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saient la représentation d'une pièce dont la vogue était épuisée et qui avait été régulièrement retirée du répertoire. Mais il était difficile d'ap pliquer avec succès, en un pareil temps et à une pareille pièce, les règles ordinaires. Les comédiens finirent par le comprendre. Ils avaient décidé qu'on en ferait la reprise aussitôt que la maladie très-réelle de deux artistes jouant dans la pièce le leur permettrait, lorsque, le 21 juillet 1790, les fédérés de la Provence, à l'instigation avouée et sous la conduite de Mirabeau, se réunirent au parterre de la Comédie-Française, et réclamèrent à grands cris une représentation de Charles IX. En ce moment se trouvait en scène un acteur justement considéré du public et de ses camarades, Naudet. On l'avait chargé, connaissant sa présence d'esprit et sa fermeté, de parler au nom de la Comédie; Talma n'ignorait pas cette circonstance. Naudet, tout en protestant du vif désir des comédiens de se rendre au vœu du public, déclara qu'il leur serait impossible de jouer Charles IX pendant plusieurs jours, par suite de la double maladie de Mme Vestris et de Saint-Prix. A cette réponse le bruit redouble, les cris deviennent plus forts. Alors Talma s'avance : « Messieurs, dit-il, on peut vous satisfaire. Je vous réponds de Mme Vestris. Elle jouera, elle vous donnerá cette dernière preuve de son zèle et de son patriotisme; on lira le rôle du cardinal, et Vous aurez Charles IX. On applaudit Talma avec transport; on accable Naudet de huées, et les comédiens d'imprécations. Les deux acteurs se rencontrent dans la coulisse; Naudet, irrité, reproche à Talma d'avoir voulu accréditer toutes les calomnies dont les comédiens

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étaient victimes, et, blessé par une réponse provoquante, il le frappe au visage. Un duel au pistolet s'ensuivit; aucun des adversaires ne fut atteint.

L'affaire n'en resta pas là. Depuis long-temps les comédiens étaient divisés par des querelles dont la politique était cause. Quelques - uns prennent parti pour Talma; mais la majorité se prononce contre lui. On publie un mémoire (3); il y répond (4). Son exclusion de la société est prononcée. La municipalité s'en mêle; elle exige sa réintégration; les comédiens résistent.. Enfin la paix se fait; mais de part et d'autre on s'était trop vivement attaqué pour pouvoir vivre bien eusemble. Le 1er avril 1791, Talma renonce volontairement à tous ses droits de sociétaire, et passe avec Dugazon, Grandménil, Mmes Vestris. et Desgarcins, sur le théâtre de la rue de Richelieu qu'on venait d'é-, lever, et auquel Chénier, Ducis, Lemercier, Fabre d'Églantine, Palissot, Legouvé, Arnault, avaient accordé leur patronage.

Quelques jours plus tard, le 19 de ce même mois, il contractait un mariage projeté dès l'année précédente, mais que les refus du curé de Saint-Sulpice l'avaient contraint d'ajourner (5). « Connue dans

(3) Exposé de la conduite et des torts du sieur Talma envers les comédiens français. Paris, 1790, in-80 de 30 pages.

(4) Réponse de François Talma au mé moire de la Comédie-Française. Paris, Garnéry, l'an second de la liberté, in-8° de 27 pages. Il est parlé dans cette Réponse (p. 17) d'une justification précédemment publiée: il s'agit évidemment des Réflexions de M. Talma et pièces justificatives sur un fait qui concerne le THÉATRE DE LA NATION. Paris, Bossange, 1790, in-8°.

(5) Ces refus, motivés sur l'état social du futur époux, blessèrent. profondément Talma, qui, pour tenter de les vaincre, recourut à l'autorité suprême de l'assem

le monde sous le nom de Julie, la femme qu'il épousait, plus remarquable encore par le charme de son caractère et de son esprit que par celui de sa figure, tout agréable qu'elle fût, alliait à un physique presque grêle une âme des plus énergiques. Également passionnée pour les arts, les lettres, la philosophie et la politique, après avoir réuni chez elle, sous l'ancien régime, ce que la cour et la ville avaient de plus aimable, elle y réunissait, depuis la révolution, aux littérateurs et aux artistes les plus célèbres, les plus célèbres membres de la législature (6). » C'est dans le salon de Julie que Talma se lia avec Riouffe, Condorcet, Gensonné, Vergniaud et la plupart des Girondins. Il possédait rue Chantereine une maison, vendue depuis au général Bonaparte, où il donna à Dumouriez, revenu vainqueur de l'armée du Nord, une fête à laquelle assistèrent Chénier, Méhul, Ducis, Chamfort, et tous les députés de la Gironde. Marat, qui n'était pas invité, s'y présente à l'improviste; et il apostrophe Dumouriez, qui lui répond dédaigneusement. Marat continue ses invectives, et entraîne peu à peu Dumouriez dans une pièce écartée, où s'établit entre eux une discussion à voix basse. Durant cette scène, Dugazon, qui malgré son talent remarquable de comédien avait un esprit des plus extravagants, suivait Marat dans tous ses mouvements, en jetant des parfums sur une pelle rougie au feu,

