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s'il est vrai qu'il y dénie sérieusesement sa participation à la guerre d'Espagne, ce qui est aujourd'hui un fait avéré, sans réplique, et que Napoléon lui a reproché en présence de témoins irrécusables, comme nous allons le faire connaître ?

des affaires étrangères; mais en y réfléchissant, il dut aussi comprendre que, pour lui et pour la France, cette perte était peu regrettable.

Condamné ainsi au repos,à une complète immobilité en présence de tant de mouvements et d'agitations, l'exministre ne pouvait se tenir en paix. Pour lui, c'était une position véritablement anormale. Et il n'en était qu'à sa cinquante-cinquième année! Depuis sa sortie du séminaire, il ne lui était pas arrivé d'habiter aussi long-temps les mêmes lieux, ni de s'occuper des mêmes objets. Ce fut probablement pour l'arracher à cet ennui, et en même temps pour le punir d'avoir dénié sa participation à la guerre d'Espagne, que le malin empereur le força d'aller passer quelques mois dans son magnifique château de Valençay, et qu'il en fit une espèce de geôle en l'obligeant à y recevoir Ferdinand VII et son frère don Carlos, qui y furent envoyés prisonniers après le guet-apens de Bayonne. Il est vrai que pour cela il lui fut payé 75 mille francs chaque année, ce qui était un prix d'autant plus satisfaisant que le geôlier n'était pas tenu à résidence, et qu'il ne fut pas long-temps sans profiter de cet avantage pour revenir dans la capitale, où il retrouva beaucoup d'amis et d'anciens collègues comme lui mécontents, comme lui disposés à entrer dans de nouvelles intrigues. Ce qui est fait pour étonner, c'est qu'il ne vit pas avec trop de peine que le portefeuille de la police fût rentré dans les mains de son ancien rival Fouché, dont on le croyait pour toujours séparé.

Selon Menneval, les conférences nocturnes que Talleyrand avait ainsi avec l'empereur Alexandre chez la princesse de Latour et Taxis finirent par donner des soupçons à son maitre, ce qui ne nous étonne pas. Nous pensons même que ces soupçons datent de plus loin, mais que Napoléon ne pensait point encore que l'abus qu'il faisait de ses confidences pût aller aussi loin. C'est plus tard seulement qu'il n'a pu attribuer qu'à de telles révélations l'incendie de Copenhague et l'enlèvement de la flotte danoise, dont les Anglais s'em parèrent sous le ridicule prétexte qu'elle devait être mise à la disposition de la France en conséquence des conventions d'Erfurth. Ce dut être encore pour le prince diplomate une assez belle affaire; mais nous pensons que ce fut la dernière qu'il fit dans ce genre, sous le règne impérial. Revenu d'Erfurth, il fut presque entièrement écarté; on ne le consulta plus que sur ce dont il avait exclusivement connaissance, notamment les affaires d'Espagne, dont même on ne lui dit pas tout. Il ne fut donc pas du voyage de Bayonne, où l'empereur le remplaça par de Pradt, homme de beaucoup d'esprit, mais qui était loin de l'égaler en finesse et surtout en rouerie, en duplicité. Nous l'avons vu en revenir effrayé, consterné de ce dont il venait d'être le témoin, et reconnaissant qu'il ne valait rien pour de pareilles opérations!... Napoléon dut quelquefois sans doute, en pareil cas, regretter son ministre

C'est un fait bien remarquable dans l'histoire de ce temps-là que la position de Napoléon entre ces deux hommes qu'il n'aimait ni n'estimait, mais qui l'avaient si bien enlacé dans leurs

