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menaça aussi pour cela d'invasion, d'occupation, c'était le grand moyen; et ce qu'il y avait de plus fâcheux, c'est que l'Espagne duty intervenir par suite d'un arrangement avec le ministre Godoy, devenu prince de la Paix, et qui dirigeait les affaires de la péninsule ibérienne avec autant de dextérité qu'y en eût mis Talleyrand son confrère. Après quelques menaces, quelques manifestations belliqueuses, le Portugal donna six millions de francs. Nous pensons bien qu'il en entra quelque chose au tré sor public; mais on peut être bien sûr aussi que quelque chose en resta dans les poches des Directeurs, comme aussi dans celles du ministre,qui avait tout arrangé, tout préparé, et qui, dans cette occasion comme toujours, avait eu pour l'assister de nombreux et très habiles agents qu'il fallait bien payer.

Ce fut encore pour faire face à ces dépenses que le ministre des re lations extérieures, toujours dans l'attitude du lion de l'Écriture qui cherche une nouvelle proie, quærens quem devoret, porta ses regards sur le continent européen, où il ne vit plus que les villes anséatiques qui pussent répondre à ses vues. Pour cela on doit bien penser qu'il interrogea son ancien ami Reinhart, qui depuis cinq ans était consul de France à Hambourg, où se faisait un très-grand et très-avantageux commerce avec l'Angleterre. Ce commerce, illicite selon le nouveau droit français, et le séjour plus illicite en core des émigrés qui y étaient en grand nombre, furent d'abord l'objet de quelques explications, puis de mena ces positives et qui amenèrent la demande d'un petit emprunt de douze millions de francs. Mais les sénateurs hambourgeois ne s'effrayèrent pas à

cette époque il n'y avait point encore d'armée française à leurs portes, et la neutralité prussienne ne permettait guère d'en approcher. Ce fut done en vain que Reinhart insista et remit plusieurs notes, que l'agent 'secret Léonard Bourdon, dans des vues de finances, fonda en ce pays, sous le nom de Société philantropique, un foyer de propagandisme. Tous ces moyens restèrent sans effets, et le petit emprunt ne put s'opérer.

Nous pourrions ajouter à toutes les invasions, à toutes les honteuses déprédations qui furent exécutées en cette année 1798, par ordre des pentarques de la république française et sous la direction de leur habile ministre, les infortunes de CharlesEmmanuel IV de Sardaigne, qui avait encore à leurs yeux un plus grand tort que tous les autres rois, celui d'avoir épousé la sœur de Louis XVI, cette admirable princesse Clotilde que l'Eglise a sanctifiée, et qui le méritait si bien par ses hautes vertus! Ce fut encore du ministère de Talleyrand qu'émana cette persécution; ainsi nous ne sortirons pas de notre sujet en la racontant. Pour que rien ne manquât aux infortunes d'un héritier de cette ancienne dynastie de Savoie, dont le sang s'était mêlé tant de fois à celui de nos rois, les directeurs et leur ministre avaient encore fait choix d'un homme bien propre à remplir cette mission; c'était le dévastateur, le spoliateur de la Suisse, encore tout couvert du sang qu'il avait répandu dans cette malheureuse contrée, mais non satisfait des trésors qu'il y avait enlevés! C'était l'ancien ami de Danton, de Talleyrand, qui joignait à tant de titres celui d'être soupçonné d'avoir concouru le 3 septembre 1792 à l'assassinat de la princesse de Lam

