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tion de cette lignée de princes qui pendant tant de siècles avaient « conservé à la nation française ▪ sa prospérité au dedans et sa considération au dehors. Un tel évé▪nement, ajoutait le ministre, écar• terait tout obstacle aux négocia• tions et à la paix. » On doit bien penser qu'une pareille ouverture ne pouvait convenir ni au consul ni à son ministre. Ce dernier y fit une réponse beaucoup moins franche, et dont les principaux motifs furent établis sur des faits qu'il savait bien n'être pas exacts, puisque ces faits se rapportaient à son ambassade de Londres, dont il n'avait pu oublier les principales circonstances, et que cependant il changeait et dénaturait dans les détails les plus importants. Les ministres anglais s'abstinrent de toute autre réponse, et l'affaire en resta là. Quant aux autres puissances, qui avaient reçu de pareilles communications, on ne peut pas douter qu'elles n'y aient répondu; mais comme le gouvernement consulaire s'abstint de toute publication à cet égard, on doit penser que leurs réponses furent peu favorables.

Quelques mois après, le ministre des affaires étrangères fut chargé d'une affaire plus difficile et sans doute plus importante, qu'il conduisit très habilement, il faut en convenir, et qui eut les plus heureux résultats; ce fut la réconciliation de la France avec l'empereur de Russie. Lorsqu'il eut rompu avec l'Autriche, vers la fin de 1799, on sait que Paul Ier ne renonça pas entièrement à faire la guerre au parti révolutionnaire qui gouvernait la France, qu'il fit même partir un de ses corps d'armée pour secourir les Vendéens, et qu'il refusa de reconnaître le gouvernement consulaire. Ce fut dans de pareilles cir

LXXXIII.

constances que Talleyrand ne désespéra pas de faire du czar un allié, un ami du premier consul, et que, par un peu de cajoleries dans ses dépêches, par le cadeau d'une épée du grand maître de Malte, que ce prince croyait avoir remplacé, et surtout par le renvoi sans échange, sans rançon, de tous les prisonniers russes que la France possédait, il en vint au point de faire entrer le czar en correspondance avec le premier magistrat de la république, et qu'il n'y eut pas seulement entre eux des lettres d'un ton fort amical, mais qu'ils signèrent un traité de la plus haute importance, et duquel pouvait résulter pour l'Angleterre la perte de ses colonies de l'Inde et pour la France l'alliance la plus réellement avantageuse. Déjà toutes les dispositions étaient faites, et l'armée des deux empires allait se mettre en marche pour traverser l'Asie, lorsque la mort de Paul Ier vint subitement renverser tous ces plans et détruire tant de beaux projets. Quand Bonaparte en reçut la nouvelle, il se répandit en violentes invectives contre le ministère anglais, qu'il accusa hautement d'avoir pris part à cet attentat. Talleyrand, qui sans doute autant que lui en fut affligé, n'exhala sa douleur que par ce peu de mots sur le genre de mort auquel on dit que le czar avait succombé : « Toujours des apoplexies; ils devraient au moins un peu changer... » Cet événement, dans de pareilles circonstances, fut certainement un malheur pour la France. La ruine de l'Angleterre était certaine si l'expédition se fût exécutée; mais il est probable que, pour l'éviter, cette puissance eût fait de grands sacrifices. C'était à Talleyrand surtout qu'on devait le succès de la négo

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ciation; et le premier consul était telle incapacité dans ses fonctions parfaitement en mesure d'en profiter; il en avait admirablement saisi toutes les conséquences, et ce résultat lui avait fait prendre la plus haute idée de son ministre. Cette réputation d'habileté s'étendit beaucoup à cette époque. Cependant il n'était pas partout' jugé aussi favorablement. Le portrait qui fut envoyé dans ce temps-là, de Paris à un ministre de Berlin, bien qu'il s'y trouve de légères erreurs, mérite d'être rapporté : « Ce qui, à l'égard de M. de Tal«<leyrand, intéresse peut-être beau« coup moins Votre Excellence, c'est « ce qui a trait à sa vie privée, à ses " actes purement personnels. Mais - ce serait là cependant qu'on pourrait puiser des idées saines sur le mérite, les talents, la mobilité du personnage; et cette connaissance