piéges, dans leurs perfides intrigues, que long-temps il ne crut pas pouvoir se passer d'eux et ne put les renvoyer qu'en leur laissant une sorte de pouvoir, en leur faisant des concessions qui le conduisirent à sa perte. Il s'était flatté d'abord de les dominer en les tenant divisés; mais quand tous les deux eurent été successivement digraciés, ils comprirent que de leur part c'était une faute, et l'on ne peut pas douter qu'ils ne fussent disposés à la réparer quand Talleyrand, à son retour de Valençay en 1809, trouva le portefeuille de la police dans les mains de son ancien rival revenu d'une sorte d'exil où il avait passé plusieurs années. Sachant bientôt l'un et l'autre combien il leur importait de se réunir, ils oublièrent sans peine de vaines divisions, et plusieurs conférences eurent lieu à Suresne chez la princesse de Vaudemont, qui fut long-temps la confidente intime du prince de Bénévent. Par une singularité assez remarquable, ces conférences eurent lieu dans la maison où, douze ans auparavant, madame de Villars-Brancas avait lié Talleyrand avec Barras, pour y préparer la révolution du 18 fructidor an V (1797). On n'a jamais su bien positivement tout ce qui fut dit et convenu dans ces entrevues de Suresne, où d'autres amis se trouvèrent, mais on peut être bien assuré qu'avec de pareils hommes il s'y passa des choses d'une haute importance et que l'histoire ne saura jamais complétement; car nous ne pensons pas qu'il en soit dit un mot dans les mémoires posthumes du prince des diplomates, qu'on a annoncés avec tant d'éclat pour ne paraître (que dans trente ans, et dont nous avons donné, d'après Menneval, un fragment qui ne doit pas inspirer beaucoup de con

fiance. Ce qui est sûr, c'est que dans ces réunions de Suresne on ne s'oc cupa nullement des moyens d'assu rer un trône que les deux ci-devant ministres avaient également concouru à élever, et qu'ils avaient long-temps défendu.

Napoléon en était alors à l'apogée de sa puissance, et de nouveaux succès étaient près d'y ajouter encore. Audire des hommes les plus éclairés, son trône était inébranlable, et tout projet de le renverser eût semblé un acte de démence. Mais pour Fouché et Talleyrand rien de pareil n'était impossible. Ils avaient été si longtemps les chefs, les maîtres absolus de tout, au dedans comme au dehors! Dans le sénat, dans le CorpsLégislatif, même dans l'armée, ils avaient des confrères, des amis ainsi qu'eux mécontents et prêts à les seconder. On ne pouvait pas douter que, quelle que fût la solidité du trône impérial, tout ne reposât sur la vie d'un homme, et que cet homme ne fût exposé à de grands périls, qu'en ce moment, par exemple, le poignard d'un fanatique, le fusil d'un guérilla espagnol pouvait l'immoler, et qu'alors tout retombât en question. Ce fut après de mûres réflexions sur cette instabilité qu'il fut convenu qu'un gouvernement provisoire serait établi. Les membres de ce gouvernement furent même désignés, et l'opposition dans le sénat et dans le CorpsLégislatif devint plus nombreuse,plus active. Dans une délibération de cette assemblée de muets, jusque-là si peu redoutable, on compta jusqu'à centvingt-cinq voix contre un projet du gouvernement. L'empereur fut bientôt informé par ses nombreuses polices de la plupart de ces circonstances, et, comme il apprit en même temps que les hostilités de l'Autriche

étaient imminentes, il conçut de tout cela une très-vive inquiétude, et surle-champ, bien que très-occupé de poursuivre l'armée anglaise, après un premier succès, il s'éloigna de l'Espagne presque seul, à cheval, au galop et laissant derrière lui toute sa suite. En moins de huit jours, il arriva à Paris et réunit sur-le-champ un conseil privé, où Talleyrand, bien que sans fonctions ministérielles, fut personnellement appelé. Nous emprunterons encore les détails de cette séance importante au secrétaire Menneval. C'est un témoin digne de foi. Il ne dit pas tout ce qu'il sait, mais on peut au moins être assuré que ce qu'il dit est vrai. L'empereur, qui avait de justes sujets de mécontente⚫ment contre le prince de Bénévent, contint son humeur pendant la durée de ce conseil. Sa colère • n'attendait qu'une occasion pour éclater. Enfin les digues se rompi⚫ rent. L'empereur, qui s'échauffait à < mesure qu'il parlait, dominé par - son indignation, en vint à n'être ▪ plus maître de lui; il traita le prince • de Bénévent avec la plus grande sévérité. Par ses divers moyens d'être bien informé, il avait appris sur son compte des choses qui jusfiaient la scène violente dont

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il rendit témoins une partie des . membres du conseil. Dans les entretiens que M. de Talleyrand avait eus à différentes époques avec l'empereur, relativement à ses projets sur l'Espagne, je l'avais entendu lui citer les exemples des jésuites Malagrida, Alexandre, et, insistant - sur la nécessité de sa puissance en Espagne, parler des précautions * nécessaires à prendre, pour se prémunir contre le poignard ou contre ⚫ le poison de quelque moine fanati*que. L'empereur était persuadé que

