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fort gracieuse, ce qui fit croire que ce n'était qu'un arrangement convenu pour quelque temps, d'autant plus qu'il fut remplacé par son ami Reinhart, le complaisant de toutes les époques et de tous les besoins.

Ceux-là connaissaient bien l'ancien prélat, qui pensèrent que sa démission n'était pas définitive, qu'il ne remettait son portefeuille que pour le reprendre dans des circonstances plus favorables. Il n'était pas possible, en effet, qu'il eût pour toujours renoncé aux affaires, et cela surtout dans un moment où les plus grands événements, les plus grandes opérations étaient imminentes. Au dedans comme au dehors, tout était dans le trouble et l'incertitude. Déjà cette république de sept ans tombait en ruines, et tous les partis, toutes les ambitions s'apprêtaient à en recueillir les débris. Une redoutable coalition lui avait fait éprouver de grands revers, et personne ne doutait que sa chûte ne fût prochaine. L'ancien ministre des relations extérieures le comprenait mieux qu'un autre ; mais s'il ne s'occupait pas de l'empêcher, il songeait du moins, comme toujours, à en tirer bon parti. Barras, qui songeait aussi à son avenir, s'était mis en rapport avec les agents du prétendant Louis XVIII, par l'entremise de Royer-Collard, des abbés de Montesquiou et de Crangeac, et nous pouvons d'autant moins douter qu'il fût alors personnellement décidé à concourir au rétablissement de la monarchie, que nous en avons vu la preuve dans les mains de ce dernier, homme de beaucoup d'esprit et de courage, mais le seul qui comprît bien une pareille entreprise et qui fût capable de la conduire à terme. Ce qui lui nuisit beaucoup, c'est

que Barras eut le malheur d'en faire confidence à Talleyrand, le croyant disposé comme lui à y concourir. Mais le ci-devant évêque d'Autun, depuis ses premiers torts révolutionnaires, ne pouvait penser au retour de l'ancienne dynastie sans en être effrayé;et cette pensée l'empêcha toujours, comme beaucoup d'autres qui se trouvaient dans le même cas, de revenir sur ses pas. La crainte des trop justes châtiments qu'avaient mérités les crimes de la révolution a contribué plus qu'on ne pense à en prolonger la durée, et l'on voit assez que dans beaucoup de circonstances les meneurs ont exploité fort habilement ces causes de terreur en les exagérant encore. C'était, on ne peut en douter, le mot d'un profond scélérat que celui de Robespierre, lorsqu'il disait à ses collègues, pour les contraindre à voter la mort de Louis XVI: «Il ne

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s'agit pas de justice, c'est de notre << vie et de celle de la république. Il n'y a que la mort du tyran qui

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puisse les assurer...... Si cette mort ne les a pas sauvés absolument, on peut au moins certifier que la crainte du châtiment a souvent empêché ceux qui y avaient pris part de concourir au rétablissement de la monarchie, et qu'ainsi elle a contribué à les maintenir sous les drapeaux de la révolution. Si Talleyrand n'était pas régicide, il avait à se reprocher envers la dynastie légitime des torts peut-être plus graves encore; il le sentait; et jamais la crainte d'une réaction, pour nous servir de l'expression consacrée, n'est sortie de sa pensée; elle a été pendant le reste de sa vie la règle de sa conduite. Sans foi et sans probité, il ne croyait ni à la clémence des hommes, ni à la miséricorde divine. Barras, au contraire, con

ventionnel et régicide, appartenait comme lui à l'ancienne noblesse; comme lui, dès sa jeunesse, il s'était livré à beaucoup de dérèglements; mais ce n'était pas un homme profondément pervers; c'était par le malheur des temps, par des causes irrésistibles, qu'il avait été entraîné dans les torts de la révolution, et sans doute il croyait à la clémence des hommes, à la bonté de Dieu. Ne demandant pas mieux que de trouver une occasion de reconnaître ses erreurs, de les réparer, il saisit donc avec empressement la proposition qui lui en fut faite, vers la fin de l'année 1798, de la part du prétendant Louis XVIII, par FaucheBorel, qui d'abord avait gagné à cette cause le malheureux Pichegru; ensuite par MM. de Crangeac (10), RoyerCollard et Montesquiou; et dès qu'il eut fait une promesse, dès qu'il eut pris un engagement, il ne songea qu'à le remplir, et pour cela il fit tous ses efforts afin d'y associer les hommes qu'il crut le plus capables de le faire réussir. Au premier rang, sans doute, il devait placer l'ancien évêque d'Autun, qu'il connaissait depuis longtemps, à qui il avait rendu de très-grands services, et à qui il ne devait supposer aucun motif de perpétuer la révolution. Mais qui pouvait pénétrer dans tous les replis de cet esprit tortueux? Qui aurait pu penser, dans l'état de désordre et de calamités où se trouvait la France, qu'un homme aussi éclairé, aussi bien placé que l'ancien évêque d'Au

