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meté. Notre raison est toujours déçue par l'inconstance des apparences; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et le fuient. Cela étant bien compris, je crois qu'on s'en tiendra au repos, chacun dans l'état où la nature l'a placé. Ce milieu qui nous est échu, étant toujours distant des extrêmes, qu'importe que l'homme ait un peu plus d'intelligence des choses? S'il en a, il les prend d'un peu plus haut. N'est-il pas toujours infiniment éloigné des extrêmes? Et la durée de notre plus longue vie n'est-elle pas infiniment éloignée de l'éternité ?

Dans la vue de ces infinis tous les finis sont égaux ; et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur l'un que sur l'autre? La seule comparaison que nous faisons de nous au fini, nous fait peine.

XXV.

Les sciences ont deux extrémités qui se touchent la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étoient partis. Mais c'est une ignorance savante qui se connoit. Ceux d'entre deux qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le

monde, et jugent plus mal de tout que les autres. Le peuple et les habiles composent, pour l'ordinaire, le train du monde; les autres le méprisent et en sont méprisés.

XXVI.

On se croit naturellement bien plus capable d'arriver au centre des choses que d'embrasser leur circonférence. L'étendue visible du monde nous surpasse visiblement; mais comme c'est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder: et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu'au néant que jusqu'au tout. Il la faut infinie dans l'un et dans l'autre; et il me semble que qui auroit compris les derniers principes des choses pourroit aussi arriver jusqu'à connoître l'infini. L'un dépend de l'autre, et l'un conduit à l'autre. Les extrémités se touchent et se réunissent à force de s'être éloignées, et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

Si l'homme commençoit par s'étudier lui-même, il verroit combien il est incapable de passer outre. Comment pourroit-il se faire qu'une partie connût le tout? Il aspirera peut-être à connoître au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l'une avec l'autre, que je crois impossible de connoître l'une sans l'autre, et sans le tout.

L'homme, par exemple, a rapport à tout ce

qu'il connoît. Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d'élements pour le composer, de chaleur et d'aliments pour le nourrir, d'air pour respirer. Il voit la lumière, il sent les corps, enfin tout tombe sous son alliance.

Il faut donc, pour connoitre l'homme, savoir d'où vient qu'il a besoin d'air pour subsister; et, pour connoître l'air, il faut savoir par où il a rapport à la vie de l'homme.

La flamme ne subsiste point sans l'air : donc pour connoître l'un il faut connoître l'autre.

Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiatement et immédiatement, et toutes s'entretenant par un lien naturel et insensible, qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connoître les parties sans connoître le tout, non plus que de connoitre le tout sans connoître en détail les parties.

Et ce qui achève peut-être notre impuissance à connoître les choses, c'est qu'elles sont simples en elles-mêmes, et que nous sommes composés de deux natures opposées et de divers genres, d'âme et de corps : car il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle; et quand on prétendroit que nous fussions simplement corporels, cela nous excluroit bien davantage de la connoissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matiè e puisse se connoître soi-même.

C'est cette composition d'esprit et de corps qui

a fait que presque tous les philosophes ont confondu les idées des choses, et attribué au corps ce qui n'appartient qu'aux esprits, et aux esprits ce qui ne peut convenir qu'aux corps. Car ils disent hardiment les que corps tendent en bas, qu'ils aspirent à leur centre, qu'ils fuient leur destruction, qu'ils craignent le vuide, qu'ils ont des inclinations, des sympathies, des antipathies, qui sont toutes choses qui n'appartiennent qu'aux esprits. Et en parlant des esprits, ils les considèrent comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement, d'une place à une autre, qui sont des choses qui n'appartiennent qu'aux corps, etc..

'Au lieu de recevoir les idées des choses en nous, nous teignons des qualités de notre être composé toutes les choses simples que nous contemplons.

Qui ne croiroit, à nous voir composer toutes choses d'esprit et de corps, que ce mélange-là nous seroit bien compréhensible? C'est néanmoins la chose que l'on comprend le moins. L'homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature; car il ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comment un corps peut être uni avec un esprit. C'est là le comble de ses difficultés, et cependant c'est son propre être : Modus quo corporibus adhaeret spiritus comprehendi ab hominibus non potest; et hoc tamen homo est.

XXVII.

L'homme n'est donc qu'un sujet plein d'erreurs, ineffaçables sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité : tout l'abuse. Les deux principes de vérité, la raison et les sens, outre qu'ils manquent sonvent de sincérité, s'abusent réciproquement l'un l'autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences; et cette même piperie qu'ils lui apportent, ils la reçoivent d'elle à leur tour: elle s'en revanche. Les passions de l'âme troublent les sens, et leur font des impressions fâcheuses : ils mentent, et se trompent à l'envi.

ARTICLE VII.

MISÈRE DE L'HOMME.

I.

RIEN n'est plus capable de nous faire entrer dans la connoissance de la misère des hommes que de considérer la cause véritable de l'agitation perpétuelle dans laquelle ils passent leur vie.

un

L'âme est jetée dans le corps pour y faire un séjour de peu de durée. Elle sait que ce n'est qu'ur passage à un voyage éternel, et qu'elle n'a que le peu de temps que dure la vie pour s'y préparer. Les nécessités de la nature lui en ravissent une très grande partie. Il ne lui en reste que très peu dont elle puisse disposer. Mais ce peu qui lui reste l'incommode si fort et l'embarrasse si étrange

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