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le prince de Bénévent, prévoyant le « cas où ces craintes se réaliseraient « et où la balle d'un guérilla pourrait atteindre le conquérant dans sa - course victorieuse, avait pensé à . former un conseil de gouvernement, dont l'organisation était préparée et prête à recevoir son exécution, si le « cas arrivait; les membres du futur ▪ gouvernement étaient même nommés. Personne n'ignorait le rapprochement qui s'était opéré entre Fouché et Talleyrand. Cependant l'empereur n'en témoigna aucun ressentiment au premier. Les confidences, les propos de celui-ci sur la - révolution d'Espagne, sur le procès du duc d'Enghien, sa désapproba⚫tion de ces actes, et ses dénégations de la part qu'il y avait prise étaient - connues de l'empereur. L'immo-.bilité de ses traits avait exalté la

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. Et vous osez, lui disait-il, nier la part que vous avez eue à la con« damnation du duc d'Enghien? Et • vous osez dire que vous n'avez été - pour rien dans les affaires d'Espagne! etc., etc. » Le paroxysme de ce • courroux étant arrivé à son dernier degré, tomba par son excès même,et Napoléon, las de se heurter contre « un roc inébranlable, quitta la partie. Le prince connaissait bien l'empereur; il savait qu'il était dans sa nature que, plus il s'était laissé emporter par son ressentiment, plus il . cherchait à le faire oublier. Comme il n'avait pas ce qu'un vieux proverbe, formulé en deux mots ener• giques, applique aux anciens courtisans, il jugea qu'il devait feindre « de ne pas se souvenir de cette scène... Jamais on n'avait vu Napo

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léon dans un si grand courroux ; tous les témoins furent effrayés pour le prince de Bénévent; tout leur fit craindre qu'il ne fût envoyé à Vincennes... Sa fosse y eût été creusée à côté de celle du duc d'Enghien... Quelle expiation! Mais rien de tout cela ne devait arriver. L'étonnement de la cour impériale fut grand, lorsque, dès le lendemain, on l'y vit un des premiers s'offrir aux yeux du maître, le saluer, lui parler avec le calme le plus parfait, et comme s'il ne l'eût pas même vu la veille! C'était bien le cas de lui appliquer le mot du maréchal Lannes, et l'on peut être assuré qu'il l'eût complétement justifié (20). Napoléon, désarmé par tant d'assurance, ne songea pas même à lui interdire l'entrée de son palais; il se borna à lui ôter la charge de chambellan qui lui restait encore, et il la donna à M. de Montesquiou. Il partit peu de jours après pour la guerre d'Autriche, et tout parut oublié de part et d'autre. Fouché sembla n'être pour rien dans cette crise, et les intrigues de l'opposition continuèrent. Seulement on y mit un peu plus de mesure et de circonspection, de manière que, pendant toute cette belle campagne de Wagram qui mit le comble aux triomphes de Napoléon, et qui changea si complétement nos destinées et les siennes, le ci-devant ministre parut fort paisible. On se rappelle les audacieuses entreprises de Fouché, qui, à la même époque, ne craignit pas d'envoyer en Angleterre le fournisseur Ouvrard, et d'y traiter de la paix en son nom; qui, lorsque cette puissance essaya de conquérir les Pays-Bas et fit remonter une es

(20) Lannes avait dit qu'on pouvait lui donner vingt coups de pied au derrière saus qu'il y parût sur sa figure.

cadre non loin d'Anvers, osa, de sa propre autorité, réunir, pour la combattre, une armée dont il donna le commandement à Bernadotte, alors disgracié! qui ne craignit pas enfin de dire, dans une proclamation en son nom, que, dans de tels périls, la France pouvait se suffire à elle-même, et par conséquent se passer de l'empereur! Rien au monde n'était plus capable d'irriter Napoléon. Cependant il ne renvoya pas immédiatement Fouché; ce ne fut qu'un peu plus tard qu'il mit à sa place l'aide-decamp Savary.