balle, née princesse de Savoie, et cousine du roi Charles Emmanuel! On conviendra qu'il y avait dans ce choix quelque chose de vraiment remarquable. C'était une attention tout à fait digne de l'époque où, par les soins du même ministre, on ne manquait jamais d'envoyer des ambassadeurs régicides aux cours de Naples et de Madrid, partout où réguaient encore des princes de la maison de Bourbon. Sans nous étendre davantage sur la malheureuse destinée de Charles-Emmanuel, dont nous avons donné une notice suffisante à la p.470, t. LX de la Biographie universelle, nous y ajouterons un fait assez remarquable, c'est que Charles Emmanuel et son épouse, forcés de se réfugier en Sardaigne, s'arrêtèrent à Florence, et qu'ils y passèrent plusieurs jours dans la compagnie de l'infortuné Pie VI, expulsé de Rome par des motifs et des moyens plus odieux encore, s'il se peut, que ceux qui les avaient fait partir de Turin. Ce fut une rencontre bien heureuse et dont les illustres époux remercièrent de tout leur cœur la Providence qui leur envoyait cette consolation. Vainement ils cherchèrent à entraîner le pontife dans leur dernier asile ; il s'y refusa, de peur d'ajouter à leurs maux. Une rencontre bien différente, que fit dans la même ville le roi Charles-Emmanuel, n'est pas indigne de l'histoire; ce fut celle du fameux poète Alfiéri, qui avait passé sa vie à écrire, à déclamer contre les rois, contre les tyrans, et qui maintenant, revenu de ses erreurs, se jetait aux pieds de son légitime souverain et lui demandait pardon. Plus malheureux que lui, ce prince lui avait pardonné depuis longtemps; il lui répondit alors par un seul mot, qui n'était que trop significatif : « Ecco il tiranno,

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Voilà votre tyran! Voyez ce qu'il est arrivé de toutes vos attaques

contre les grands de la terre! - Hé· las! dit le poète, en se prosternant . à ses genoux, alors je ne connaissais pas les petits!»

Obligé de renoncer pour le moment à l'exploitation de la confédération anséatique, Talleyrand se retourna vers les États-Unis d'Amérique, qui, de même que les Hambourgeois, trouvaient assez bien leur compte à rester neutres entre la France et l'Angleterre, qui se faisaient une guerre réciproquement funeste; ils rendaient même d'assez grands services à la première de ces puissances qui, privée de cette neutralité, serait restée réellement bloquée dans ses ports et sans communication avec le reste de l'univers; ce que le gouvernement français aurait dû comprendre; mais les passions révolutionnaires ne raisonnent pas. En ce moment, le Directoire exécutif de la république française, ayant appris qu'un traité de commerce existait entre l'Angleterre et les États-Unis, et que quelques avantages y avaient été stipulés pour ces derniers, en parut mécontent, et trouva dans cette circonstance la cause ou le prétexte d'un différend assez remarquable et dont le récit forme un des épisodes les plus curieux du système de vénalité et de corruption dont l'ancien évêque d'Autun est le créateur et dont toutes les phases, tous les instants de sa vie sont empreints. Dans cette circonstance il dépassa toutes les bornes de la fraude; ce fut véritablement une tentative d'escroquerie, un vol de bas étage et tel qu'on en voit peu, même sur les bancs de la police correctionnelle! Nous en parlerons avec un peu d'étendue, parce

qu'il caractérise bien l'homme et l'époque dont nous écrivons l'histoire. Dès que le Directoire connut l'existence du traité de commerce entre l'Angleterre et les États-Unis, il commença, sans avertissement et sans déclaration, par faire saisir tous les navires américains qui se trouvaient dans les ports français et tous ceux que l'on put rencontrer en mer chargés de marchandises anglaises, de manière que tout le commerce américain se trouva suspendu. On conçoit l'émotion qui en résulta parmi ce peuple essentiellement industriel. Au premier instant il fut décidé que trois commissaires se rendraient à Paris avec de pleins pouvoirs. C'était là que Talleyrand les attendait; ils étaient tombés dans son piége; mais la fermeté, la prudence qu'y mirent les commissaires suffit pour les en tirer. Arrivés à Paris le 4 octobre 1797, le 6 ils envoyèrent le major Rutlege au citoyen Talleyrand, pour le prier de fixer le jour où ils pourraient être reçus; il fixa le 8 octobre. Après avoir lu leur lettre de créance, il annonça qu'il travaillait à un rapport sur la situation respective des deux États, et que, dès qu'il aurait fini, ses conclusions leur seraient communiquées. Huit jours plus tard, le secrétaire du ministre déclara au secrétaire de la légation américaine que le Directoire était si irrité de quelques passages du discours par lequel le président Adams avait fait l'ouverture du congrès, que probablement il ne donnerait pas d'audience aux plénipotentiaires avant que les négociations fussent terminées. Le 18 octobre, le plénipotentiaire Pinckney reçut la visite du négociateur secret de Talleyrand, désigné dans les dépêches par la lettre X (Bellami, de Hambourg), qui

