Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

二街

se rendit seul, le lendemain dès le matin, à Arnouville, afin de préparer le roi à un événement aussi extraordinaire, et il s'acquitta de cette difficile mission avec sa dextérité accoutumée. Sans trop faire valoir l'esprit et les talents de son confrère, il sut vanter à propos son influence sur le parti révolutionnaire et même sur les royalistes, la facilité qu'il aurait par là d'aplanir les marches du trône, de calmer toutes les passions. Cette perspective ne pouvait manquer de séduire le pacifique Louis XVIII. Lord Wellington et Fouché le trouvèrent donc parfaitement disposé, lorsqu'ils arrivèrent à leur tour dans la voiture du généralissime, ainsi qu'il avait été convenu.

C'est sans doute un des faits les plus remarquables de notre histoire, que la présentation au frère, au sụccesseur de Louis XVI, de deux des hommes qui avaient le plus contribué au détrônement, à la mort de ce prince! Et comment ne pas s'étonner que cette présentation ait été faite par le généralissime d'une coalition de rois qui, vingt-trois ans auparavant, s'étaient ligués pour réprimer nos premiers désordres, pour en châtier les auteurs, ainsi que l'avait annoncé hautement dans ses manifestes leur généralissime le duc de Brunswick, qui avait ensuite si honteusement capitulé avec la révolte, s'était retiré quand il pouvait l'anéantir! Et à présent un autre généralissime, représentant des mêmes rois encore une fois ligués dans le même but et pour la même cause, après avoir remporté une des victoires les plus complètes dont i'histoire fasse mention, lorsque les destinées du monde sont dans ses mains, vient s'humilier devant le parti qu'il a vaincu, vient en reconnaître les principes,

et veut en faire accepter les doctrines, les vaines théories par un prince qui si longtemps en a été victime! et il veut qu'à l'instant même ce prince se livre aux mains de ses ennemis, qu'il repousse tous les siens!... Il y a dans ces faits bizarres tant de contradictions, d'anomalies, qu'il estimpossible de les expliquer, si l'on n'admet comme cause première des calamités de l'Europe le peu de bonne foi et de franchise que les rois ou leurs conseils mirent à combattre la révolution. C'est ce dont personne ne peut plus douter aujourd'hui, et il est évident que les princes euxmêmes l'ont enfin reconnu, puisque la politique des cabinets semble ne plus être la même.

On sait que, pour cette mémorable entrevue, Talleyrand devait devancer Fouché. Ainsi le prince de Bénévent se rendit dès le matin au château d'Arnouville, où le duc de Wellington devait un peu plus tard amener le duc d'Otrante dans sa voiture. Tout cela se fit avec la plus rigoureuse exactitude, et le ministre des affaires étrangères n'oublia rien de ce qui pouvait persuader Louis XVIII de l'absolue nécessité où il était de prendre pour ministre un des meurtriers de son frère, l'un des hommes les plus féroces de cette horrible époque! Selon lui, il n'y avait que ce moyen de rétablir le trône sans péril, sans la moindre secousse, de régner en paix et dans le calme le plus parfait. Louis XVIII ne put tenir à d'aussi séduisants motifs, et il était parfaitement convaincu, lorsqu'on lui annonça le duc d'Oirante et son puissant protecteur. Talleyrand alla au-devant d'eux, et tous les trois entrèrent avec un air triomphant. Fouché parut cependant éprouver un peu d'embarras, et

[ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

y almets comme ministre de la po

[ocr errors]

lice. Encouragé par d'aussi flatteuses paroles, le nouveau ministre se remit peu à peu, et il en vint bientôt à discuter devant le monarque les nécessités des circonstances, l'impossibilité de faire mieux que de le prendre pour ministre, comme aussi le duc de Bénévent son confrère; et il finit par remettre au monarque un mémoire dont la conclusion n'était pas moins que de reconnaître les deux chambres telles qu'elles existaient, d'accepter la constitution qu'elles fabriquaient encore, d'approuver tout ce qui avait été fait pendant l'interrègne, de licencier la maison militaire, enfin de rejeter le drapeau blanc et d'accepter la cocarde nationale. L'énormité de ces concessions parut donner quelque énergie à Louis XVIII: il dit sèchement à Fouché qu'il y réfléchirait, et sur-le-champ il réunit son conseil, où il dit hautement qu'il aimerait mieux retourner à Hartwell que d'y consentir; que le drapeau blanc n'était pas seulement celui de sa famille, qu'il était depuis huit siècles celui de la France; qu'il n'avait pas le droit de le changer. Enfin il résolut d'entrer dès le lendemain dans Paris avec sa seule maison militaire, d'aller s'établir aux Tuileries, de recréer tous les pouvoirs, et de mettre fin à cette parodie de gouvernement, devenu le ser