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Quant au prince de Bénévent, on ne peut guère, douter qu'il n'ait eu connaissance de ces complots, et qu'il ne fût, comune toujours, prêt à en profiter si les événements l'avaient secondé. Paraissant de plus en plus s'éloigner des affaires politiques, il passait sa vie presque tout entière à la campagne, et, n'ayant plus de fonctions à la cour, il parut à peine dans les fêtes du mariage autrichien. On pense qu'il eût préféré voir Napoléon épouser une princesse russe; mais, sur cela comme sur tout le reste, on ne le consultait plus: Quand il fut décidé que ce serait une petite-fille de Marie-Thérèse qui épouserait le nouveau César, et qu'il fallut qu'auparavant le divorce de Joséphine fût prononcé, ce ne fut pas sans étonnement qu'on vit l'ancien évêque d'Autun, appelé comme témoin en sa qualité de vice-grand-électeur, se ranger du côté de l'impératrice et appuyer sa résistance. Ce petit acte d'opposition, comme on le pense bien, n'eut aucun résultat; le divorce n'en fut pas moins prononcé, et Napoléon épousa une archiduchesse d'Autriche; mais ce qui étonna beaucoup, c'est qu'il ne parut pas mécontent de l'opposition que Talleyrand avait manifestée. On

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crut même alors que le ci-devant ministre allait rentrer en faveur, et Napoléon fut près de le nommer son ambassadeur en Pologne. Mais ayant appris que, sur le seul espoir de cette nomination, il avait, selon sa coutume, préparé dans ce pays des moyens d'agiotage et d'intrigue, il donna cet emploi à l'abbé de Pradt. Une cause de ce changement fut peut-être aussi les pertes très-considérables que fit alors le prince de Bénévent par suite de ses affaires de bourse et par la faillite de plusieurs maisons de banque, ce qui l'obligea de vendre son hôtel Monaco, dont l'empereur lui donna deux millions cinq cents mille francs. Mais par une heureuse compensation, c'est alors qu'il fut mis en possession du bel hôtel de l'Infantado, où devaient se passer de si grands événements.

Après le second mariage de Napoléon, le prince de Bénévent parut se renfermer de plus en plus dans une abstention de toutes choses; et, s'il se livra encore, par un irrésistible penchant, à quelques petites intrigues, on peut être assuré que ce fut avec une grande réserve. Ses moindres démarches étaient épiées par toutes les polices, surtout par celle du duc de Rovigo; et il ne pouvait l'ignorer. On a dit que dès ce temps-là il s'était mis en rapport avec le prétendant, auprès duquel résidait son oncle, ancien archevêque de Reims; mais c'est une assertion dénuée de toute vraisemblance, et dont nous savons la fausseté de la manière la plus certaine. Ce n'est qu'au dernier moment, et en désespoir de tout autre moyen de se soustraire aux rigueurs impériales, qu'il songea à la branche aînée des Bourbons, et il est de toute fausseté que Louis XVIII lui ait jamais écrit de l'exil où il était. Il est vrai qu'après le désastre de Moscow, plusieurs

correspondances furent interceptées et que beaucoup de dénonciations parvinrent à la police impériale'; mais rien n'y était prouvé. Cependant il n'en fallut pas davantage pour jeter encore une fois Napoléon dans un de ces paroxysmes de colère auxquels il était fort sujet. Un gros paquet de ces délations lui ayant été remis un soir, il y rêva toute la nuit, et le lendemain, dès le matin, il fit appeler Talleyrand, Dès qu'il le vit entrer, comme déjà il avait quelques personnes dans son cabinet, il l'attira par un signe dans l'embra sure d'une fenêtre, et lui parlant avec une extrême violence: « Com

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temps; je vous ferai punir comme « vous le méritez... Certes, il y avait bien là de quoi effrayer le ci-devant ministre; et nous ne doutons pas qu'il n'ait été réellement frappé d'épouvante; mais il se garda bien de le faire paraître. Sans se déconcerter, il protesta de son innocence, même de son dévouement; demanda avec instance le nom de ses accusateurs, et sortit en disant à ceux qu'il rencontra dans la pièce voisine, et qui avaient tout entendu : « L'empereur « est charmant ce matin!... » En vérité, nous ne croirions pas à tant de calme et de dissimulation si toutes les circonstances de cette entrevue ne nous avaient été racontées quelques jours après par André d'Arbelles,

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