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qu'il pense. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne peut le concevoir. Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? Est-ce la main? Est-ce le bras? Est-ce la chair? Est-ce le sang? on verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'immatériel,

III.

L'homme est si grand, que sa grandeur paroît même en ce qu'il se connoît misérable. Un arbre ne se connoît pas misirable. Il est vrai que c'est ètre misérable que de se connoître misérable; mais aussi c'est être grand que de connoître qu'on est misérable. Ainsi toutes ces misères prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

IV.

Qui se trouve malheureux de n'être pas roì, sinon un roi dépossédé? Trouvoit-on Paul Emile malheureux de n'être plus consul? Au contraire, tout le monde trouvoit qu'il étoit heureux de l'avoir été; parce que sa condition n'étoit pas de l'être toujours. Mais on trouvoit Persée si malheureux de n'être plus roi, parce que sa condition étoit de l'être toujours, qu'on trouvoit étrange qu'il pût supporter la vie. Qui se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche? et qui ne se trouve malheureux de n'avoir qu'un œil · On ne s'est peut-être jamais avisé de s'affliger de n'avoir pas trois yeux; mais on est inconsolable de n'en avoir qu'un.

V.

Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme, que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

Si d'un côté cette fausse gloire que les hommes cherchent est une grande marque de leur misère et de leur bassesse, c'en est une aussi de leur excellence. Car quelques possessions qu'il ait sur la terre, de quelque santé et commodité essentielle qu'il jouisse, il n'est pas satisfait, s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait dans le monde, il se croit malheureux, s'il n'est placé aussi avantageusement dans la raison de l'homme. C'est la plus belle place du monde : rien ne peut le détourner de ce désir; et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme. Jusque-là que ceux qui méprisent le plus les hommes, et qui les égalent aux bêtes, veulent encore en être admirés, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment; la nature, qui est plus puissante que toute leur raison, les convaincant plus fortement de la grandeur de l'homme, que la raison ne les convainc de sa bassesse.

VI.

L'homme n'est qu'un roseau le plus foible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut

pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale.

VII.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre.

VIII.

Que l'homme donc s'estime son prix. Qu'il s'aime; car il a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vuide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haisse; qu'il s'aime; il a en lui la capacité de connoître la vérité, et d'être heureux; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante. Je voudrois donc porter l'homme à désirer d'en trouver, à être prêt et dégagé des passions pour la suivre où il la trou

vera; et sachant combien sa connoissance s'est obscurcie par les passions, je voudrois qu'il hait en lui la concupiscence qui la détermine d'ellemême; afin qu'elle ne l'aveuglât point en faisant son choix, et qu'elle ne l'arrêtât point quand il aura choisi.,

IX.

Je blâme également, et ceux qui prennent le parti de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de le divertir; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.

Les stoïques disent Rentrez au-dedans de vous-mêmes; et c'est là où vous trouverez votre repos et cela n'est pas vrai. Les autres disent : Sortez dehors; et cherchez le bonheur en vous divertissant et cela n'est pas vrai. Les maladies viennent le bonheur n'est ni dans nous, ni hors de nous; il est en Dieu et en nous.

:

X.

La nature de l'homme se considère en deux manières; l'une selon sa fin; et alors il est grand et incompréhensible; l'autre selon l'habitude, comme l'on juge de la nature du cheval et du chien, par l'habitude d'y voir la course, et animum arcendi, et alors l'homme est abject et vil. Voilà les deux voies qui en font juger diversement, et qui font tant disputer les philosophes. Car l'un nie la supposition de l'autre : l'un dit : Il n'est pas né à cette

fin, car toutes ses actions y répugnent; l'autre dit : Il s'éloigne de sa fin quand il fait ces actions basses. Deux choses instruisent l'homme de toute sa nature l'instinct et l'expérience..

XI.

Je sens que je peux n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurois point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel, infini.

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VANITÉ DE L'HOMME; EFFETS DE L'AMOUR-PROPRE.

I.

Νους ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire ; et nous nous efforçons pour cela de paroître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire, et nous négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être d'imagination : nous les détacherions plutôt de nous pour les y joindre; et nous serions

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