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glige les précautions ordinaires, ne met aucun ordre dans ses manoeuvres, regarde les Romains comme des gens entièrement neufs et inhabiles dans les moindres détails de la navigation, fond sur eux, certain qu'il croit être d'obtenir la victoire.

Cependant les machines fatales ont produit leur effet; les corbeaux, de leurs becs crochus, ont saisi les navires carthaginois, et les troupes de Duilius, se croyant en terre ferme, combattent vaillamment et sur leurs ponts et sur les ponts de leurs adversaires qu'elles taillent en pièces. La galère à sept rangs de rames, que monte Annibal, tombe au pouvoir des Romains, et ce général est réduit à se sauver sur un frêle esquif. Il avait eu l'imprudence d'affaiblir ses forces en les partageant, et n'avait engagé qu'une partie de ses vaisseaux.

Étonnés d'une défaite à laquelle ils étaient loin de s'attendre, les Carthaginois, témoins passifs d'un engagement qu'ils n'avaient point partagé, se présentèrent audacieusement au combat; mais les terribles corbeaux portant dans leurs rangs l'alarme et l'épouvante, ils bornèrent leurs tentatives à voltiger autour des embarcations romaines qu'ils ne purent entamer, et abandonnèrent le champ de bataille avec une perte de cinquante vaisseaux.

Cette victoire consterna Carthage. Annibal apprit à ses dépens qu'il n'est point de petites fautes à la guerre; qu'on ne doit jamais mépriser son ennemi, et qu'une confiance présomptueuse est souvent l'avant-coureur d'une entière défaite.

Ivre de joie, Rome accorda à Duilius les honneurs du triomphe, et lui éleva une colonne rostrale. Sa reconnaissance même ne se borna point à l'érection de ce monument : des distinctions particulières, reversibles sur ses descendans, furent accordées au vainqueur, et l'on décréta que toutes les fois que Duilius souperait chez ses amis, il serait reconduit chez lui au son des flûtes et à la lueur des flambeaux (*).

Éternelles rivales, toutes deux dévorées d'ambition, Rome et Carthage méditaient depuis long-temps la conquête de la Sicile. Passés dans cette île, les consuls Atilius Régulus et C. Sulpitius y enlevèrent plusieurs places; peu contens des avantages qu'ils avaient obtenus sur terre, la mer attira toute leur attention. Régulus mit à la voile, attaqua imprudemment les Carthaginois avec sa seule avant-garde, et fut vaincu; mais le

(*) Duilio concessum est, ut per omnem vitam, prælucente funali, et præcinente tibicine, à cœnâ publicè rediret. TIT. LIV.

reste de sa flotte arrivant dans les eaux où l'on venait de combattre, l'ennemi prit la fuite et se retira à Lipari, après avoir perdu vingt vaisseaux, dont huit coulèrent à fond.

Cependant, fatigués d'une lutte qui semblait interminable, les Romains et les Carthaginois résolurent d'en venir à une action décisive. De part et d'autre on fait les préparatifs les plus formidables. Rome équipe une flotte de trois cent trente navires, que montent cent quarante mille hommes. Chaque bâtiment porte trois cents rameurs et cent vingt combattans. Les forces de Carthage sont, en plus, de vingt voiles et de dix mille matelots et soldats. On se cherche, on se rencontre, on se bat; les Romains sont vainqueurs, et la victoire, qui s'était déclarée pour eux, leur assurait l'entière possession de l'Afrique, s'ils avaient poursuivi leurs succès, puisqu'ils avaient coulé cent quatre vaisseaux carthaginois, pris à l'ennemi trente embarcations avec leurs équipages, et mis hors de combat ou tué plus de quinze mille hommes.

Les Romains, après cette affaire mémorable, cinglèrent vers la Sicile; mais, à la vue des côtes de cette île, assaillis par une violente tempête, une partie de leurs vaisseaux se brisa contre des rochers, l'autre sombra, et, de quatre cent

soixante-quatre voiles, quatre-vingts seulement parvinrent à se sauver. La mer, au loin, était couverte de cadavres et de débris de navires (1); enfin, de mémoire d'homme, jamais on n'avait vu d'exemple d'un naufrage semblable (2).

Ce qui suit, jusqu'à la fin de cette première guerre punique, n'étant, pour les deux partis, qu'un mélange de chances plus ou moins avantageuses qu'éprouvèrent tour à tour Servilius, Sempronius, Manlius, Annibal, Adherbal, Claudius, Junius, Carthalon, et quelques autres, nous arriverons au combat que Lutatius livra à Hannon, près de l'île d'Éguse, vis-à-vis du cap Lilybée, dans lequel les Carthaginois perdirent cent vingt vaisseaux, dont soixante-dix furent pris et cinquante engloutis dans les flots.

Ce désastre de la flotte d'Hannon rendant les Romains maîtres de la mer, Carthage trembla pour ses murs, et Amilcar-Barcas, croyant utile, dans l'intérêt de sa patrie, de céder au temps, fit aux Romains des propositions de paix qui furent acceptées (*). Cette paix, toutefois, que la nécessité seule avait dictée, n'était qu'un double

(*) Poeni victi pacem postulârunt.

par

(1) POLYBE. (2) EUTROPE.

TIT. LIV.

jure entre les contractans, et bientôt commença la seconde guerre punique.

En déposant les armes, Rome et Carthage n'avaient point déposé leur haine inextinguible: animosité égale, jalousie réciproque, ces sentimens de la malveillance la plus prononcée, vivaient dans le cœur des deux peuples. On vit même Amilcar, indigné que les Romains eussent obligé les Carthaginois à quitter la Sardaigne, et surchargé de douze cents talens le tribut qu'ils leur payaient déjà, appeler l'Espagne au secours de ses compatriotes, conduire son fils Annibal, à peine âgé de neuf ans, aux autels des dieux, et lui faire jurer d'être toute sa vie l'ennemi de Rome (*).

Telle fut la véritable cause (1) de cette guerre îémorable, où de part et d'autre brillèrent du plus grand éclat la valeur et l'héroïsme, et où fut déployée toute la science de la tactique militaire. Annibal a détruit Sagonte; les Pyrénées, les Alpes sont franchies; l'Afrique inonde l'Italie; le Tésin, la Trébie, le lac de Trasimene ont vu fuir Publius Scipion, Sempronius et Flaminius. Rome tremble, et c'en est fait de la ville éternelle, si le

(*) Annibal, Amilcaris filius, novem annos natus, à patre aris admotus, odium in Romanos perenne juravit.

(1) POLYBE.

TIT. LIV.

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