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La politique de l'Autriche, plus habile et plus élevée, n'était guère plus franche. Cependant le cabinet de Vienne repoussa un piége que lui tendit alors Talleyrand, pour lui faire accepter les provinces de Moldavie et de Valachie que possédait la Russie. C'était un moyen de brouiller ces deux puissances, à peu près comme il parvint à brouiller l'Angleterre et la Prusse en donnant le Hanovre à Frédéric-Guillaume, qui eut la bêtise de l'accepter. Plus clairvoyant et plus sage, le cabinet de Vienne ne consentit pas à recevoir des mains de Napoléon ce qui appartenait à la Russie; mais par l'aveuglement de son ambassadeur Cobentzl, il ne vit pas que les préparatifs de Boulogne n'étaient destinés qu'à le tromper, en portant tout à coup sur le Rhin un corps d'armée qui surprit dans la place d'Ulm trente mille Autrichiens et leur fit mettre bas les armes, tandis que le généreux Alexandre faisait marcher à leur secours trois de ses armées, et, s'étant rendu lui-même à Berlin, forçait en quelque sorte l'héritier de Frédéric II à se montrer digne de son nom, en signant sur la tombe du grand roi un traité d'alliance qui l'eût sauvé si, pour le malheur de l'Allemagne, Haugwitz, bien qu'il eût cessé d'être ministre, n'eût été rappelé de la retraite où il vivait pour faire exécuter ce mémorable traité de Potzdam, et si cet homme méprisable, de concert avec les Lombard et les Luchésini, n'eût encore une fois, comme en 1792, précipité la Prusse dans un abime d'infortune et de ruine, lorsqu'elle pouvait se placer au premier rang des nations, lorsque le sort de tous les rois, de tous les peuples était dans ses mains! Après avoir reçu la mission de faire connaître à Napo

leon l'intervention armée de la Prusse, il avait à sa disposition trois corps d'armée tout prêts à combattre, et qui pouvaient, par un seul mouvement, écraser le vainqueur, ou tout au moins le contraindre à suspendre sa marche.Haugwitz ne parut rien comprendre de tout cela. Le premier devoir, le premier besoin de sa mission était d'y mettre autant de diligence que de fermeté, et cependant il fut près d'un mois à faire cinquante lieues, et ne parut devant le grand empereur que le 28 novembre, quatre jours avant la mémorable bataille d'Austerlitz. On conçoit que, dans un pareil moment, Napoléon ait à peine pris le temps de lui répondre, et que, sans avoir rien entendu de l'objet de sa mission, qu'il n'avait que trop bien comprise, il l'ait renvoyé à Talleyrand, qui était resté à Vienne, qui sut le retenir par d'inutiles promesses, par de vaines assurances jusqu'à l'issue du grand événement, et qui, lorsque la victoire fut décidée pour l'armée française, le fit consentir à un traité honteux, à un traité qu'il n'avait aucun pouvoir de signer, et que son souverain même, au milieu de la consternation où le nit la défaite des alliés, hésita longtemps à ratifier. Après avoir essuyé de la part du vainqueur une bordée d'invectives, il lui fallut supporter les railleries du négociateur, plus pénibles encore après la défaite. Quand on en vint à l'abandon d'Anspach, que dut faire la Prusse, Haugwitz ayant témoigné quelques scrupules sur ce que cette province avait été le berceau de la maison de Brandebourg, Talleyrand lui répondit par cet amer persiflage: «Allons donc ! quand l'en« fant a grandi, on jette le berceau...” Et il fallut jeter le berceau... Une autre condition de ce traité de Vien

