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pièces du même genre. Son premier mouvement fut de me féliciter de mcn zèle; mais quand il apprit que tout cela se faisait par ordre des com missaires du roi Semallé et Polignac, il garda le silence, et me donna lieude penser que, s'il eût connu plus tôt un autre imprimeur qui eût bien voulu se charger de cette périlleuse opération, il ne fût pas venu me chercher, ce qui aurait pu être trèsfâcheux pour les projets de M. de Talleyrand, mais certainement trèsheureux pour moi, qui n'en ai recueilli que des infortunes, et qui plus d'une fois, ainsi que Lafitte dans une circonstance analogue, ait été tenté d'en demander pardon ́à

gé en celui de Déclaration, que nous lui donnâmes et qu'il a conservé dans l'histoire. M. de Dalberg en fit aussitôt une copie destinée à l'impression, et cette copie fut confiée aux soins diligents du secrétaire Laborie. Tout le monde sentait la nécessité d'une prompte publication; mais tous les ateliers étaient fermés, et il était impossible de s'adresser au directeur de l'imprimerie impériale, dont le dévouement à l'empereur était connu. Laborie répondit de tout avec cette assurance, cette activité qui l'a fait surnommer le Figaro de notre époque. Il avait d'ailleurs un grand intérêt au dénouement de cette révolution, ne doutant pas que la première conséquence en fût la restitution de la propriété du Journal des Débats, dont lui et ses amis Bertin avaient été dépouillés quel ques années auparavant. On ne s'étonnera donc pas du zèle qu'il y mit. Cependant ses premières démarches ne furent pas heureuses; il ne trouva que des portes fermées par la terreur. Bonaparte venait d'arriver à Fontainebleau avec cinquante mille hommes. Enfin, vers midi, le secrétaire du prince de Talleyrand entra dans l'atelier d'imprimerie que je possédais alors dans la rue des Bons - Enfants. A son grand étonnement, il y vit tout le monde à l'œuvre, et déjà imprimées en grand nombre les proclamations du roi et de la famille royale, celle du prince de Schwartzenberg (22), et d'autres que l'empereur donnât un ordre et fit con

(22) Cette proclamation du généralissime est un des faits les plus remarquables de cette époque, en raison des expressions, qui s'y trouvaient beaucoup plus favorables à la cause des royalistes qu'on ne s'y était attendu de la part d'un général autrichien. On a dit que le manuscrit en avait été

donné par Talleyrand; mais nous pouvons assurer que cela n'est point, ayant entendu faire le récit de cette proclamation trouvait alors au quartier général de l'empar l'ambassadeur Pozzo di Borgo, qui se pereur Alexandre avec quelques autres Français émigrés, lesquels, ainsi que lui, faisant tous leurs efforts pour le triomphe de la cause royale, imaginèrent de faire envoyer au généralissime, par l'empereur Alexandre, le manuscrit d'une proclamation qu'ils avaient rédigée. Le czar ac cueillit très-bien cette idée et Schwartzenberg n'hésita pas à la faire imprimer; mais il n'y mit point son nom, ce dont ces messieurs se hâtèrent d'informer l'empereur, qui, étantaussitôt monté à cheval pour se rendre au quartier général de SchwartZenberg, le rencontra sur son chemin. Tous

deux étant descendus de cheval, le czar dit au prince autrichien avec une extrême bienveillance: « Général, je vous fais com

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pliment sur votre excellente proclamation, que je viens de lire. Tout en est « très-bien, Avec votre nom au bas, ce sera << merveille... » Il était impossible sans doute

naître ses intentions avec plus de politesse et d'égards. On doit bien penser que Schwartzenberg n'hésita plus. Le lende main la proclamation fut imprimée avec son nom. C'est sur un exemplaire de cette première impression, faite à Coulommiers et envoyé aussitôt aux commissaires du roi par M. de Langeron, que furent réimprimés tous ceux que l'on répandit dans Paris dès le matin du 31 mars,

