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termina par la prise et la ruine de Carthage (*), qui peut-être n'auraient point eu lieu sans l'éloquence entraînante de Caton (**) et l'habileté du jeune Scipion, petit-fils du vainqueur d'Annibal. Les Romains avaient fait de grandes fautes, les Carthaginois surent en profiter, et peu s'en fallut qu'ils ne forçassent l'ennemi à lever honteusement le siége.

Trop lents dans leurs opérations, les consuls M. Manlius et L. Censorinus n'avaient point justifié la confiance de Rome, et les assiégés, décidés à périr plutôt que de se rendre, se prépa

(*) Rome et Carthage étaient aussi opposées par la différence de leur génie, que par la rivalité de leur ambition; la grandeur des Romains reposait sur les triomphes de la guerre, celle de Carthage devait son origine aux arts de la paix. Telle était, dans cette ville opulente, l'influence du commerce et de la navigation, que, à la fin de la troisième guerre punique, dépouillée depuis long-temps de ses colonies et de ses plus riches provinces, accablée par la haine des Romains vainqueurs, elle avait encore plus de sept cent mille habitans, quand Scipion-Émilien la détruisit, et que, pendant la durée du siége, elle construisit un nouveau port et une flotte entière.

ESMÉNARD.

(**) « Delenda est Carthago. » Cette expression d'une haine implacable, que Caton plaçait à la fin de tous ses discours, est devenue proverbe, même parmi les modernes.

Ibidem.

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raient à la défense la plus opiniâtre. Ils n'avaient cependant ni flotte, ni éléphans, ni armes; mais le désespoir et la nécessité, mère de l'industrie, suppléèrent à ce qui leur manquait.

Remarquant que le vent portait sur les embar cations romaines, les Carthaginois dirigèrent contre elles de nombreux brûlots, qui les incendièrent. Ils firent plus; quoique resserrés dans l'enceinte de leur ville, ils tirèrent de leur position même un nouvel avantage. Élevée par ordre de Scipion, une chaussée fermait l'entrée du port; ils en creusèrent une autre, et, pour que l'ennemi n'eût aucune connaissance de leurs travaux, les commencèrent dans l'intérieur de la place.

ils

Cinquante vaisseaux à trois rangs de rames et plusieurs bâtimens armés mirent en mer, au grand étonnement des Romains, qui étaient loin de s'attendre à voir sortir une flotte de Carthage. Ces navires avaient été construits à la hâte avec de vieux bois, et, comme on ne savait où prendre les matières premières qui entrent dans la confection des cordages, les femmes donnèrent leurs cheveux pour en faire. Grand et bel exemple de ce que peut sur les âmes bien nées l'amour de la patrie!

Tant d'efforts méritaient une juste récompense; mais il était arrêté dans les décrets éternels que

l'antique ville de Didon expierait par le fer et le feu les atrocités qu'Annibal avait commises dans la fidèle Sagonte (*). .

Fatigué de la longueur du siége, un des plus célèbres dont l'histoire fasse mention, Scipion (**) a résolu de le pousser avec la dernière vigueur. Vainement les Carthaginois apportent à la dé

(*) Hesperiæ lumen, fidei sanctissima custos,
Bello victa gravi, magnâ jam parte jacebat
Et nudata viris, et turribus alta Saguntus.

LEBEAU.

(**) Le fils de Paul Émile, adopté par le fils du grand Scipion, cet homme dont le double nom, Scipion-Émilien, rappelait à la fois tout ce que la vertu et la noblesse eurent de plus illustre à Rome, fut chargé par le sénat de cette affreuse exécution. Carthage, prise malgré la résistance opiniâtre d'Asdrubal, fut livrée, pendant dix-sept jours, aux flammes et au pillage. L'histoire a conservé le détail des atrocités que les Romains y commirent, et qui flétriraient la victoire de Scipion, s'il n'avait pas été dans cette occasion l'instrument aveugle de la vengeance de son pays, et s'il n'avait lui-même versé des larmes sur les cendres de sa conquête. On sait trop, au reste, comment il fut payé de ses services, et que sa destinée fut presque en tout semblable à celle de son aïeul.

Insulté par le peuple, dans la fameuse insurrection de Gracchus, ce héros ne put contenir son indignation : « Misérables ! s'écria-t-il, sans mon père Paul Émile et sans moi, que seriez-vous devenus ? Vous seriez aujourd'hui les escla

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fense de la place le plus rare courage et déploient la plus haute énergie, il faut céder à la force; Rome triomphe; Carthage succombe, victime de son odieuse rivale.

Telle fut la destinée de cette ville puissante qui s'était vue la maîtresse du commerce du monde, qui avait possédé pendant sept cents ans l'empire de la mer, et soumis à sa domination toutes les îles connues. Elle a fait trembler Rome, elle a conquis l'Italie; le Tibre, sans Capoue, eùt reconnu ses lois; et cependant elle tombe, et le

la

ves de vos ennemis. Est-ce ainsi que vous traitez vos libérateurs?» Le peuple rentra en lui-même; mais Scipion s'exila volontairement de Rome, et se retira dans sa maison de Gaëte, avec son ami Lælius, qui partageait son goût pour poésie et les belles-lettres, et qui était fils de ce même Lælius, l'ami le plus fidèle de Scipion le premier Africain. Rappelé à Rome pour y combattre les desseins séditieux du tribun Carbon, il allait être nommé dictateur, lorsqu'il fut trouvé mort dans son lit, à l'âge de cinquante-six ans. Il est très-probable qu'il fut empoisonné; et le soupçon d'un crime si noir laisse une tache odieuse sur la mémoire de Caïus Gracchus, que plusieurs auteurs en ont accusé. Métellus, au contraire, rival de gloire de Scipion, témoigna la douleur la plus vive de sa perte, et dit à ses enfans : « Allez assister aux funérailles du plus grand homme que Rome ait produit ; vous n'en verrez jamais de pareil.

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ESMÉNARD.

bruit de sa chute retentit jusqu'aux extrémités de la terre (*)!

(*) Elle n'est plus, des mers l'antique souveraine :
Carthage humiliée a, sous l'aigle romaine,
De son front menaçant abaissé la fierté.
Son empire détruit, son commerce arrêté,
Ses vaisseaux consumés par la flamme cruelle,
La laissent sous le joug impuissante et fidéle.
Mais Rome redoutait un nom toujours fatal,
Une terre odieuse où naquit Annibal;
Où l'active industrie, aux Romains étrangère,
Réparait saus éclat les malheurs de la guerre.
Caton la fatiguait d'un avenir douteux;
Et, Périssent Carthage et ses derniers neveux!
Signalant du Censeur l'éloquence farouche,
Fut long-temps le seul cri qui sortit de sa bouche.
C'en est fait; l'heure sonne : un autre Scipion
Remplit l'ordre de Rome et les vœux de Caton.
Vainement secondé par la fureur commune,
Asdrubal a deux fois balancé la fortune;
Il faut enfin céder à des dieux inhumains,
Et Carthage embrasée accomplit ses destins.
Ce port, premier objet d'une jalouse rage,
Où des navigateurs le généreux courage
Eût enfin reculé, sans les fureurs de Mars,
Les bornes de la terre et les bornes des arts;
Ces utiles vaisseaux, dont la voile chérie
Rassemblait les tributs payés à la patrie,

Ou portait des bienfaits à vingt peuples soumis,
Périssent consumés par les feux ennemis.

Au souffle des autans, la flamme impétueuse
Roule sur la cité; la nuit tempêtueuse

Descend sur ces remparts, le front armé d'éclairs;
Un océan de feu bouillonne dans les airs.

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