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ne, plus honteuse encore, s'il est possible, c'est que Frédéric-Guillaume eut la bêtise, comme l'a dit Bonaparte, de recevoir de la France, à qui il n'appartenait pas, l'électorat de Hanovre, qui était bien réellement le berceau de la maison régnante d'Angleterre, laquelle venait de lui faire compter, pour qu'il le garantît de toute invasion, un subside de trentesix millions. Et il faut observer qu'en décidant la Prusse à accepter une telle proposition, Talleyrand l'avait réellement fait tomber dans un piége, puisque par là il avait rendu inévitable une rupture entre cette puissance et l'Angleterre, à peu près comme dans le même temps il essaya de faire accepter la Moldavie par le cabinet de Vienne, afin de le brouiller avec la Russie. C'est une méthode assez commode, et dont il a souvent usé, de donner ainsi le bien d'autrui en échange de possessions mal acquises. Mais dans cette occasion, le cabinet autrichien, plus fier et non moins habile que Talleyrand, lui déclara hautement que ce n'était point ainsi qu'il avait coutume d'en agir. Quant au ministre prussien, on doit penser, que s'il était moins fourbe, moins astucieux que son confrère, il l'égalait au moins en cupidité, que sur ce point ils s'entendirent toujours, et que d'amples bénéfices furent pour eux les dernières conséquences de cette grande affaire. Sur cela cependant aucun reproche ne leur a été fait en France, ni en Allemagne. Mais il n'en fut pas de même en Angleterre, où ce pacte honteux causa une vive émotion. Georges III, personnellement offensé et réellement dépouillé du berceau de ses ancêtres, publia une déclaration véhémente; et le célèbre Fox, qui avait remplacé Pitt au ministère, prononça

à la Chambre des communes un de ses discours les plus éloquents: « Pour « bien apprécier, dit-il, des procédés

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qui sont sans exemple, il est nécessaire de remonter aux époques les -plus honteuses de la corruption..." Et après avoir expliqué sans ménagement tous les faits, il ajouta : « Nous « ne pouvons contempler sans pitié « et sans mépris une grande puissance qui annonce que, sans combat et sans résistance, elle s'est trouvée « réduite à la nécessité dégradante ⚫ de céder des provinces qu'on appelait le berceau de sa maison royale. L'ignominie de cette cession ressort encore davantage lorsqu'on voit les habitants d'Anspach supplier leur souverain de ne pas les abandonner, vendre pour équivalent un peuple brave et loyal; c'est la « réunion de tout ce que la servilité a de plus méprisable et la rapacité

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de plus odieux... Le roi de Prusse « dira-t-il maintenant que cette convention lui fut arrachée par la peur « et qu'il y était forcé? Ce serait un très-grand malheur s'il eût été con traint à cette nécessité. Mais a-t-il - combattu pour garder Anspach? et -ne l'a-t-il pas cédé honteusement

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à la première sommation, acceptant « pour dédommagement un pays qui appartient à un tiers avec lequel il « était uni de temps immémorial, par « les liens qui, dans tous les temps et dans tous les pays, imposent des égards et attachent les nations? « Il n'est pas possible de s'être soumis d'une manière plus méprisable à un tel état de vasselage. Tout « le monde a entendu parler des insultes que la Prusse a reçues des Français depuis qu'elle est soumise . à leur joug. Ses villes ont été occupées par les troupes, ses rémontrances ont été méprisées; enfin

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elle a été traitée avec aussi peu de respect qu'elle le mérite. Il semble « que les Français se soient chargés de la justice de l'Europe, et qu'ils regardent la Prusse comme une puissance avec laquelle il est impossible d'avoir un traité sur lequel ⚫ on puisse compter! A cet égard, je crois qu'ils ont raison. » Jamais on n'avait entendu les ministres anglais parler avec autant de mépris de l'un des plus anciens alliés de l'Angleterre, d'un roi qui, par tous les liens, tenait à la maison de Hanovre ; et ces insultes durent paraître d'autant plus dures que l'orateur s'était toujours montré l'un des plus favorables à la France révolutionnaire, qu'ainsi l'on ne devait pas croire qu'il fût aussi contraire au système de neutralité prussien qui avait si long-temps favorisé la révolution.

Dans le même temps l'Espagne expiait plus durement encore sa défection de la cause des rois, dont cependant elle ne s'était séparée que par la plus rigoureuse nécessité, et lorsque les rois eux-mêmes avaient refusé de la secourir. Depuis cette époque de 1795, où comme la Prusse elle avait signé sa paix avec la République française, elle gémissait sous le joug de tous les gouvernements qui s'y étaient succédé, et, selon l'énergique expression de Burke, elle était devenue le fief du régicide; ses escadres, ses trésors étaient la proie de ses oppresseurs, et ses colonies allaient avoir le même sort. Voilà dans quel état Beurnonville trouva