Dieu et aux hommes. Comme il n'y avait pas à choisir, il me laissa le manuscrit, se bornant à me dire que le cas était urgent, ce dont je fus bien convaincu après l'avoir lu avec attention, et l'avoir communiqué à quelques amis qui, inquiets comme nous l'étions tous en un pareil moment, étaient venus chez moi à la recherche des nouvelles. Tous virent avec une extrême joie les princes confédérés disposés à favoriser la cause des Bourbons, regrettant toutefois de les voir ainsi, sous les auspices de M. de Talleyrand, entrer dans un système de concessions et de réhabilitations révolutionnaires auquel personne ne s'attendait et qui ne pouvait que perpétuer les malheurs de la France. Mais il ne nous appartenait pas de juger les motifs des hautes puissances, et le moindre retard pouvait tout perdre. Je donnai donc la pièce à mes ouvriers sans y changer autre chose que le titre de Proclamation en celui de Déclaration, qui me parut mieux convenir au ton et à l'esprit de cet acte mémorable. M. de Talleyrand lui-même me fit compliment de cette substitution, lorsque, deux heures après, je lui en portai l'épreuve, et que nous la lûmes ensemble dans l'embrasure d'une croisée de son salon sur la rue de Rivoli. Cette lecture était à peine commencée, lorsque nous vîmes déboucher aux cris de vive le roi, par toutes les issues de la place Louis XV, des groupes de royalistes décorés de cocardes blanches, et distribuant ou lisant des proclamations et adresses de la famille royale et du prince de Schwartzenberg. C'était le mouvement qu'avaient préparé les commissaires du roi, et dont madame de Semallé elle-même

venait de donner le signal en déployant à sa fenêtre, sur le boulevard de la Madeleine, deux magnifiques drapeaux blancs, et en s'écriant, au moment où passèrent devant son hôtel les monarques alliés : Vive Alexandre, s'il nous rend nos Bourbons! Frappé d'étonnement et singulièrement attendri, ce monarque s'arrêta pour saluer madame de Semallé, et lui dit avec une vive émotion: Oui, madame, vous les reverrez: vive votre roi Louis XVIII et les jolies dames de Paris! Un respectueux silence permit à tout le monde d'entendre ces remarquables paroles, qui furent suivies de longues et unanimes acclamations. Tous les souverains, tous les princes qui accompagnaient Alexandre vinrent à leur tour saluer madame de Semallé et ses drapeaux. Cette scène, qui eut quelque chose de dramatique, fut sans nul doute un des épisodes les plus remarquables de cette grande journée, et elle fit sur les armées de la coalition une très-vive impression. En tout, ce mouvement spontané du parti royaliste, que l'on s'était tant efforcé de faire considérer comme impuissant, comme anéanti, fut du meilleur effet; mais M. de Talleyrand, qui vivait tout à fait hors de ce parti, n'en était pas prévenu, et il n'y avait certainement eu aucune part. Il me fit beaucoup de questions sur les causes de cette émeute (ce fut son expression), sur les commissaires du roi, qu'il feignit de ne pas connaître, et dont je pense cependant que son secrétaire Laborie lui avait parlé. Quand je lui dis que toutes ces proclamations qu'il voyait distribuer sortaient de mon atelier, il m'en fit compliment, mais avec un peu de froideur, et finit par me dire que cette manifestation était impru

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dente, prématurée, qu'elle pourrait avoir de graves inconvénients. Sans paraître en aucune façon persuadé de ce qu'il me disait, je continuai ma lecture, et je n'avais pas achevé, lorsqu'on vint lui dire que M. de Caulaincourt se présentait pour être introduit auprès de l'empereur Alexandre. Fort mécontent de cette apparition, il répondit d'abord un peu brusquement qu'il ne savait point quand ce monarque viendrait, mais qu'il était bien persuadé que ce jourlà il ne recevrait personne. Puis, ayant suivi le valet jusque dans l'antichambre, il lui fit à voix basse quelques recommandations que je n'en tendis point, mais dont je compris sans peine l'objet; puis il revint à moi en disant : « J'espère que nous • allons marcher vite, et que demain, dès le matin, l'affiche sera sur tous les murs de Paris.- Comment, lui dis-je, mon prince! j'espère bien qu'elle y sera ce soir; j'ai dix afficheurs qui m'attendent pour celą. A merveille! dit-il; mais l'empereur ne l'a pas encore lue; et il pourrait y changer quelque chose! Vous ne publierez rien sans qu'il ■ l'ait approuvée...» Ainsi il fallut attendre, et je m'y résiguai. Heureusement le czar larda peu, et j'étais sur son passage avec mon épreuve à la main, lorsque, pour la première fois, il entra dans l'hôtel Talleyrand, le 31 mars 1814, a quatre heures du soir. J'aurais bien voulu la lui remettre moi-même, et j'étais convaincu que c'était l'affaire la plus importante dont il pût s'occuper. M. de Talleyrand le pensait sans doute aussi; mais dans toute cette mémorable journée, son premier soin fût d'empêcher qu'aucun autre que lui approchât de Sa Majesté. M'ayant aperçu, il vint prendre l'épreuve