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pour purifier, disait-il, l'air que le monstre infectait de sa présence, » Cette plaisanterie, comprise de celui qui en était l'objet, faillit coûter cher à Talma. Le lendemain, en effet, il était dénoncé par Marat, lui et les conspirateurs qu'il réunissait dans sa maison, et, à partir de ce moment, Talma fut un suspect. Lorsque vint le temps où le tribunal révolutionnaire multipliait indistinctement ses victimes, un de ses amis l'informa que son nom était porté sur une liste de proscription. Dès-lors, sans repos, craignant à chaque instant d'être arrêté, ce n'était qu'en tremblant, et presque toujours accompagné d'un de ses camarades, que Talma rentrait dans sa demeure. Pourtant, ajoute Alexandre Duval (voyez dans ses OEuvres complètes, Ill, 435-441, la Notice sur Bénowski), à qui nous devons de connaître cette circonstance de la vie de Talma, les angoisses de son esprit, si cruelles à cette époque, loin de nuire à son jeu, lui imprimaient au contraire plus de vérité et d'énergie, et ce fut assurément son rare talent, pour lequel le public se passionnait chaque jour davantage, qui le sauva de l'échafaud. Croiraiton, cependant, qu'à la suite du 9 thermidor, au plus fort de la réaction contre les excès révolutionnaires, Talma fut accusé de participation aux crimes de ceux qui avaient me nacé sa tête, et d'avoir contribué à l'incarcération des comédiens français, jetés dans les prisons le 4 sept. 1793? Ce bruit s'accrédita. Un soir qu'il jouait dans Epicharis et Néron, il fut accueilli par des murmures.

Citoyens, dit Talına sortant de son rôle, j'avoue que j'ai aimé et que j'aime encore la liberté; mais j'ai toujours détesté le crime et les assas-,

sins. Le règne de la térreur m'a coûté bien des larmes : la plupart de mes amis sont morts sur l'échafaud (7).

Cette justification fut bien accueillie; elle se trouva confirmée par le double témoignage de mademoiselle Contat et de La Rive, qui s'élevèrent avec indignation contre les calomnies dont Talma était l'objet. La Rive attesta même que c'était

(7) Il y a sans doute plus d'exactitude historique dans le récit qu'on va lire; nous l'empruntons au Républicain français du 3 germinal an III. Le rédacteur, après avoir rendu compte de la formidable iusurrection qui venait d'épouvanter Paris, et de l'ardeur avec laquelle presque toutes les sections de la capitale avaient pris les armes, ajoute : << Tandis que les patriotes, réunis en armes, parcouraient les rues de Paris en chassant devant eux les hordes sanguinaires des jacobins, quelques héros de coulisse se sont répandus dans les théâtres pour y exciter du trouble. A celui de la République, ils ont interrompu la pièce (Fénelon) et demandé que Talıà fût chassé comme terroriste. Ils voulaient que le directeur Gaillard leur en fît la promesse. Dans les premiers mouvements de l'indignation publique contre ceux des satellites de nos derniers tyrans qui osaient encore affronter les regards sur la scène, Talma a été couvert des applaudissements qu'on devait à une victime désignée. On s'est rappelé ses titres à l'échafaud, l'amitié qui l'unissait à des hommes dont la posté rité inserira les noms sur la colonne des il

lustres martyrs de la liberté, à Vergniaux, à Ducos, à Fonfrède... Il est secrètement accusé, dit-on, d'avoir provoqué l'arrestation des comédiens français. C'est à La Rive, à Fleury, à Contat, d'écarter une pareille inculpation: un artiste d'un talent aussi distingué que Talma ne doit point avoir besoin de se défendre d'une bassesse. » Dès le lendemaiu Mlle Contat, et le surlendemain La Rive, répondaient noblement à l'appel qui leur était fait. C'est ici le lieu de reproduire leurs généreuses et sincères déclarations.

AU RÉDACTEUR DU Républicain français.

«Le 3 germinal, l'an III de la république française.

« Ce fut à l'époque même de notre persecution que je reçus de Talma et de sa femme (que je ne voyais plus depuis longtemps) des marques d'un véritable intérêt.