(10) L'abbé de Crangeac, parent et intime ami du comte de Précy, l'illustre défenseur de Lyon, était d'une des plus anciennes familles de la Bourgogne. Nous l'avons connu personnellement, et nous avons été mis par Ini dans la confidence des plus grands secrets de cette époque.

tun, ne voulût pas concourir à y mettre fin? Hélas! le pauvre Directeur connaissait bien peu l'ancien prélat! Il ne savait pas qu'au moment où il lui proposait de concourir avec lui au rétablissement de la monarchie légitime, Talleyrand était initié dans vingt intrigues de différents partis, et qu'il n'ignorait pas que déjà la couronne de France avait été offerte et promise à Moreau, à Macdonald, à Joubert; que ce dernier avait été tué à Novi, lorsqu'il voulait s'en rendre digne par une action d'éclat. On l'avait même offerte pour la seconde fois au duc de Brunswick; et lorsqu'il revint de Berlin, il est bien sûr que Sieyès avait apporté de sa mission un plan concerté avec ce prince, qu'il en avait fait part à Talleyrand, et que celui-ci le préférait à tous égards au rétablissement des Bourbons, même de la branche cadette. Cependant le prélat ministre n'avait pas entièrement repoussé la proposition de Barras. Plein de ruse et de duplicité comme il fut toujours, il se garda bien, au premier moment, de manifester toute sa pensée, et, quel que fût son éloignement pour le prétendant Louis XVIII, il se ménagea la possibilité de se déclarer pour lui, comme il l'a fait plus tard, s'il ne se présentait rien de mieux.

C'est dans cet état qu'en étaient les choses, lorsque Bonaparte revint d'Égypte. Tous les regards à l'instant se portèrent sur ce général, et ceux de Talleyrand plus que tous les autres. Ce retour était si bien alors selon ses vues, selon tous ses calculs, qu'on pensa même généralement que c'était par lui que Bonaparte avait été averti, que par lui il avait su qu'il était temps de revenir, que la poire était mûre. Cepen

dant, après avoir tout bien examiminé, nous doutons encore de ce fait, et rien n'en donne la certitude. La seule chose dont on ne puisse douter, c'est que dix-huit mois au paravant il avait contribué de tout son pouvoir à le faire partir, soit qu'en cela il fût d'accord avec les Directeurs, soit que ce départ convint à ses vues personnelles. Lors qu'il en avait été question deux ans auparavant, il n'avait négligé aucun moyen de le persuader. Après avoir fouillé dans tous les cartons du ministère pour lui démontrer que c'était une conquête facile, qu'il y établirait sans peine une magni fique colonie, un empire dont il serait le souverain, il le rassura encore sur les dispositions de la Porte, qui devait le voir sans la moindre inquiétude envahir une de ses provinces; et, pour le persuader plus complétement, il ne lui promit pas seulement d'écrire à Constanti nople, il se fit nommer ambassadeur de la républiqué près la Sublime Porte, sans qu'il ait eu un seul in stant l'intention de se rendre à un poste qui, dans de pareilles circonstances, ne lui convenait sous aucun rapport. Bonaparte fut néanmoins si bien persuadé de la sincérité de sa promesse, qu'au moment où, après le désastre d'Aboukir, il eut besoin de connaître les dispositions de la Porte, et, que dans cette inten tion, il fit partir pour Constantinople l'astronome Beauchamp, il lui donna une lettre pour l'ambassadeur Talleyrand, dont il ne don tait pas que l'arrivée dans cette ville n'eût précédé la sienne en Égypte. S'il l'avait mieux connu, le général en chef aurait bien pensé que le rusé ministre n'avait jamais pensé sérieusement à quitter Paris dans un