s'annonça comme chargé de traiter de la part du ministre, assurant que celui-ci avait beaucoup d'estime pour les Américains, qu'il désirait sincè rement leur réconciliation avec la France, que, pour y réussir, il fallait adoucir les passages du discours qui avaient choqué le Directoire, et surtout mettre à la disposition du citoyen Talleyrand, une douceur en argent. Le 20, il y eut chez le plénipotentiaire Marschall, une conférence des trois négociateurs avec M. X.... et un ami confidentiel de Talleyrand, désigné dans la dépêche par la lettre Y. Il déclara que le ministre, à raison des égards qu'on avait eus pour lui en Amérique, était dans les meilleures intentions pour calmer le Directoire, qui était fort irrité contre le gouvernement américain. Le ministre, ajouta-t-il, n'est autorisé à aucune communication avec les plénipotentiaires, et ne pouvant les voir luimême, il leur envoie son ami pour établir les bases d'une réconciliation, savoir; une révocation formelle de quatre passages du discours du président, un article secret par lequel l'Amérique devait faire un prêt qui ne serait pas connu du public. Et il ajouta qu'après cette satisfaction l'argent serait donné, car il faut de l'argent, dit-il encore, et beaucoup d'argent, beaucoup d'argent.-Dans une autre conférence, M. Y... fixa le prêt à 32 millions, sous la garantie des rescriptions bataves, et sans qu'il fût question de la gratification de douceur. Les plénipotentiaires répondirent de nouveau que leurs pouvoirs étaient très étendus, mais qu'ils n'en avaient aucun pour un prêt, et ils déclarèrent que l'un d'eux allait retourner en Amérique pour recevoir des instructions à cet égard; qu'en attendant ils priaient le Direc

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toire de faire cesser la saisie des navires américains. Cette réponse ne sa tisfit en aucune façon M. Y..., et il déclara aux plénipotentiaires qu'ils lui devaient le même respect qu'à la puissance royale; ce qu'ils ne contestèrent point. Dans une autre conférence, après de nouvelles explications, les plénipotentiaires finirent par déclarer que toute l'Amérique faisait des vœux pour éviter la guerre, mais que la position actuelle était plus ruineuse que ne le serait une guerre declarée; que si elle était attaquée, elle chercherait des moyens de se défendre... Alors M. Y... en revint à l'argent.-Messieurs, dit-il, vous ne parlez point de l'objet spécial; c'est de l'argent. On s'attend que vous en offrirez. Nous nous sommes exprimés très positivement à ce sujet, répondirentils. Non, dit l'émissaire; mais quelle est donc votre réponse? Notre réponse est non, point d'argent, pas un sou... M. X... ayant insisté sur les dangers auxquels l'Amérique allait s'exposer, l'agent confidentiel demanda s'il ne serait pas prudent, quand même ils ne voudraient pas faire de prêt à la nation, de mettre dans leur intérêt quelque ami influent, que l'argent était l'unique moyen de se procurer quelque bienveillance, et qu'ils devaient considérer si la situation de leur pays n'exigeait pas qu'ils eussent recours à ce moyen irrésistible; puis il ajouta que, s'ils employaient un avocat pour défendre leur cause, ils lui donneraient des honoraires. Les plénipotentiaires ne convinrent de rien de tout cela, et ils persistèrent à repousser toutes les propositions de M. X..., qui insista jusqu'à satiété sur la question d'argent, annonçant comme lénitif que le Directeur Mer

lin ne recevrait rien sur la somme de douceur. Comparant ensuite ce tribut à celui que l'on donnait aux Algériens, les plénipotentiaires répliquèrent vivement qu'en traitant avec des pirates on savait ce que l'on avait à faire, mais qu'avec la France leur gouvernement avait supposé qu'une proposition de cette nature eût été une offense... Là cessèrent les conférences. Peu de jours après, le Directoire sollicita des conseils législatifs une loi qui établit que tout bâtiment, de quelque nation qu'il fût, serait confisqué, s'il était porteur de marchandises anglaises, ce qui n'était en réalité qu'une représaille du traité avec l'Angleterre, et devait être désastreux pour les Américains. C'était une sorte de déclaration de guerre. L'Amérique, de son côté, se prépara à la résistance, et Washington fut nommé commandant en chef.