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et de déprédations il restait encore pour lui quelque chose à faire dans ce malheureux pays, et que pour cela il donna à son intelligent ami de bonnes instructions. Il le recommanda surtout à Godoy, devenu prince de la Paix, l'allié de la famille royale, et dont le crédit était d'autant plus assuré qu'il reposait en même temps sur la faveur du roi et sur celle de la reine. Personne assurément

n'était plus propre à seconder les vues de Beurnonville et de son patron. Beaucoup d'affaires se firent donc bientôt à leur satisfaction réciproque. Nous en citerons quelquesunes des plus importantes, celle de la Louisiane, que l'Espagne vendit à la France pour quarante millions, et que celle-ci revendit deux ans après aux Américains pour le double de cette somme, bien qu'il eût été formellement convenu que si la France ne gardait pas pour elle-même cette belle colonie, elle serait rendue à l'Espagne. On ne peut pas douter que sur cela il n'y ait eu, pour l'ambassadeur et le ministre, de bonnes commissions. Mais une affaire où le benéfice fut plus clair encore, s'il ne fut pas plus considérable, ce fut la réduction d'un cinquième que le

ministre des relations extérieures obtint du premier consul dans les premiers temps de sa puissance sur le tribut annuel de soixante millions que payait l'Espagne depuis le traité de Basle (1795). Dans l'état de détresse où se trouvait ce royaume, cette allégeance était sans doute un très grand bienfait, et l'on doit penser que celui qui l'obtint en fut amplement récompensé. Mais le rusé ministre ne s'en tint pas là. Ayant retenu pendant quelques mois dans ses bureaux l'expédition de la décision. consulaire, il résulta de ce

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retard que le ministère espagnol n'en eut pas connaissance pour la première année, et qu'il continua de payer la somme tout entière, de sorte que le ministre Talleyrand put retenir à son profit un modeste bénéfice de douze millions. Le pauvre homme! Il avait bien eu raison de dire, en 1789, qu'il gagnerait davantage à suivre la cause de la révolution que celle de la monarchie. Il se fit bien encore à cette époque, dans la péninsule, par son ambassadeur, quelques affaires moins importantes, peu dignes de l'histoire, et dont en conséquence nous ne parlerons pas. Nous ne pensons pas que Talleyrand et son ministre aient eu quelque part aux six millions de diamants bruts que le Portugal fut contraint de donner pour conserver la neutralité qu'il devait perdre un peu plus tard. Ce fut par Lucien Bonaparte, frère du premier consul, que fut conduite cette opération; et l'on sait que celui-là ne relevait pas du ministre des affaires étrangères. D'ailleurs, Beurnonville eut alors le malheur de tomber dans la disgrâce du maître, sans qu'on en sache précisément la cause. Napoléon ne l'estimait pas, et il a dit à Sainte-Hélène qu'il ne le croyait pas capable de commander un bataillon. Ce qui est bien sûr, c'est qu'en 1803 tout le crédit de Talleyrand ne put empêcher sa révocation, et qu'absorbé dans le sénat, l'Ajax de Valmi cessa d'être employé. Plus tard, il ne fallut rien de moins qu'une restauration faite par son protecteur pour le remettre en évidence. Laforest, qui le remplaça à Madrid, était le même qui lui avait succédé à Berlin. Homme habile et rusé diplomate, nous pensons qu'il ne fut pas moins d'accord avec le ministre des affaires étrangères.