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Est-il indifférent aux rois de savoir comment la tortuosité de ses principes et de sa conduite fit et main« tint son crédit, que probablement elle prolongera? Votre Excellence, lors de ses voyages en France, l'a - connu comme un homme spiri«tuel, livré à des plaisirs qui contrastaient un peu trop avec l'habit . dont il était revêtu. Elle sait peut« être que, quoique fils d'un des sei<< gneurs de la cour que Louis XVI ait le plus aimés et respectés, il ne fût jamais parvenu à l'épiscopat, si le roi n'eût cru devoir céder « aux derniers vœux d'un père mourant. Du reste, malgré les charmes « d'un esprit bon seulement dans << un salon de la haute société,

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dans des orgies, ou de petites et « fines intrigues, il avait montré une

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d'agent du clergé, que tout le poids de cette administration retomba « sur l'abbé de Montesquiou son collègue, qui le regardait comme inha«bile à écrire de suite deux pages « sérieuses et véritablement raison"nées. Votre Excellence sait sa con• duite aux états généraux et en Angleterre; elle a peut-être lu ses « discours ou mémoires avant et de«puis son exil, dont il ne dut la fin qu'aux sollicitations de Mme de Staël près du régicide Chénier. Mais ces écrits sont uniquement l'œuvre de son ancien grand-vi« caire Desrenaudes, que je l'ai entendu nommer très cavalièrement « son aide de camp. Desrenaudes « est un écrivain plein d'esprit, de connaissances, de talent; il lui prépare jusqu'à ces petits billets « du matin qui charment ses amis, hommes et femmes, mais que pourtant l'indolent personnage ne fait que copier en chétif écolier. Introduit chez Barras par madame de Villars - Brancas, leur parente - commune, ce fut là qu'il conçut, prépara et proposa le coup d'État du « 18 fructidor, qui l'éleva au ministère où il se maintint par sa flexi.bilité et un impassible courage à « souffrir les brutalités de Rewbell, • comme en jouant l'homme affairé, « tandis que dans son cabinet, où l'on - entrait par une porte de derrière, dite des amis, il se livrait avec ses "affidés aux oiseuses saillies d'une

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qui valait cent fois mieux que sa

réputation, et à qui madame la

duchesse d'Orléans elle-même ren

dait justice, le refusa, et il ne lui a jamais pardonné. Mais plus tard. un trésor de honte est venu luire - à ses yeux; madame Grand, femme répudiée, est devenue la citoyenne Talleyrand. Admirateur intéressé de Bonaparte, valet soumis du Directoire, j'ai dit à Votre Excellence l'intrigue qui le fit chasser, les prévoyantes bassesses qui le firent rappeler par celui « dont il devina les hautes destinées • et à l'épée victorieuse duquel il dut les succès diplomatiques dont il jouit et qu'il a su parer des talents • rélégués dans l'ombre des d'Hauterive et des Durand. Quant à lui, de quelle haute vue politique, de quel système d'État, de quelle épineuse négociation peut-il se glorifier? Bonaparte conclut sans lui le traité ⚫ de Campo-Formio. Celui, très-illusoire, du comte de Saint-Jullien, ⚫ dont il fut la dupe, n'eût été que « la réalisation de la convention d'Alexandrie. La pacification de Lunéville avait été d'avance imposée à Hohenlinden. Il ne lui reste donc que des intrigues peu honorables • avec Arahüjò et les ministres amé⚫ricains,ainsi que les ergotages longs ⚫ et sans fruits de ce congrès de Rastadt, à l'abri desquels se formait une coalition qu'il ne sut ni prévoir ▪ ni prévenir. S'il se maintient, c'est qu'il flatte l'orgueil et l'ambition de son maître, dont il devine et approuve d'avance les secrètes « pensées ; c'est qu'il lui est utile en sachant parer de formes aimables