vile instrument des étrangers, des factions, et qui ne se soutenait plus que par l'audace des uns et la lâcheté des autres! C'était là, on doit le reconnaître, un beau mouvement, une résolution digne du petit-fils de Louis XIV; mais on a déjà vu que chez lui de pareils élans duraient peu, et que les vrais amis ne devaient pas y compter. Fouché et Talleyrand le savaient bien, et ils ne s'en effrayèrent pas.

Pendant ce temps, le duc d'Otrante, qui était retourné à Paris, où il avait besoin de mettre la dernière main à ses innombrables intrigues, vint à bout d'éconduire, sans trop de rumeur, le pouvoir éphémère dont il était le chef. Ayant trouvé, à son arrivée, la commission de gouvernement réunie, il y dit hautement et sans scrupule qu'il venait d'Arnouville. Carnot fut le seul de ses collègues qui osa dire que dans sa position il n'aurait pas dû faire une pareille démarche sans en prévenir la commission. Alors le duc régicide, levant le masque, dit brusquement : « J'y suis allé pour moi-même, je n'en dois compte à « personne. D'ailleurs, je ne veux pas le dissimuler, je suis le minis«tre du roi Louis XVIII! » On conçoit l'émotion que causa dans l'assemblée une déclaration aussi inattendue. De tous ces fiers républicains, il n'y en eut pas un qui osât lui dire hautement sa pensée. Sans s'inquiéter davantage de cette timide opposition, le nouveau ministre du roi, ayant appris que quelques symptômes du même genre se manifestaient dans la chambre des députés, y envoya la compagnie des volontaires royaux de M. Decazes, qui lui était particulièrement dévouée, et il en fit fermer les portes à la manière de Cromwell; ce qui ne

a

[ocr errors]

causa pas la moindre émotion dans Paris, où l'on s'en aperçut à peine; et ce qui n'est pas moins digne de remarque, c'est que cet exploit fit donnèr au capitaine des volontaires royaux qui en avait été chargé la place de M. Courtin à la préfecture de police, puis un peu plus tard celle de Fouché lui-même au ministère de la police... A quoi tiennent les destinées humaines!

Le roi, qui avait résolu, comme nous l'avons dit, de faire le lendemain son entrée dans Paris, fut en effet prêt dès le matin de cette mémorable journée du 8 juillet; et il était à la porte de sa capitale avec sa petite armée lorsque les habitants n'osaient plus espérer qu'il y revînt jamais. Comme on avait annoncé une entrée solennelle, et qu'on savait que cette méthode était fort dans les goûts du monarque, on envoya dans tous les quartiers, pour y faire des recrues et suppléer à l'insuffisance de l'armée royale, restée peu nombreuse après tant de répulsion, d'incertitudes; et ce fut surtout aux volontaires du mois de mars que l'on s'adressa. Mais comme la plupart de ces braves gens, après avoir fait le voyage d'Arnouville, en étaient revenus peu satisfaits et décidés à ne plus y retourner, cet appel eut peu de succès. On revint à la charge auprès de moi à plusieurs reprises, et l'on me pressa vivement d'avertir ceux que je connaissais. Sans repousser entièrement ces instances, je ne pus résister au penchant, aux affections de toute ma vie; naturam expellas furca. Je saisis mon épée, et me rendis à la barrière Saint-Denis, où je trouvai le cortége royal déjà formé et près d'entrer. On me donna le com. mandement du premier peloton, et je marchai en tête de la colonne jusqu'aux Tuileries. Le roi ne trouva sur

LXXXIII.