momentoù tant d'intrigues, tant d'intérêts l'y tenaient attaché. Quand il le revit deux ans plus tard, il ne fut pas me question entre eux de ce malentendu. Tant d'autres affaires devaient alors les occuper ! Dès que le ministre eut deviné, dès qu'il eut bien compris les projets du général, il lui expliqua tous les complots, toutes les intrigues qui s'étaient formés en son absence, et dont lui seul connaissait bien le but, les acteurs, auxquels même il était associé pour lá plus grande partie. Aucune, selon lui, n'était bien conduite, aucune n'avait de chances de succès, si ce n'est celle qu'ils pourraient former ensemble et dans laquelle il ferait entrer ses nombreux amis, même Sieyès, qui sans peine abandonnerait les siens ; puis ne pouvant pas douter que Barras n'eût aussi le projet de l'attirer à lui, il dé-' voila au général tout ce qui lui avait été confié sous la condition du secret le plus inviolable. Ainsi il ne compromit pas seulement l'homme à qui il devait tout, il compromit encore une cause qu'il avait promis de servir; et c'est ainsi qu'il en a agi toute sa vie. On sait quelles furent pour Barras les causes de cette perfide révélation.

Dès qu'il eut fait entrer le général en chef dans ses vues, Talleyrand ne s'occupa plus que de conduire à son terme, par lui et ses amis, cette révolution du 18 brumaire qui devait avoir de si grandes et de si longues conséquences! Sieyès et Rœderer furent ceux qui le secondèrent le mieux, et ce fut par lui que le premier se réunit à Bonaparte, qui en faisait peu de cas cependant, mais qui, sur l'avis de Talleyrand, comprit qu'en ce moment il lui était nécessaire. Au grand jour de l'exécution,

celui-ci, dès le matin, se rendit à Saint-Cloud avec ses agents d'intrigues accoutumés, Roux de Laborie, Montrond, André d'Arbelles, Ma ret, etc. Ne pouvant entrer dans les salles, ils se promenèrent longtemps dans les cours, fort incertains et fort inquiets de ce qui allait arriver. Dans ce péril, l'ancien évêque toutefois ne perdait pas la tête, et il examinait ses ennemis avec calme. C'est de témoins irrécusables que nous savons que, voyant passer près de lui les généraux Bernadotte, Jourdan et Augereau, qui se donnaient le bras de la manière la plus affectueu se, il dit à son voisin : Si nous sommes vaincus, voilà les hommes qui demain gouverneront la France. Mais il n'en fut pas ainsi; et la victoire, après avoir été vivement disputée, resta à la cause qu'avait embrassée Talleyrand, lequel, resté impassible dans le plus fort de la crise, donna au héros de cette grande jour née des avis très utiles. Quand la victoire fut assurée il se réunit au petit nombre de députés qui avaient suivi Napoléon et qui passèrent la nuit presque tout entière à faire des lois,à prendre les mesures qu'exigeait un événement aussi extraordinaire. Talleyrand et Roederer s'occupèrent plus particulièrement de diriger la presse et de faire pour les journaux un récit de la journée. Ils fournirent les jours suivants à Napoléon des renseignements très utiles sur les personnes et les choses que ces messieurs connaissaient mieux que lui; et ils firent en même temps, suivant l'usage et le premier but des révolutions, donner à eux et à leurs amis de très bons et très lucratifs emplois. Ce n'est pas par eux que fut dressée la liste de proscription, qui du reste fut sans résultat, et de

laquelle Talleyrand se fit l'honneur de rayer le nom de l'adjudant général Jorry, son ennemi personnel. On sait qu'il ne fut pas aussi généreux euvers Barras, à qui cependant il devait beaucoup, et dont il aurait pu du moins adoucir la disgrâce aussi imprévue que peu méritée; mais, toujours ingrat et sans pitié, il n'essaya pas même de détourner les coups dont le Directeur fut soudainement frappé.

