Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Dans l'âge turbulent des passions humaines,
Lorsqu'un fleuve de feu bouillonne dans nos veines,
Ils servent d'aliment à nos brûlants desirs,
Et forment la raison dans l'àge des plaisirs.

Donne-leur tes beaux jours; c'est le temps du génie.
L'oreille s'ouvre alors à la tendre harmonie;
L'esprit est plus ardent, les sens plus vigoureux:
C'est alors que Corneille exhaloit tous ses feux;
Et l'illustre Milton orna, dans sa jeunesse,
Le Paradis charmant qu'a flétri sa vieillesse.
Lorsque l'âge viril vient mûrir la raison,
Les arts, ces arts divins, sont encor de saison:
Un père quelquefois, pour goûter leurs caresses,
Peut oublier d'un fils les naïves tendresses.
Ils dérident le front du grave magistrat,
Dérobent des instants au ministre d'état,
Délassent le guerrier fatigué de carnage,
Et même osent sourire au financier sauvage.

Enfin, quand la vieillesse arrive à pas glacés, Des bals, des soupers fins quand les jours sont passés, Eux seuls de notre hiver dissipent la tristesse; Le vieillard voit par eux revivre sa jeunesse, Par eux les ris légers brillent sur son menton, Et voltigent encore autour de son bâton. Genevois tristement examine Si les arts, des états ont hâté la ruine;

Qu'un grave

Dans ces grands intérêts je ne m'égare pas:

Oublions un moment la grandeur des états.

T. I. POÉS. FUG.

2

Ces plaisirs dangereux, je sens qu'ils me consolent;
Lui-même, pour charmer les maux qui le désolent,
Versant sur le papier les chagrins de son cœur,
En discours éloquents épanche sa douleur.
Sur les cœurs malheureux que ce charme a d'empire!
Tendre époux d'Eurydice, aux doux sons de ta lyre,
Les fleuves suspendoient la course de leurs eaux;
Les chênes en cadence agitoient leurs rameaux,
Tu dissipois l'horreur des déserts solitaires,
Les tigres s'endormoient dans leurs sombres repaires;
Et moi, pour assoupir les maux que je ressens,
D'Homère, de Lulli j'écoute les accents;

Leur voix mélodieuse adoucit mes alarmes:

Que dis-je? à mes pleurs même elle prête des charmes.
Mais sur moi si le sort a versé ses faveurs,

Par les arts éclairé, j'en sens mieux les douceurs.
Les arts donnent le goût, la grace, la finesse.
Que m'importe, sans eux, une vile richesse?
Sans l'art d'en bien jouir, que m'importe un trésor?
L'usage fait le prix des grandeurs et de l'or.
Vois ce riche ignorant; s'il aime la dépense,
Le mauvais goût préside à sa magnificence;
Le mauvais goût se peint sur ses riches tapis,
Charge d'or et d'argent ses maussades habits,
Suspend le lourd plafond de son palais gothique,
Dicte les gros propos de sa gaieté rustique;
A table, avec son vin, fait avaler l'ennui,
Et dans son char doré se proméne avec lui.

A ce Crésus stupide, à sa triste opulence,
Viens, compare Lalive (') et sa noble élégance.
Des artistes savants il sait choisir la main :
L'un, de ce cabinet lui traça le dessin,
De ce salon riant ordonna la structure;
L'autre, sur ce plafond peint la belle nature;
Ceux-ci, de ces jardins ont fait jaillir des eaux,
Ont animé ce marbre, arrondi ces berceaux,
De ces tapis de fleurs varié les nuances,
Dessiné le contour de ces forêts immenses:
Pour lui tout s'embellit; il réunit par-tout
Le brillant au solide, et la richesse au goût.
Jamais pour des bouffons il ne quitta Racine,
Ni les traits de Lebrun pour des magots de Chine.

« Eh quoi! me diras-tu, n'a-t-il que ces plaisirs?
Quelle foule d'objets vient remplir ses desirs!
Voir aborder chez soi le marquis, la comtesse;
Dans un hardi brelan défier la duchesse;

Se montrer au spectacle, ou, traîné dans un char,
De longs flots de poussière inonder le rempart;
Du champagne à souper faire blanchir la mousse.
Quels plaisirs!» Je le veux, mais leur pointe s'émousse;

connu par

(1) M. de Lalive, introducteur des ambassadeurs, est le noble usage qu'il fait de ses richesses. Il doit me pardonner cet éloge, puisque, n'ayant l'honneur de le connoître que par la voix publique, je ne fais que répéter ce qu'elle m'a appris.

Ils traînent après eux le dégoût et l'ennui.
L'esprit a des plaisirs immortels comme lui;
L'esprit aime à sentir, à sonder, à connoître ;
De sublimes objets il aime à se repaître;
Il oubliera pour eux, et l'aiguillon des sens,
Et le cri du besoin, et la course du temps.
La Caille, de la nuit perçant le sombre voile,
Pâlit, les yeux fixés sur le front d'une étoile.

J'entends encor Rousseau, dans ses sombres humeurs,
Crier que les beaux arts ont corrompu les mœurs.
La nature aux beaux arts a servi de modéle;
Bien loin de l'étouffer, ils nous rapprochent d'elle,
Nous inspirent le goût des plaisirs innocents.
Transportons avec eux le sage dans les champs.
Il s'arrête enchanté, soit qu'une belle aurore
Donne la vie aux fleurs qui s'empressent d'éclore;
Soit que l'astre du monde, en achevant son tour,
Jette languissamment le reste d'un beau jour.

Souvent, dans un vallon, il médite en silence; Il promene ses yeux sur cette scène immense; Il cherche quelle main fait rouler les saisons, Verdit l'herbe des prés, et jaunit les moissons; Comment un foible grain, renfermé dans la terre, S'élève en chêne altier et voisin du tonnerre; Il voit les sucs, filtrés par de secrets conduits, Nourrir le tronc, la branche, et la feuille et les fruits; Les rochers se former dans le sein des campagnes; L'eau du ciel, en ruisseaux, s'échapper des montagnes.

Il compte ces grands corps qui roulent dans les cieux, Ou sur l'humble ciron il abaisse les yeux.

Quelquefois il parcourt cette riche nature, Qu'imite des beaux arts la magique imposture.

[ocr errors]

Lulli, dit-il, peint bien le doux bruit de ces eaux.
Que Tibulle eût goûté l'ombre de ces berceaux!

Oh! si Greuze voyoit cette noce rustique,
Ces enfants demi-nus, cette chaumière antique!
Admirable Rameau! l'on entend dans tes sons
Le cours de ces torrents, grondant dans les vallons;
Boucher dessineroit ce riant paysage,.

Et Rembrandt eût tracé cette forêt sauvage. »

D'autres fois, occupé de plaisirs plus touchants,
Il instruit ces mortels qui cultivent les champs;
Il invente pour eux des instruments utiles:
Leurs guérets, à sa voix, deviennent plus fertiles;
Le laboureur surpris admire sa moisson,

Et

pour son bienfaiteur entonne sa chanson. Mon Crésus cependant, enfumé de champagne,

Végéte dans sa terre, et maudit la campagne.

C'est ainsi que les arts, en tus lieux, en tous temps, De cette courte vie amusent les instants,

Nous sauvent du danger des foiblesses humaines,
Augmentent nos plaisirs et soulagent nos peines.

Beaux arts! oui, je vous dois mes moments les plus doux;
Je m'endors dans vos bras, je m'éveille pour vous.
Que dis-je? autour de moi tandis que tout sommeille,
Aux clartés d'un flambeau je prolonge ma veille;

« ZurückWeiter »