son passage, il faut le dire, ni la même foule, ni les mêmes applaudissements qu'au 3 mai de l'année précédente. Plusieurs causes se réunissaient pour qu'il y eût une grande différence entre ces deux époques. La première, c'est que beaucoup savaient déjà que Fouché et Talleyrand allaient être ministres, que sous de tels auspices les errements, les fautes de l'année précédente semblaient près de recommencer, que tout le monde pensa que tous les coupables ne seraient pas punis, et que les services des bons resteraient en oubli. Enfin on voyait déjà dans Paris des étrangers que deux jours auparavant le roi aurait pu y précéder! Cette dernière circonstance fut, sans nul doute, la plus affligeante; car c'était l'indice de tous les maux qui allaient accabler la patrie, l'annonce, trop évidente pour tous les bons Français, d'être traités en pays conquis, en peuple vaincu, au lieu d'alliés, d'auxiliaires, comme toutes les déclarations, toutes les conventions devaient le garantir. Arrivés dans la cour des Tuileries, nous y attendîmes que Sa Majesté voulût bien nous envoyer des ordres, ou qu'elle daignât nous remercier de nos services, peu considérables, il est vrai, mais dont l'utilité n'avait pas dépendu de nous. Rien de tout cela n'arrivant, nous pri mes le parti de nous séparer et de retourner chez nous, à peu près comme nous avions fait deux jours auparavant. Ce fut alors que vint à moi le célèbre Dandré, qui lui aussi revenait de Gand, où il n'avait pas peu contribué à faire aller Sa Majesté. « Vous

[ocr errors]

êtes bien peu nombreux, me dit-il « tout bas.—Je suis étonné que nous « soyons autant de monde, lui répondis-je brusquement. Com- ment donc ! ajouta-t-il, est-ce que

21

[ocr errors]

"

[ocr errors]

a

[ocr errors]
[ocr errors]

a

l'on n'est pas content?-Comment le serait-on? lui dis-je encore. Voyez-vous ces canons? (c'étaient ceux des Prussiens, braqués sur le palais); tout cela ne serait pas arrivé si de mauvais conseils n'avaient empêché le roi de venir plus tôt à Paris (31). Ne voyezvous pas que nous sommes sous le joug des Prussiens, et, qui pis est, - sous celui des révolutionnaires ligués avec eux? A ce peu de mots, ce grand publiciste, cet homme qui si long-temps avait fait les affaires de Louis XVIII en France et en Allemagne, resta stupéfait et ne sut rien répondre. Je le saluai poliment, et je retournai à ma paisible demeure, comme firent més camarades, tous bien décidés à ne plus songer à cette glorieuse campagne de 1815, et disant comme Marmontel à l'occasion des quatre Bretons qui périrent sur l'échafaud à Nantes le jour où la duchesse du Maine rentra en triomphe dans son château de Sceaux : « Voilà « ce qui arrive aux petits quand ils veulent se mêler des affaires des grands. J'eus cependant encore une fois besoin,quelques jours après, de m'occuper de mes fonctions de commandant des volontaires royaux. Plusieurs d'entre eux vinrent me prier de les accompagner chez le général Dessole, qui avait pris le commandement de la garde nationale, afin d'en obtenir un acte qui constatât, sinon leurs services réels, au moins l'intention qu'ils avaient eue d'en rendre. Chargé de porter la parole, j'exposai les faits très-simplement et très-mo

(31) Je soupçonnais avec quelque raison, en ce moment, que l'ex directeur de la police royale, ancien collègue et ami de Talleyrand à l'assemblée constituante, bien qu'il eût suivi depuis une ligne de politique en apparence différente, n'était pas étranger à ces conseils.

destement, annonçant qu'il devait y avoir dans les archives de l'état-major des traces de notre existence. A quoi le général répondit que, par une précaution de prudence dont nous devions le remercier, toutes les traces de ce fait avaient été détruites aussitôt après le départ du roi; que d'ailleurs c'était des circonstances malheureuses qu'il fallait oublier... Nous comprîmes sans peine toute la portée d'une pareille réponse, et il nous fut démontré que ce n'était pas seulement pour les méfaits et les injures que l'oubli était si hautement recommandé. Pour cela je n'avais déjà plus besoin de la leçon du général Dessole, et depuis je n'ai pas cessé de m'y soumettre. Si, dans le récit que je viens de faire, on pouvait croire que j'ai mis trop de soin à ce qui me concerne, je prie le lecteur de considérer que je n'en ai rapporté que ce qui se lie essentiellement à l'histoire générale et ce qui concerne plus particulièrement l'ancien évêque d'Autun, qui fut sans nul doule à cette époque le principal moteur des plus grands événements.

