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il, ie descouvris un lievre en forme'; et encores i'eusse deux excellents levriers à mon costé, que si me sembla il, pour ne le faillir point, qu'il valloit mieulx y employer encores mon arc; car il me faisoit fort beau ieu. Ie commenceay à descocher mes fleches, et iusques à quarante qu'il y en avoit en ma trousse, non sans l'assener seulement, mais sans l'esveiller. Aprez tout, ie descouplay mes levriers aprez, qui n'y peurent non plus. l'apprins par là qu'il avoit esté couvert par sa destinee; et que ny les traicts ny les glaives ne portent que par le congé de nostre fatalité, laquelle il n'est en nous de reculer ny d’advancer.” Ce conte doibt servir à nous faire veoir en passant combien nostre raison est flexible à toute sorte d'images. Un personnage, grand d'ans, de nom, de dignité et de doctrine, se vantoit à moy d'avoir esté porté à certaine mutation tresimportante de sa foy par une incitation estrangiere, aussi bizarre; et au reste, si mal concluante, que ie la trouvois plus forte au revers: luy l'appelloit miracle; et moy aussi, à divers sens. Leurs historiens disent que la persuasion estant populai rement semee entre les Turcs de la fatale et imployable prescription de leurs iours, ayde apparemment à les asseurer aux dangiers. Et ie cognois un grand prince qui en faict heureusement son proufict, soit qu'il la croye, soit qu'il la

* On dit, en termes de chasse, un lièvre en forme, pour dire un lièvre au gîte. DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE.

prenne pour excuse à se hazarder extraordinairement: Pourveu que fortune ne se lasse trop tost de luy faire espaule!

Il n'est point advenu de nostre memoire un plus admirable effect de resolution, que de ces deux qui conspirerent la mort du prince d'Orange'. C'est merveille comment on peut eschauffer le second, qui l'executa, à une entreprinse en laquelle il estoit si mal advenu à son compaignon, y ayant apporté tout ce qu'il pouvoit, et, sur cette trace, et de mesmes armes, aller entreprendre un seigneur, armé d'une si fresche instruction de desfiance, puissant de suitte d'amis et de force corporelle, en sa salle, parmy ses gardes, en une ville toute à sa devotion. Certes, il y employa une main bien determince, et un courage esmeu d'une vigoreuse passion. Un poignard est plus seur pour assener; mais d'autant qu'il a besoing de plus de mouvement et de vigueur de bras que n'a un pistolet, son coup est plus subiect à estre gauchy ou troublé. Que celuy là ne courust à une mort certaine, ie n'y foys pas grand doubte; car les esperances de quoy on eust sceu l'amuser ne pouvoient loger en entendement rassis, et la conduicte de son exploict montre qu'il

Le fondateur de la république de Hollande. En 1582, le 18 de mars, ce prince fut assassiné d'un coup de pistolet à Anvers, au sortir de table, par un habitant de la Biscaye, nommé Jehan de Jeaureguy, et guérit de cette blessure; mais, en 1584, le 10 de juillet, il fut tué d'un coup de pistolet dans sa maison à Delft, en Hollande, par Balthazar Gérard, natif de la Franche-Comté, C.

n'en avoit pas faulte, non plus que de courage. Les motifs d'une si puissante persuasion peuvent estre divers, car nostre fantasie faict de soy et de nous ce qu'il luy plaist. L'execution qui feut faicte prez d'Orleans', n'eut rien de pareil; il y eut plus de hazard que de vigueur; le coup n'estoit pas à la mort, si la fortune ne l'eust rendu tel; et l'entreprinse de tirer, estant à cheval, et de loing, et à un qui se mouvoit au bransle de son cheval, feust l'entreprinse d'un homme qui aimoit mieulx faillir son effect que faillir à se sauver. Ce qui suyvit aprez le montra; car il se transit et s'enyvra de la pensee de si haulte execution, si qu'il perdit entierement son sens et à conduire sa fuyte, et à conduire sa langue en ses responses. Que luy falloit il, que recourir à ses amis au travers d'une riviere? c'est un moyen où ie me suis iecté à moindres dangiers, et que i'estime de peu de hazard, quelque largeur qu'ait le passage, pourveu que vostre cheval treuve l'entree facile, et que vous preveoyiez au delà un bord aysé, selon le cours de l'eau. L'aultre, quand on lui prononcea son horrible sentence: « l'y estois preparé, dict il; ie vous estonnerai de ma patience. »

در

un soir

que ce

Par Poltrot, qui assassina le duc de Guise, duc s'en retournoit à cheval à son logis. Voyez les Mémoires de BRANTÔME, à l'article de M. de Guise, t. III, p. 112, 113, 115. C.

2

* Balthazar Gérard, qui venoit de tuer le prince d'Orange par

un infame assassinat. C.

Les Assassins', nation despendante de la Phonicie, sont estimez, entre les Mahumetans, d'une souveraine devotion et pureté de mœurs. Ils tiennent que le plus court chemin à gaigner paradis, c'est de tuer quelqu'un de religion contraire. Parquoy on l'a veu souvent entreprendre, à un ou deux, en pourpoinct, contre des ennemis puissants, au prix d'une mort certaine, et sans aulcun soing de leur propre dangier. Ainsi feut assassiné (ce mot est emprunté de leur nom) nostre comte Raymond de Tripoli, au milieu de sa ville2, pendant nos entreprinses de la guerre saincte; et pareillement Conrad, marquis de Montferrat3: les meurtriers conduicts au supplice, touts enflez et fiers d'un si beau chef d'œuvre.

Ou Assassiniens, peuples qui habitoient dix à douze villes de la Phénicie. On a publié beaucoup de fables à leur sujet. M. Silvestre de Sacy, dans une savante dissertation, a jeté, tout récemment, beaucoup de jour sur leur histoire. A. D.

2 En 1151, près de la porte de Tripoli.

3 A Tyr, le 24 d'avril 1192. Richard Cœur-de-Lion fut soupçonné d'être complice de cet assassinat; mais il produisit une lettre du Vieux de la Montagne, qui se déclaroit l'auteur du crime, J. V. L.

FIN DU TOME TROISIÈME.

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