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dans mes mains, et se hâta de la porter lui même dans le cabinet qu'il avait fait préparer pour l'empereur. Une demi-heure s'était à peine écoulée, lorsqu'elle me fut rendue avec une addition dictée par le czar luimême, et qui changea tous nos projets de célérité mais qui me transporta de joie, parce que j'y reconnus tout le caractère de grandeur, de générosité du monarque russe, et qu'elle était en faveur de la France. Si notre diplomatie n'en a pas obtenu tous les avantages qui y sont indiqués ; si les intentions de l'empereur ont été méconnues, c'est que nos diplomates, et plus particulièrement Talleyrand, étaient alors moins occupés d'augmenter notre puissance et de restaurer véritablement notre antique monarchie que de maintenir la fortune et les emplois dans leurs mains. Cette pièce mémorable, qui régla alors nos destinées, dont le texte a été longtemps considéré comme la première base du droit public de l'Europe, est d'une si haute importance dans l'histoire; l'ancien évêque d'Autun y eut d'ailleurs tant de part, que nous croyons devoir la donner tout entière. Pour qu'elle soit mieux comprise, nous avons impriméen caractères italiques la phrase remarquable qui y fut ajoutée par l'empereur Alexandre lui-même.

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Les armées des puissances alliées ont occupé la capitale de la France. Les souverains alliés accueillent les vœux de la nation française. Ils déclarent que, si les conditions de la paix devaient renfermer de plus fortes garanties lorsqu'il s'agissait d'enchaîner l'ambition de Bonaparte, elles doivent être plus favorables lorsque, • par un retour vers un gouvernement sage, la France elle-même

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- offrira l'assurance de ce repos. Les - souverains alliés proclament, en conséquence, qu'elles ne traiteront ⚫ plus avec Napoléon Bonaparte ou avec aucun de sa famille; qu'ils respectent l'intégrité de l'ancienne France telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes. Ils peuvent ▪ même faire plus, parce qu'ils pro·fessent toujours le principe que, pour le bonheur de l'Europe, il • faut que la France soit grande et forte, qu'ils reconnaîtront et garantiront la constitution que la nation française se donnera. Ils invitent, ⚫ en conséquence, le sénat à désigner • un gouvernement provisoire qui puisse pourvoir aux besoins de l'administration, et préparer la • constitution qui conviendra au peuple français. Les intentions que je viens d'exprimer me sont com.munes avec toutes les puissances alliées. Signé: ALEXANDRE; par Sa Majesté impériale, le secrétaire d'État, comte De Nesselrode. »

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ner les observateurs les plus attentifs, les politiques les plus profonds. Et ce qui n'est pas moins remarquable, c'est qu'après vingt ans de guerres, de calamités dont il n'est plus permis de méconnaître les causes et les auteurs, ce sont précisément les mêmes princes ou leurs successeurs immédiats, qu'on avait vus, en 1792, annoncer si hautement le projet d'affermir le pouvoir royal, de fermer la carrière des révolutions, que l'on vit en 1814 proclamer les mêmes intentions, puis adopter toutes les fausses doctrines, toutes les ridicules théories qui avaient renversé la monarchie de Louis XVI, et conduit ce monarque à l'échafaud. Et cependant les princes qu'on vit à la tête de cette dernière confédération étaient des hommes généreux, animés des meilleures intentions! Mais par une incroyable fatalité et pour le malheur du monde, aux deux époques ils furent entourés du même parti et presque des mêmes hommes; enfin ils tombèrent dans les mêmes piéges, et les conséquences en furent les mêmes. Qui aurait pu croire que celui qui, en 1789, avait proclamé les droits de l'homme, la souveraineté du peu