Ainsi les deux coryphées de la diplomatie révolutionnaire en étaient venus à leurs fins. Dans cette lutte de ruses et d'intrigues, ils avaient déployé une audace, une habileté véritablement satanique, une fourberie qu'on ne peut comparer qu'à celle des héros de Milton. On'avait vu le plénipotentiaire, représentant au congrès une puissance déchue ou du moins tombée au second rang, y jouer encore un des premiers rôles et correspondre en même temps avec Louis XVIII à Paris, puis à Gand et à Twickenham avec Dumouriez et le duc d'Orléans, dont il faisait circuler les mémoires par le baron de Dalberg et la duchesse de Cour

lande; enfin, à Paris avec Fouché, et, ce qui est plus remarquable, avec l'empereur Napoléon, qui cependant l'avait proscrit par une ordonnance, et l'accusait hautement de trahison en lui imputant tous ses malheurs. Les rapports secrets que Talleyrand eut alors avec son ancien maître, ou du moins avec Caulaincourt, sont • si étonnants, qu'il est difficile d'y croire; mais d'après Las-Case, Napoléon lui-même a dit, à Sainte-Hélène, que le prince de Bénévent lui avait offert ses services, et qu'il les avait refusés, ne voulant pas se commettre avec un pareil homme. D'un autre côté Menneval, auquel nous croyons plus qu'à l'auteur du Mémorial de Sainte-Hélène, assure le même fait, et dit que les propositions vinrent de Napoléon, par l'entremise de Caulaincourt, qui envoya pour cela à Vienne le fameux Montrond, créature connue de Talleyrand, avec qui Menneval dit positivement avoir eu plusieurs entretiens dans le château de Schoenbrunn, où il se trouvait avec l'impératrice Marie-Louise. Ainsi il est bien sûr qu'il y eut alors des rapports entre Napoléon et le plénipotentiaire de Louis XVIII; il ne peut plus y avoir de doute que sur la question de l'initiative. Et dans le même temps, Talleyrand eut encore des communications avec Fouché, qui fut toujours son rival ou son complice. A cette époque, le duc d'Otrante avait recouvré son portefeuille de la police par la bonté de Napoléon, qui lui aussi s'était cru forcé d'obéir au parti de la révolution. Une position aussi extraordinaire le mit plus que jamais en rapport avec tous les complots, toutes les intrigues. C'était, au reste, son élément; il a déclaré qu'il n'avait jamais été plus heureux. Napoléon,

qui ne se défiait pas moins de lui que de Talleyrand, se croyait néanmoins obligé de les employer l'un et l'autre dans les affaires les plus importantes! Réinstallé dans son ancien ministère, s'était mis Fouch en rapport, d'abord avec Talleyrand au congrès de Vienne, puis avec le prince de Metternich, auquel il adressa, par l'entremise d'un nommé Werner, à Basle, plusieurs émissaires, entre autres le littérateur Ginguené, qui dut en même temps voir à Berne son ami Laharpe, afin de savoir s'il ne pourrait pas en tirer parti auprès de l'empereur Alexandre, auprès de qui il ne désespérait pas de se remettre en crédit. Avec Metternich, il est évident que c'était de la régence pour le fils de Napoléon qu'il s'agissait, et ce qui prouve que les liens de cette formidable coalition tenaient à peu de chose, et qu'on aurait pu facilement la dissoudre en la divisant par des intérêts particuliers, c'est que le ministère autrichien y adhéra au premier mot, à condition toutefois d'éloigner Napoléon, ce à quoi celui-ci ne voulut pas consentir. Nous ne pensons pas, au reste, que ces propositions de régence aient été le seul objet des rapports secrets que Fouché eut alors avec Metternich. Ce n'était pas là le but principal du ministre de Napoléon. Comme Talleyrand, ancien ami du parti d'Orléans, il avait sans doute connaissance des mémoires venus d'Angleterre et distribués au congrès par les soins de la duchesse de Courlande et du baron Dalberg. Ce parti avait alors peu de chances de réussir; mais l'avenir était si incertain, tant de prétentions, tant de partis semblaient prêts à se combattre, le succès était si douteux, que, pour deux hommes prévoyants

« ZurückWeiter »