Dans l'intervalle, les plénipotenciaires Marschall et Pinkney, n'ayant pu se faire reconnaître à Paris, étaient retournés dans leur patrie, et ils avaient fait à Philadelphie une entrée triomphale, dont le motif évident fut de les dédommager de tous les désagréments essuyés dans leur mission. D'un autre côté, les pièces de la négociation s'étaient répandues en Europe, à la confusion du Directoire et de son ministre. Forcés de rompre le silence, its répondirent par leur journal officiel, avec une impudence rare, que c'était de la part des envoyés américains un monument déplorable de crédulité et de contradiction.

Et dans une lettre de Talleyrand lui-même à M. Gery, l'un des plénipotentiaires, le ministre s'emporta plus impudemment encore, s'il est possible, en déniant absolument des faits qui n'avaient eu lieu que par ses or

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dres et par ses agents les plus intimes; il osa demander le nom de ces mêmes hommes qu'il avait commissionnés et mis en œuvre. Voici sa lettre, qui fut partout publiée: Je vous communique, monsieur, une gazette de Londres, du 5 mai, où vous • trouverez une très étrange publication. Je ne puis voir sans surprise que des intrigants aient profité de l'isolement dans lequel les envoyés des États-Unis se sont tenus, pour faire des propositions et tenir des discours dont l'objet ⚫ était évidemment de vous tromper. Je vous prie de me faire connaître ⚫ immédiatement les nom's désignés par les initiales W, X, Y et Z, et • celui de la femme qui est désignée ⚫ comme ayant eu avec M. Pinkney ⚫ des conversations sur les intérêts . de l'Amérique. Si vous répugnez à me les communiquer par écrit, ⚫ veuillez les communiquer confidentiellement au porteur. Je dois compter sur votre empressement à mettre le gouvernement à même d'approfondir ces menées, dont je • vous félicite de n'avoir pas été dupe, et que vous devez désirer de • voir s'éclaircir.... Mais tandis que le citoyen Talleyrand affirmait ainsi effrontément qu'il ne savait pas les noms des intrigants dont les plénipotentiaires avaient été dupes, ces messieurs publiaient ces noms avec toutes les lettres dans un rapport officiel qui retentit dans les deux mondes et qui couvrit l'ancien prélat d'une honte ineffaçable. C'étaient MM. de Sainte-Foix, de Montrond, André d'Arbelles, que tout le monde connaissait pour les intimes, les inévitables agents de toutes les intrigues du ministre. Et lorsque le citoyen Talleyrand affirma ensuite dans un mémoire qu'il n'avait jamais donné

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aucune autorisation aux agents X et Y son agent particulier, M. Bellami, de Hambourg, affirma, dans une réplique foudroyante que tous les journaux répétèrent, qu'il n'avait rien fait, rien dit, rien écrit sans les ordres du citoyen Talleyrand. Il fallut dévorer ce nouvel affront sans pouvoir y répondre un mot! Nous comprenons bien ces turpitudes, nous qui en fûmes les témoins; mais nous ne pensons pas que la postérité puisse y croire aussi facilement, et elle y croira d'autant moins, que ce même homme fut encore longtemps chargé des plus hautes fonctions, qu'il régla, qu'il đécida le sort des nations, enfin, puisqu'il faut le dire à la honte de notre siècle, qu'il est mort paisiblement en possession d'une grande fortune et de tous les honneurs auxquels puissent aspirer l'honneur et la vertu.

Le retentissement qu'eurent tant d'infamies, les clameurs auxquelles elles donnèrent lieu dans les clubs et dans les journaux, finirent cependant par donner alors quelque souci au citoyen Talleyrand. Ne pouvant faire mieux, dans l'état d'anarchie où se trouvait la France, il attaqua devant les tribunaux l'un de ses agresseurs les plus acharnés, l'adjudant général Jorry; mais à son grand désappointement, cet homme, qui ne jouissait pas de beaucoup de considération, fut cependant acquitté et renvoyé absous, lorsque survint la révolution du 30 prairial (juin 1798), qui augmenta encore beaucoup l'importance et l'audace du parti ultra-révolutionnaire.

Obligé de céder à l'orage qui grossissait de jour en jour, le citoyen Talleyrand offrit sa démission, qui ne fut pas d'abord acceptée, mais qu'enfin on lui accorda par une épître

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