à ses soins et à son activité qu'il était redevable de l'avis salutaire qui lui avait permis d'échapper aux poursuites de quatre aides-de-camp d'Hanriot. Ce fut vers cette époque que Talma fit la connaissance de Bonaparte. « On a répandu, a-t-il dit luimême (8), une fable ridicule, d'après laquelle je lui aurais donné des leçons pour apprendre son rôle d'em

Je les jugeai si peu équivoques qu'elles fi rent disparaître les légers nuages de nos anciennes divisions et nous rapprochèrent. Je m'empresse de rendre cet hommage à la vérité. Puisse-t-il détruire une inculpation que je ne savais pas même exister!

« Je ne concevrai jamais qu'un artiste spécule froidement sur la ruine des autres, et je pense que Talma n'était pas alors plus disposé à profiter de nos dépouilles que nous ne le serions aujourd'hui à bénéficier des siennes je dis nous sans avoir consulté mes anciens camarades; mais je le dis avec la certitude de n'en être pas désavouée, << Louise CONTAT.>>

L'article inséré dans le Républicain français du 4 de ce mois me fournit une occasion de rendre hommage à la vérité et justice à un de mes anciens camarades. Loin d'avoir contribué à l'arrestation des comédiens français, Talma a été volontairement au-devant du coup qu'on voulait me porter; c'est à ses soins et a son activité que je dois l'avis salutaire qui n'a soustrait aux poursuites des quatre aides-de-camp d'Hanriot lorsqu'ils vinrent à ma campagne me mettre hors la loi et donner l'ordre de tirer sur moi. J'ose espérer que le public, juste et impartial, ne retirera jamais son estime à ceux qui sont dignes de sentir qu'il n'est point de bonheur pour l'homme de bien saus l'amour de ses semblables.

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MAUDUIT LA RIVE. » C'est au Moniteur du 7 germinal que fut insérée la note de La Rive; on y lit le certificat suivant, curieux à plus d'un titre: « J'ai connu Talma il y a quinze mois, à l'époque ou commencèrent les désastres intérieurs de la république, et je dois a l'amitié, à l'amour des arts et à la vérité de déclarer qu'il ne peut avoir de persécuteurs et d'ennemis que parmi les royalistes et les partisans du 31 mai. TROUVÉ.>>

Fleury, à ce qu'il paraît, garda le silence.

(8) Louis XI, le cardinal de Retz et Talma, par Audibert. Paris, 1845, in-8o, p. 264. - 1

pereur. Il le jouait assez bien sans moi ! Certes, il n'avait pas besoin de maître. »

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Ce qui est vrai, c'est que la faveur de Napoléon survécut, lorsqu'il devint empereur, aux relations familières qui avaient précédemment existé entre lui et Talma. Ce fut le monarque qui exigea du comédien la continuation de ses visites. Une fois au moins par semaine, Talma se rendait aux Tuileries; il choisissait l'heure du déjeuner de l'empereur. Le lendemain d'un jour où Talma avait joué le rôle d'Assuérus (4 juillet 1806), Napoléon, comme d'habitude, lui fit des observations sur son jeu, sur la pièce, sur Racine et sur la mai son de Saint-Cyr. Chaque fois qu'une religion se mêle aux affaires humaines, dit-il, c'est presque toujours par l'intermédiaire d'une femme. Puis il ajouta comme se parlant à lui-même : Cela s'explique, il est de l'intérêt des prêtres et des femmes de se liguer autour du trône pour le dominer. Cette Esther est la Maintenon de ce temps-là. Elle fait signer une espèce d'édit de Nantes, comme celle de Versailles le fit révoquer; l'une protégea les Juifs, l'autre persécuta les réformés. Et cependant les courtisans de SaintCyr louaient dans Esther Madame de Maintenon! C'est qu'ils ne voyaient dans tout cela ni Juifs ni protestants, mais deux femmes qui, par leur empire sur l'esprit et le cœur d'un monarque, disposaient du sort des peuples... Quelle singularité que cette nation juive!... Tous les grands princes ont associé leur nom à son histoire. Et après quelques instants de silence, pendant lesquels il était resté pensif, l'empereur, se tournant vers le ministre de l'intérieur, alors M. de Champagny, qui

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était entré pendant l'entretien: On pourrait peut-être, dit-il, faire quelque chose des juifs (9). Quinze jours plus tard, le 26 juillet, paraissait un décret qui convoquait à Paris la réunion des notables Israélites; on avait le grand sanhedrin.