Du reste, l'Espagne gagna peu à ces changements; aucun diplomate n'était capable de conjurer l'orage dont elle était menacée. L'Angleterre s'était enfin aperçue que le produit de tant d'exactions, de tributs oppressifs qui, depuis dix ans, pesaient sur la Péninsule et passaient dans les mains de ses ennemis, devait constituer un véritable état de guerre, et elle s'en plaignit amèrement au cabinet espagnol, qui ne répondit que par des moyens dilatoires et principalement fondés sur la trop évidente oppression qu'il subissait de la part de la France. Alors, sans autre explication ni déclaration, les escadres britanniques eurent ordre d'attaquer et d'enlever tout bâtiment qu'elles rencontreraient sous pavillon espagnol. La première conséquence de cet ordre fut que quatre galions chargés des trésors du nouveau monde furent attaqués à l'improviste et entraînés dans la Tamise, ce qui donna lieu à des plaintes très vives de la part de la France et de l'Espagne, et força ces deux puissances à réunir leurs efforts contre l'Angleterre. Deux grandes batailles furent la suite de cet état de guerre. Dans la première, les escadres alliées ne perdirent que deux vaisseaux, et elles se proclamèrent victorieuses! mais dans la seconde, où trente-sept vaisseaux de ligne et quarante frégates se trouvaient réunies, il n'en échappa qu'un petit nombre qui fut pris quelques jours après, ou périt dans une affreuse tempête. C'était le plus grand désastre qu'eussent éprouvé les deux puissances ; leur marine en fut anéantie. Napoléon reçut cette fâcheuse nouvelle au milieu de ses triomphes d'Ulm et d'Austerlitz, dont ce fut une biển triste compen

sation. Il ne lui donna aucune publicité; et dans l'état d'oppression où se trouvait la presse française, on ne le sut que par ce peu de mots qu'il voulut bien dire à l'ouverture du Corps législatif: « Les tempêtes ont fait perdre quelques vaisseaux après un combat imprudemment « engagé....

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le souverain maître, qui, surtout depuis ses victoires, ne souffrait pas de contradictions. Voilà sous quels auspices fut négocié et signé en moins de huit jours le traité le plus désastreux, le plus humiliant qu'ait subi l'Autriche. Talleyrand avait à peine enlacé Haugwitz dans les préliminaires du 14 décembre, si honteux pour la Prusse, qu'il fallut eu arrêter de semblables avec la puissance autrichienne. En moins d'une semaine, du 15 au 22 décembre, les plénipotentiaires durent signer le fameux traité de Presbourg; ce fut en aussi peu de temps que les ministres de l'Autriche durent consentir à l'abandon de près d'un quart du territoire de cette antique monarchie, plus à un tribut dont on n'a jamais connu le chiffre, mais si exorbitant qu'on se crut obligé de le réléguer dans des articles secrets où restèrent également cachées d'autres stipulations du même genre. 11 n'y eut rien de convenu en faveur des alliés, même de la cour de Naples, qui s'était montrée si dévouée, qui tenait par tant de liens à la maison impériale! Dès le mois suivant Napoléon prononçait hautement contre elle le fatal verdict: La maison de Naples a perdu sans retour la couronne.

Quelle que fût la peine qu'il éprouvât de ce funeste événement, Napoléon ne suspendit pas un instant sa marche victorieuse, et quand son triomphe fut complet, lui et son ministre n'en assurèrent pas les résultats avec moins d'activité et de rigueur. Jamais vainqueur ne s'était montré plus exigeant, plus impitoyable. Ce fut en tous points le væ victis! des conquérants de Rome. Après s'être prosterné devant Napoléon au bivouac de Sawoschutz, après avoir mis à ses pieds un tribut de cent millions, l'empereur François dut encore se soumettre à un traité ou plutôt à une capitulation pour laquelle il ne lui fut pas même permis de nommer ses négociateurs. Ce furent les généraux Giulay et Lichstenstein qui furent désignés par Napoléon lui-même pour remplir une mission aussi pénible pour de bons Autrichiens. Il est probable que, sur tout cela, il s'était concerté avec son ministre des affaires étrangères, qui fut ainsi seul chargé des intérêts de la France. Redoutant les longues discussions que, moins qu'un autre, il était en état de soutenir, il fut très-content de n'avoir que de pareils adversaires, tous les deux militaires très-braves, trèsdisti ngués sans doute, mais jusque-là fort étrangers aux affaires de la diplomatie. Le ministre de Napoléon n'eut guère d'ailleurs qu'à dicter des conditions concertées avec

Un abandon, un délaissement, qui pour François II dut être plus affligeant encore, ce fut celui des braves habitants du Tyrol, de ces sujets si fidèles, dont les bataillons, depuis si longtemps réputés les meilleurs des armées autrichiennes, avaient tant de fois sauvé la monarchie!.. ils passèrent au pouvoir du nouveau roi de Bavière, dont la défection fut ainsi payée. C'était dans le même temps que la Prusse abandonnait aussi une de ses provinces les plus fidèles,

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