Après cette mémorable journée du 18 brumaire, l'horizon politique du ci-devant évêque s'agrandit considérablement. Cependant il ne reprit pas aussitôt le portefeuille des relations extérieures; ce ne fut que le 25 décembre suivant que le complaisant Reinhart le lui rendit. En attendant, il travailla plus utilement peut-être pour lui et pour les siens, de concert avec un petit nombre d'initiés, à organiser le nouveau gouvernement, soit en supprimant d'anciens emplois, soit en en créant de nouveaux et surtout en faisant donner à ses amis, à ses créatures, des places, de bonnes gratifications. Dans toutes les circonstances, son premier soin fut de s'entourer d'hommes sûrs et dévoués, d'assurer leur existence, puis de repousser, d'éloigner tous ceux qui lui inspiraient quelque défiance. On conviendra que cette méthode est plus sûre, plus habile que celle de tous ces gouvernements de faiblesse et d'ingratitude que nous avons vus se succéder si rapidement et qui croyaient être habiles en tendant la main à leurs ennemis, en repoussant des amis éprouvés. Talleyrand fut certainement un de ceux qui contribuèrent le plus à faire entrer le gouvernement consulaire dans une autre voie, et c'est sous ce rapport surtout

que Bonaparte sut l'apprécier; c'est en adoptant un système aussi simple, aussi raisonnable, qu'il donna à son gouvernement tant de force et de stabilité. Du reste, il est bien vrai qu'à l'époque de son avénement, si l'on en excepte son armée, le consul ne connaissait en France ni les personnes ni les choses; mais sa haute sagacité lui fit bientôt distinguer ceux qui pouvaient lui être utiles, et en première ligne Talleyrand; ce qui était assurément une preuve d'habileté et de discernement. Lié depuis longtemps à toutes les intrigues, à tous les complots de la révolution, l'ancien évêque avait vu et pratiqué successivement tous les intrigants, tous les fauteurs d'émeutes et d'insurrections. A son début dans la diplomatie, en 1792, dans ses missions de Londres, et surtout à Paris, au milieu des terribles événements d'août et de septembre, il avait été avec Roederer le conseiller du funeste emprisonnement de Louis XVI, puis avec Danton et Dumouriez celui des honteuses conventions de Valmy, et en même temps des pillages, des égorgements qui en avaient été le moyen et les conséquences. Voilà ce que fut notoirement l'initiation de Talleyrand dans la diplomatie révolutionnaire, dans cette politique de spoliation et d'assassinats, plus odieuse cent fois que celle du XVIe siècle. Si Machiavel fit connaître aux rois l'art d'opprimer les peuples, on peut dire que les maîtres de notre époque n'ont pas seulement appris aux peuples à détrôner les rois, mais qu'ils leur ont encore enseigné à les égorger, à se mettre à leur place. Comme l'a dit Alfiéri, quand on a bien vu les petits, on cesse d'accuser les grands. Nous nous garderons bien de dire

que le héros du 18 brumaire voulût suivre en tous points de pareils errements, ni qu'il se soit jamais proposé d'ajouter de nouveaux torts aux crimes de la révolution; mais pour réparer ces torts il fallait les connaître, il fallait en savoir les causes, les auteurs, et, sur cela, personne ne pouvait lui en dire plus que l'ancien évêque d'Autun. Si cet homme eût été de bonne foi, s'il n'avait pas eu lui-même de grands torts à se reprocher, par lui et le jeune consul de très-beaux jours pouvaient naître; tous nos malheurs pouvaient être réparés! Si dès lors Bonaparte n'obtint pas de lui de bons et utiles renseignements, s'il ne lui indiqua pas, dans toutes les occasions, les véritables moyens de réparer nos malheurs, ce n'est donc pas le consul qu'on doit en accuser.

Aussitôt après la révolution du 18 brumaire, dès que Napoléon fut maître absolu du pouvoir, ne gardant plus aucune mesure et se posant en véritable souverain, il voulut annoncer lui-même son avénement à tous les rois de l'Europe. Nous ne pensons pas qu'en cela il ait pris conseil de Talleyrand, qui, tout révolutionnaire qu'il eût été jusqu'alors, savait bien les règles de ces sortes de communication et ne pensait pas que le temps fût venu de s'en écarter. On sait comment le ministère anglais y répondit et quelles conditions il mit aux propositions de paix qui lui furent faites si brusquement. Nous ne citerons de cette réponse que la partie la plus remarquable,celle qui donna lieu aux plus vives récriminations. Selon le ministre Grenville, qui signa la dépêche, le gage le plus sûr « de la réalité et de la durée de la « paix, qui était proposée par la France, devait être la restaura

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