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et conciliatrices son despotisme po«litique, quelquefois un peu trop « brutal. Mais s'il cessait d'être l'a• gent servile d'un triomphateur, l'homme se montrerait dans toute « sa médiocrité. Voilà sur quoi il est important de ne pas s'abuser, en << traitant avec un ministre le plus grand de tous pour les roueries politiques et les bons mots... » Si cette esquisse d'un portrait qu'on pourrait appeler anecdotique ne suffit pas pour bien connaître un des hommes les plus célèbres de notre époque, on y trouve du moins des faits et quelques traits qui peuvent le faire apprécier sous beaucoup de rapports. Ce ne fut pas un Richelieu ni un Mazarin, mais un rusé diplomate, un astucieux intrigant, sachant prévoir les événements, et toujours prêt à s'y soumettre, à en tirer parti dans son intérêt. Personne moins que lui n'eut le droit de dire comme le poète de Rome: Mihi res,non me rebus submittere conor. Pour lui, il eut fallu retourner ainsi la maxime: Me rebus, non mihi res submittere conor. Le seul personnage de notre histoire auquel on puisse le comparer est l'ignoble Dubois, auquel toutefois il fut supérieur par l'esprit, les bonnes manières qu'il tenait du rang élevé dans lequel il était né. Nous ne pensons pas que, même dans une mascarade, il eût poussé l'effronterie jusqu'à outrager publiquement son maitre (11). Son habileté consis

(11) On a dit souvent qu'il était possible de lui donner, et sans qu'il y parût sur sa figure, vingt coups de pied dans le derrière; qu'ainsi il eût fort bien joué le rôle du régent, qui, pour être mieux déguisé dans un bal masqué, se faisait traiter de cette façon par son favori, se contentant de lui dire, quand il se sentait frapper trop fort: Dubois, tu me déguises trop!

tait surtout à dissimuler. Il a dit que la parole n'avait été donnée à l'homme que pour déguiser sa pensée, et Chénier, qui le connaissait bien, a fait dans ce sens une de ses meilleures épigrammes :

Roquette dans son temps, Talleyrand dans le
Furent tous deux prélats d'Autun. [nôtre,
Tartufe est le portrait de l'un (12);
Ah! si Molière eût connu l'autre !

Après les victoires de Marengo et de Hohenlinden, qui portèrent si haut la puissance de Bonaparte, vinrent les traités de Lunéville et d'Amiens, puis les négociations d'indemnités, de sécularisations, qui devaient donner lieu à tant d'intrigues, de spoliations préparées et dirigées par l'ancien prélat; on peut dire qu'il fut alors au milieu de son véritable élément; mais avant de parler avec plus d'étendue de ces brillantes affaires, nous devons dire quelque chose d'une opération plus grande encore et surtout plus honorable, celle du concordat qui fut conclu avec le saint-siége le 15 juillet 1801, et auquel on ne pouvait guère penser que prendrait part le cidevant évêque.

Ce fut un spectacle curieux et bien digne d'une époque d'incertitude et de mépris des choses les plus saintes, que celui d'un homme qui s'était montré des premiers et des plus acharnés à attaquer la religion et ses ministres, qui pour cela avait été excommunié, rejeté de l'Église, qui n'était pas encore relevé de ces trop justes condamnations, que de voir, disons-nous, ce même homme concourir au redressement de tant de de torts, à la réparation de tant de

(12) L'abbé Roquette, qui fut évêque d'Autun sous Louis XIV, avait fourni à Molière le modèle de sou Tartufe.

maux qu'il avait accumulés sur la France! L'ancien évêque d'Autun, assisté du transfuge des royalistes Bernier, n'hésita pas à se charger de cette mission délicate avec l'envoyé du pontife romain Consalvi. Heureuse. ment pour lui, le pontife n'était plus le même que celui qu'il avait fait expulser de Rome cinq ans auparavent. Pie VI était mort dans l'exil, et malgré les recommandations du Directoire et de son ministre, on lui avait donné un successeur. L'objet dont Talleyrand s'occupa le plus dans ce grand acte de réconciliation fut ce qui l'intéressait plus particulièrement lui-même. Depuis qu'il y avait aux Tuileries une cour où l'on s'efforçait de rappeler tout ce qui avait autrefois distingué la monarchie française, la liaison du ci-devant prélat avec madame Grand était devenue un véritable scandale, et le premier consul ne permettait pas qu'elle y fût reçue. Il n'y avait qu'une décision papale qui pût mettre fin à cette fâcheuse exclusion ; et l'on conçoit l'empressement avec lequel le ci-devant évêque saisit pour y parvenir l'occasion du concordat, qui lui fut si heureusement offerte. Son premier soin fut de demander au Saint-Père la révocation de l'excommunication prononcée contre lui en 1790, et son retour à la vie séculière. Ces deux points, quelque graves qu'ils fussent, ne rencontrèrent point de difficultés, et l'ex-prélat en conclut qu'il avait obtenu la faculté de se marier. Cependant, comme Pie VII ne l'entendit point ainsi, et que sa décision a donné lieu à différentes interprétations, nous la citerous tout entière c'est une pièce importante dans cette histoire.

