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Je prie les lecteurs qui voudront juger équitablement de cet ouvrage de vouloir bien se reporter au temps où il fut composé : on remarquera que, gêné par les circonstances, je n'ai pu, en certains endroits, dire ma pensée toute entière; mais du moins je n'ai jamais cherché à la défigurer. J'ai respecté le grand homme dont j'écris la vie, sans me livrer à aucun esprit de parti.

Quelques philosophes modernes, forcés de reconnoître la supériorité du génie de Pascal, et un peu incommodés par le poids de ses opinions religieuses, ont affecté de réFaudre que, dans les dernières années de sa vie où il les a le plus manifestées, sa tête étoit affoiblie. « Mon ami, « disoit Voltaire à Condorcet, ne vous lassez point de répéter que, depuis l'accident du pont de Neuilly, le cer«veau de Pascal étoit dérangé. » Il n'y a qu'une petite difficulté dans ce système : ce cerveau, dérangé en 1654, produisit en 1656 les Lettres provinciales, et en 1658 les Solutions des problèmes de la Roulette. Note de M. Bossut.

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DISCOURS

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

DE PASCAL.

BLAISE PASCAL naquit à Clermont en Auvergne, le 19 juin 1623, d'Étienne Pascal, premier président à la cour des aides de cette ville, et d'Antoinette Begon. Il eut un frère aîné qui mourut au berceau, et deux sœurs dont il sera souvent parlé dans la suite : l'une nommée Gilberte; née en 1620, l'autre nommée Jacqueline, née en 1 1625.

La famille des Pascal avoit été anoblie par Louis XI, vers l'année 1478; et depuis cette époque elle possédoit dans l'Auvergne des places distinguées, qu'elle honoroit par ses vertus et par ses talents.

A ces qualités héréditaires Étienne Pascal joignoit la science des lois, et une grande étendue de connoissances dans les matières de littérature, de mathématiques, de physique, etc. La simplicité des mœurs antiques et les plaisirs attachés aux plus doux sentiments de la nature faisoient de sa maison le lieu de la paix et du bonheur. Tous les jours, après avoir rempli ses fonctions d'homme

Pensées. 1.

I

public à la cour des aides, il rentroit dans le sein de sa famille; et, pour délassement, il venoit partager les soins domestiques avec une femme aimable et vertueuse. Il eut le malheur de perdre cette épouse chérie en 1626; et dès ce moment son âme, profondément affligée, se ferma à toute autre ambition qu'à celle de donner une excellente éducation aux trois enfants qui lui restoient. Il vouloit les former lui-même à la vertu et aux connoissances utiles; mais il sentit bientôt que l'exécution de ce projet ne pouvoit se concilier avec les devoirs d'une magistrature pénible : il ne balança point; il vendit sa charge en 1631, et vint demeurer à Paris avec sa famille, afin de pouvoir remplir librement envers elle des devoirs plus sacrés que ceux des relations sociales dans une place de médiocre importance. Sa principale attention se porta sur son fils unique, qui avoit annoncé, presque dès le berceau, ce qu'il devoit être un jour. Les langues et les premiers éléments des sciences furent les objets présentés d abord à l'avidité que cet enfant montroit de s instruire. En même temps Etienne Pascal enseignoit le latin et les belleslettres à ses deux filles, pour les accoutumer de bonne heure à cet esprit de réflexion si important au bonheur de la vie, et non moins nécessaire aux femmes qu'aux hommes.

La fameuse guerre de trente ans désoloit alors toute l'Europe. Cependant, au milicu de tant de désastres, l'éloquence et la poésie, déjà florissantes en Italie depuis plus d'un siècle, commençoient à

jeter de l'éclat en France et en Angleterre ; les mathématiques et la physique sortoient des ténèbres; la saine philosophie, ou plutôt la vraie méthode de philosopher, pénétroit dans les écoles; et la révolution que Galilée et Descartes avoient préparée s'accomplissoit rapidement. Entrainé par ce mouvement universel, Etienne Pascal devint géomètre et physicien. Il se lia, par conformité de goût et d'occupations, avec le père Mersenne, Roberval, Carcavi, Le Pailleur, etc. Ces savants hommes s'assembloient de temps en temps les uns chez les autres pour raisonner sur les objets de leurs travaux, ou sur les différentes questions que le hasard et la chaleur de la dispute pouvoient faire naître. Ils entretenoient un commerce réglé de lettres avec d'autres savants répandus dans les provinces de France et dans les pays étrangers; par-là ils étoient instruits très promptement de toutes les découvertes qui se faisoient dans les mathématiques et dans la physique. Cette petite société formoit une espèce d'académie dont l'amitié et la confiance étoient l'âme, libre d'ailleurs de toute loi et de toute contrainte. Elle a été la première origine de l'académie des sciences, qui ne fut établie, sous le sceau de l'autorité royale, qu'en 1666,

Le jeune Blaise Pascal assistoit quelquefois aux conférences qui se tenoient chez son père. Il écoutoit avec une extrême attention; il vouloit savoir les causes de tous les effets. On rapporte qu'à l'âge de onze ans il composa un petit traité sur les sons,

dans lequel il cherchoit à expliquer pourquoi une assiette, frappée avec un couteau, rend un son qui cesse tout à coup lorsqu'on y applique la main. Son père, craignant que ce goût trop vif pour les sciences ne nuisît à l'étude des langues, qu'on regardoit alors comme la partie la plus essentielle de l'éducation, décida, de concert avec la petite société, que dorénavant on s'abstiendroit de parler de mathématiques et de physique en présence du jeune homme. Il en fut désolé : on lui promit, pour l'apaiser, de lui apprendre la géométrie quand il sauroit le latin et le grec, et quand il seroit digne d'ailleurs d'entendre cette science. En attendant, on se contenta de lui dire qu'elle considère l'étendue des corps, c'est-à-dire, leurs trois dimensions, longueur, largeur et profondeur; qu'elle enseigne à former des figures d'une manière juste et précise, à comparer ces figures les unes avec les autres, etc.

Cette indication vague et générale, accordée à la curiosité importune d'un enfant, fut un trait de lumière qui développa le germe de son talent pour la géométrie. Dès ce moment il n'a plus de repos : il veut à toute force pénétrer dans cette science qu'on lui cache avec tant de mystère, et qu'on croit au-dessus de lui, par mépris pour son âge. Pendant ses heures de récréation il s'enfermoit seul dans une chambre isolée : là, avec du charbon, il traçoit sur le carreau des triangles, des parallelogrammes, des cercles, etc., sans savoir les noms de ces figures; ensuite il examinoit les

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