La postérité ne croira pas, et nousmêmes qui en fûmes les témoins, nous avons de la peine à comprendre comment il a pu se faire qu'une coalition de rois puissants, éclairés par une longue expérience de guerres, de ré-ple, qui, en 1792, par ses astucieuses volutions désastreuses, qui avaient négociations de Londres, si habileeu les mêmes causes, la même ori- ment concertées avec celles de Dugine, nous avons de la peine à com- mouriez et de Danton, avait sauvé la prendre, disons-nous, comment il a révolution à sa naissance, serait enpu se faire que ces mêmes rois, lors- core, après la chute de Napoléon, qu'ils sont enfin parvenus au foyer l'appui, le défenseur de cette même de l'incendie, lorsqu'il a été en leur révolution, et que les rois qui pouvoir de l'éteindre, ont au con- l'avaient si longtemps combattue, traire tout fait pour l'attiser et le qui voulaient à tout jamais l'anéanrendre plus funeste; qu'enfin ils tir, ne consulteraient que lui, ne sen'aient invoqué l'assistance, qu'ils raient rien sans prendre son avis? n'aient reçu de conseils que de ceuxlà mêmes qui l'avaient allumé ! Il y a dans ces faits bizarres, dans cette anomalie, il faut le dire, de quoi éton

Cette mémorable journée du 31 mars 1814, où l'ancien évêque d'Autun joua un si grand rôle, est sans aucun doute la plus remarquable de

sa vie; et c'est aussi l'une des plus importantes de notre histoire. Il fut pendant plusieurs jours le maître absolu de nos destinées; c'est un fait que l'empereur Alexandre lui-même a reconnu quand il a dit qu'il avait placé dans ses mains l'empire de Bonaparte ou la royauté des Bourbons, qu'il ne tint qu'à lui de choisir. En vérité, si l'ancien prélat eût agi dans de meilleures vues, s'il se fût occupé moins exclusivement de ses intérêts et de ceux de son parti, nous serions trop heureux de le proclamer aujourd'hui le bienfaiteur de la France, le plus grand homme de notre siècle. Le hasard nous avait ce jour-là très-bien placé pour l'observer, pour le suivre dans ses mouvements les plus décisifs, et nous devons reconnaître qu'il fut présent à tout, qu'il sut tout prévoir. Jamais il n'avait été si actif, si vigilant. Il me semble le voir encore traînant son pied boiteux d'un appartement à l'autre, interrogeant tout le monde, ne laissant entrer ni sortir personne sans s'être assuré du motif de sa présence, du parti qu'il pourrait en tirer. Parmi ses moyens de succès, le plus remarquable sans doute était la prompte publication de cette Déclaration des puissances. Comme c'était de moi surtout que dépendait cette célérité, on ne s'étonnera pas qu'il fût sans cesse occupé de mes moindres démarches. On a vu que, dès que l'empereur fut entré dans son cabinet, il s'empara de mon épreuve pour la lui porter. Il resta auprès du monarque pendant toute la lecture, et l'on a même dit, ce qui est assez probable, qu'il eut quelque part à l'addition qui y fut faite en faveur de la France. Ce qu'il y a de sûr, c'est que j'entendis le monarque russe, dont la voix était très élevée,

LXXXIII.

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lui dire en le congédiant : « C'est une compensation de la Pologne et de l'Italie; nous en étions convenus à Châtillon..... Si le ministre avait en assez de prévoyance pour faire ajouter cette explication bienveillante à l'addition d'Alexandre, la phrase eût été moins vague, et l'on eût peut-être évité les mauvaises interprétations qui en ont été faites contre la France au congrès de Vienne et dans les traités de 1815. Mais comme nous l'avons dit, ce n'était pas de ces intérêts-là que Talleyrand était alors le plus occupé! Dès qu'il m'eut rendu l'épreuve ainsi corrigée et complétée, je me hâtai de la porter à mon atelier; mais il me fit rappeler pour me dire qu'il ne fallait rien publier ni afficher avant de lui avoir rapporté cent exemplaires, dont l'empereur avait besoin pour envoyer un courrier à SaintPétersbourg et un autre à Dijon, où se trouvait encore l'empereur d'Autriche. Ces deux motifs me parurent péremptoires, et dans ce premier moment je n'en supposais pas un troisième, qui cependant était le plus réel. Le point important était de persuader à l'empereur Alexandre qu'il était irrévocablement engagé, et pour cela il fallait mettre sous ses yeux la Déclaration imprimée; il fallait pouvoir lui dire qu'elle était publiée et connue de tout le monde. Caulaincourt pouvait revenir d'un instant à l'autre, et tout était perdu s'il parlait à l'empereur avant que ce prince fût assuré que la publication était faite. On conçoit donc l'impatience avec laquelle Talleyrand attendait mon retour. Je ne fus pas absent plus d'une heure, et c'était bien peu pour corriger et imprimer les cent exemplaires demandés.

Pendant ce temps il s'était tenu, 18

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