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touché de joie quand nous avons appris l'ardent désir que vous aviez . de vous réconcilier avec nous et • avec l'Église catholique. Dilatant donc à votre égard les entrailles de notre charité paternelle, nous ⚫ vous dégageons, par la plénitude .de notre puissance, du lien de toutes les excommunications... Nous • vous imposons, par suite de votre réconciliation avec nous et avec l'Église, des distributions d'aumônes pour le soulagement surtout des pauvres de l'église d'Autun, ⚫ que vous avez gouvernée... Nous

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nant, soit que vous passiez à d'autres auxquels votre gouvernement

ment fâcheuse, disgraciés par le pape parce qu'ils s'étaient mariés, et repoussés par le premier consul parce qu'ils avaient obéi à ses ordres en se mariant. Du reste, on sait que Bonaparte ne les estimait guère ni l'un ni l'autre; il se servait alors de l'ancien évêque parce qu'il le croyait utile, mais il ne luia jamais donné de preuves d'estime ni d'une confiance entière. Voici comment il en parlait à Sainte-Hélène : Le triomphe de Talleyrand est le triomphe de l'immo«ralité : un prêtre marié à la femme d'un autre, et qui a donné une

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⚫ vous accordons le pouvoir de por-forte somme d'argent à son mari - ter l'habit séculier et de gérer tou- « pour qu'il permette à sa femme de tes les affaires civiles, soit qu'il - rester avec lui! un homme qui a vous plaise de demeurer dans la tout vendu, trahi tout le monde et charge que vous exercez mainte- - tous les partis ! J'ai défendu l'entrée de ma cour à cette femme, premièrement parce que sa réputation était décriée, et parce que j'ai découvert que quelques • marchands génois lui avaient payé 400,000 fr. dans l'espérance « d'obtenir par l'entremise de son • mari quelques faveurs commerciales. Elle était très-belle femme, des Indes orientales, mais sotte, et

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pourrait vous appeler... D'après ces expressions, Talleyrand ne douta pas qu'il ne fût pleinement autorisé à se marier; et, le premier consul l'ayant alors vivement pressé de mettre fin au scandale qu'il avait causé, il se fit donner la bénédiction nuptiale par un curé du village d'Épinay. Le lendemain, l'épouse du ministre parut à la cour; mais ce fut pour la dernière fois; car, dès que le pape fut informé du mariage, il déclara hautement qu'il ne l'avait point autorisé et qu'il ne l'approuverait jamais. Plus tard, quand il consentit à venir à Paris pour le sacre impérial, il exigea pour première condition qu'on ne lui présentât pas cette dame; ce qui fut exécuté d'autant plus facilement que, depuis qu'on avait été informé de la désapprobation du pontife, madame de Talleyrand avait reçu l'ordre de ne plus se présenter à la cour. Ainsi les deux époux se trouvèrent dans une position double

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de la plus parfaite ignorance..... Ainsi, selon le dire de Napoléon, madame de Talleyrand entendait les affaires presque aussi bien que son mari, et si le récit est exact, on voit que les marchands génois fournirent à sa toilette d'assez belles épingles. Du reste, nous pensons que l'époux de cette dame la traitait un peu sévèrement sous le rapport de l'esprit. Nous avons eu l'avantage de l'entendre plusieurs fois, notamment à l'époque du 31 mars 1814, et nous pouvons affirmer que sa conversation sur ce grand événement n'était point celle d'une sotte. Nous regardons donc comme peu vrai tout ce qui a

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