit

que la main de Dieu est sur lui, s'est renfermé dans sa maison, d'où il n'est pas sorti depuis cette époque. Il y vit misérablement de ce que lui-même recueille et récolte. Il m'a renvoyée, moi, sa fidèle servante. Et je pense, monsieur, qu'il mourra

sans ouvrir la porte à laquelle vous avez vainement frappé! »

AINSI, dans cet humble hameau maritime, s'étaient révélés à ma pensée de tragiques leçons, et une précieuse ruine du temps passé, et les douleurs, et les vices, et les dévouemens dont l'homme est capable. Cruauté politique de la presse; inflexibilité du Puritain, assassin de sa fille; et cette petite région sauvage, ignorée, curieuse dans sa stérilité, rien ne s'effaça de mon esprit. Je vis quel intérêt profond s'attache à tout ce qui caractérise l'humanité, sous la pourpre et sous le haillon. J'appris à ne point mépriser ces nuances et ces détails que l'on dédaigne faute de les voir, et qui nous instruisent mieux sur la nature de l'homme, que les spéculations les plus hautes. En effet, les généralités nous abusent, leur vaste horizon efface les contours et confond les objets; en étendant la portée de l'esprit, elles l'empêchent d'apercevoir le réel. De là cette monotonie de

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