dans la situation la plus favorable, Alexandrie pouvait recevoir dans son port les vaisseaux qui y seraient venus des Indes et de l'Éthiopie par la mer Rouge et le Nil, et ceux d'Europe et d'Afrique, qui y auraient abordé par la Méditerranée. Il l'avait bâtie entre Tyr et Carthage pour qu'elle fût l'entrepôt du commerce de ces deux villes. On prétend qu'il avait résolu de s'embarquer sur les côtes de la Syrie, dans l'intention d'humilier Carthage, d'assujettir la Numidie et la Mauritanie, de passer le détroit, de parcourir l'Espagne et d'en faire la conquête, enfin de pénétrer en Italie pour abaisser la grandeur des Romains, qui commençait à lui porter ombrage, et de rentrer ensuite dans la Grèce.

Plein de cette grande et sublime idée, il avait ordonné de nombreux abattis de bois sur le mont Liban, destinés à la construction de galères à sept rangs de rames. Les rois de Chypre devaient lui fournir des éperons pour ses vaisseaux, des voiles et des cordages. Il voulait encore entrer dans le Pont-Euxin, et aller jusqu'aux Palus-Méotides; enfin des matériaux de toute espèce se préparaient dans les forêts d'Hircanie, pour l'équipement d'une flotte qu'il avait résolu de conduire dans la mer Caspienne; mais, la mort venant le surprendre à l'âge de trente trois ans et un

mois (*), de trente ans (**), ou d'un peu plus de trente-deux ans, selon la plus commune opinion, ce prince, enlevé à l'amour de l'armée par un poison (1) violent mêlé à du vin dans la coupe d'Hercule, ne put voir l'accomplissement des vastes desseins qu'il avait conçus, et avec lui croula, ou fut fortement ébranlée, la monarchie macédonienne, naguère si florissante, et maîtresse de l'Asie.

MARINE DES CARTHAGINOIS.

Carthage fut la plus célèbre et la plus opulente des colonies phéniciennes (***). Elle ne cédait qu'à Rome l'honneur d'être la première ville du monde, et la gloire d'être la seconde ne lui était disputée que par Alexandrie. Heureusement située pour navigation, au milieu des côtes de la Méditerra

la

(*) Inter convivium veneno petitus, extinctus est, annos triginta natus, non virtute hostili, sed suorum insidiis cæsus. MORISOT., ORB. MARIT.

(**) Veneno necatum credidêre plerique.

QUINT. CURT.

(1) JUSTIN.
(***) Urbs antiqua fuit (Tyrii tenuêre coloni),
Carthago, Italiam contrà, Tiberinaque longè
Ostia, dives opum, studiisque asperrima belli.

VIRG.

née, à une égale distance de ses extrémités, et à portée des détroits de Gibraltar et de Gallipoli, elle était l'entrepôt du commerce des nations.

Carthage renfermait dans son sein sept cent mille citoyens, qui, formés à l'école de Tyr, méritèrent par leur intelligence, leur industrie et leur activité, la réputation d'excellens marins. L'Afrique, dont trois cents villes reconnaissaient ses lois, lui fournissait des blés pour la subsistance de ses habitans; sa domination s'étendait sur la Sardaigne, les îles Baléares, aujourd'hui Majorque et Minorque, et le Port-Mahon (*) fut ainsi appelé du nom d'un de ses généraux.

Les Carthaginois se firent connaître de bonne heure par leur habileté dans la science nautique, et ils devinrent si puissans sur mer, que les nations les plus belliqueuses briguèrent leur alliance. On vit même Xercès les appeler à son secours, et les associer à ses projets ambitieux contre la Grèce. Un traité fut donc conclu par lequel les Carthaginois s'engagèrent à faire la guerre aux Grecs établis dans la Sicile et dans l'Italie, tandis que le roi de Perse attaquerait le Péloponèse. Ce traité signé (**), les Carthaginois, pour rem

(*) Portus Magonis.

Bibliot. Hist.

Nous employons le mot signé, comme plus approprié

plir les engagemens qu'ils avaient contractés avec Xercès, firent d'immenses préparatifs; leur armée de terre se composait de plus de trois cent mille combattans; celle de mer comptait deux mille bâtimens à rames, et trois mille transports destinés aux vivres et aux bagages. La conduite de ces forces nombreuses fut confiée à Amilcar (*), général d'une haute réputation acquise par de mémorables exploits, et les Perses pouvaient raisonnablement se flatter de réussir dans

à nos mœurs, quoique le latin porte fœdere icto, de l'usage ancien de se frapper dans la main quand il s'agissait de conventions réciproques. Cet usage s'est conservé long-temps; on en retrouve même encore des traces dans quelques contrées, notamment dans les haute et basse Normandie. Au reste, à l'époque dont nous parlons, l'écriture était connue, puisqu'il est prouvé que les Phéniciens en sont les inven

(*) Ce nom est commun à plusieurs généraux carthaginois. Le plus illustre d'entre eux est celui qui fut père d'Annibal. On doit en dire autant de ce dernier, plus fameux dans l'histoire ancienne que tous les Annibal qui l'ont précédé.

leur entreprise, lorsque les vents et les tempêtes, contrariant la manœuvre des Carthaginois, dispersèrent leur flotte, et détruisirent une quantité considérable de bateaux plats, sur lesquels on avait embarqué de la cavalerie.

Ce premier échec, qui semblait présager de plus grands malheurs, força Amilcar à entrer dans le port de Palerme, où il demeura trois jours pour se radouber et réparer ses pertes. Se dirigeant ensuite vers la ville d'Himère, il eut soin d'être toujours en vue de ses vaisseaux, qu'il avait chargés de suivre ses mouvemens et de longer les côtes. Arrivé devant cette place, il fit tracer deux camps fortifiés de fossés et de palissades, l'un pour les troupes de terre, l'autre pour les embarcations qu'il retira de la mer, Les munitions de bouche furent mises à l'abri de toute insulte, et les vaisseaux qui les avaient transportées reçurent l'ordre d'aller en chercher de nouvelles dans la Libye et dans la Sardaigne.

Cependant Théron, roi d'Agrigente, voyant Himère menacée, se jeta dans cette place pour la défendre, et demanda du secours à Gélon, tyran de Syracuse, qui répondit à son appel, et se mit aussitôt en marche, suivi de cinquante mille fantassins et de cinq mille hommes de cavalerie.

Avantageusement campé, le chef des Syracu