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Après avoir rompu son premier mariage par un divorce (6 février 1801), Talma épousa le 16 juin 1802 Charlotte Vanhove, artiste distinguée du Théatre-Français. En septembre 1808, ils partirent tous deux pour Erfurth, où Napoléon devait rencontrer le czar et plusieurs autres souverains. Son intention était de faire jouer à Talma ses rôles favoris: Je vous donnerai là, lui avait-il dit, un beau parterre de rois.» Ce fut Napoléon lui-même qui indiqua, parmi les tragédies à mettre à la scène, la Mort de César. L'étonnement de Talma fut grand, mais ses observations sur la convenance de représenter un tel ouvrage devant tant de majestés n'ébranlèrent en rien la volonté de l'empereur. On joua la pièce; mais, sauf Napoléon, qui à ce moment croyait sa puissance à l'abri des allusions, et qui parut s'amuser beaucoup de la surprise, de l'embarras de tous ces maîtres du monde, cette bizarrerie ne fut du goût ni des acteurs ni des spectateurs. Pas un n'osait regarder son voisin, dans la crainte de paraître faire une application. Jamais, disait Talma, représentation ne fat plus extraordinaire; les acteurs enxmêmes étaient gênés sur la scène; nos gestes étaient rétrécis, nous n'osions nous abandonner à aucun mouvement. Madame Talma, qui était au nombre des spectateurs, partageant notre inquiétude, se

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(9) Louis XI, le cardinal de Retz et Talma, p. 272-73.

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trouva mal à la fin du spectacle. De retour à Paris, et se livrant avec une nouvelle ardeur à des études dont nous parlerons plus loin, Talma voyait son nom grandir chaque jour dans la faveur publique. Jamais artiste, on peut le dire, n'a joui durant toute sa carrière d'un succès plus constant, n'a plus complétement réuni les suffrages enthousiastes de ses confrères, des gens de lettres, de la critique, des hommes du monde et du peuple. Aussi combien cet accord universel sur son talent ne devait-il pas lui rendre sensibles les attaques dont Geoffroy le poursuivait dans le Journal de l'Empire! Jeune encore, Talma avait fréquenté les classes du collége Mazarin. Là, il avait pu connaître le célèbre professeur de rhétorique sous la redoutable férule duquel il se trouvait ainsi placé. Sans égard pour ces souvenirs, qui du reste n'inspiraient à Geoffroy aucune clémence, perdant tout sentiment de modération à la lecture d'un article dans lequel il trouvait que le droit de la critique était poussé contre lui au delà de toutes les bornes, il se fit un soir (9 décembre 1812) ouvrir la loge où le prince de la critique assistait tranquillement au spectacle, et se porta sur lui à des violences que ne pouvait justifier une injustice même outrée. Cette incartade fit grand bruit. Talma plus tard se l'est beaucoup reprochée; elle aurait pu lui faire perdre la bienveillance du public, si elle n'avait été presque excusée à l'avance par suite du peu de sympathie qu'inspirait le sévère Geoffroy, et par le retentissement des amères censures dont la critique accablait le comédien. Geoffroy se vengea dans son journal par un bon

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article, moitié plaisant, moitié sérieux. Il déclara que pour l'avenir il abandonnait le tragédien aux flatteurs, et que ne pouvant plus, par honneur, dire ni bien ni mal de son talent, il garderait sur son compte le plus profond silence. Cet engagement, il faut le dire, ne fut qu'imparfaitement tenu.

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Profondément reconnaissant pour les bontés de l'empereur, dont les libéralités avaient plus d'une fois mis de l'ordre dans ses affaires, Talma lui écrivit à Fontainebleau, lors de son abdication, une lettre qui toucha le cœur de Napoléon, au moment où tout l'abandonnait, les hommes et la fortune : Votre lettre ne m'étonna point, mon pauvre Talma, lui dit-il à une de ses réceptions pendant les Cent-Jours; vous étiez malheureux en me l'écrivant, mais le sort a de beaux retours; je vous apporte la réponse moi-même. Je sais, continua-t-il, que Louis XVIII vous a bien reçu.Vous devez être flatté de son suffrage; c'est un homme d'esprit, qui doit s'y connaître; il a vu Lekain. » Si, dans sa jeunesse, Talma avait montré trop de vivacité, un esprit inquiet, on doit reconnaître que le reste de sa vie fut un démenti donné à ses premières années. Rien de plus doux, de plus sociable que son caractère. Il apportait dans la société une grande aménité de mœurs, une rare distinction de manières : en descendant du théâtre il en dépouillait les habitudes; jamais artiste ne posa moins. Il était généreux, compatissant, un peu faible, un peu jouet de ses minuties, craintif sur le prestige qui l'entourait, d'humeur facilement rieuse, adorateur passionné de la nature, et mettant son bonheur, appliquant toute sa fortune à l'embellissement de la

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