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gnation aux dispensations de cette Providence adorable dont les voies ne sont pas les nôtres, et qui avait ordonné dans sa sagesse que notre petite Sion passerait par tous les degrés... pour arriver enfin à une destinée qu'Elle a voilé à nos yeux, et qui est une partie infinitésimale du système politique de notre planète.

Déjà menaçante pour l'Europe et fatalement décisive pour la France, l'année 1792 vint rappeler au solitaire de Genthod que ses jours étaient comptés. C'est alors que le disciple de Montesquieu, jusqu'au bout fidèle, dépose pour jamais la plume. Il a connu les combats de la pensée, il a remporté des victoires sur la vérité, mais tout ici-bas à un terme. Il aurait bien encore, comme Bailly, le sublime du courage, si ses forces étaient à la hauteur de son courage; mais la maladie l'accable, les infirmités se disputent son corps; il ne peut plus même contempler cette « riante verdure des feuilles » qu'il a tant aimée, et bientôt les beaux arbres qui l'ont vu jeune ombrageront sa décrépitude. Ce qu'il faut faire, il le fera pourtant. A la vue du vaisseau en péril qui porte la fortune de la France et traîne à sa remorque les destinées du monde, il rallie les siens de la voix, il encourage de Saussure, son émule de gloire et de patriotisme, puis, levant au ciel ses mains défaillantes, il garde encore la pure, la religieuse espérance : « Ne désespérez pas du salut de la France; adorons les voies de la Providence qui, dans le gouvernement moral de ce bas-monde, se sert des folies d'une génération pour préparer le bonheur des générations futures. Cette robuste foi, que le philosophe mourant tentait de communiquer à l'abbé de La Noue, aurait fléchi bientôt devant les saturnales de la Terreur, devant les meurtres, les exils, les proscriptions, l'échafaud, devant tous ces

D

1 Dans une lettre du 29 janvier 1791, dont M. Henri de Saussure a bien voulu me laisser prendre connaissance.

sanguinaires défis jetés aux lois, à la religion, à la propriété,

à la famille.

Prends les ailes de la colombe,

Prends, disais-je à mon âme, et fuis dans les déserts;
Ou que l'asile de la tombe

Nous sépare enfin des pervers!

Bonnet ne répéta pas ces beaux vers du poëte le Brun, il ne vit point tous les jours de souillure et de deuil. Dieu lui épargna cette douleur. Le sombre 93 n'avait pas achevé la moitié de son cours que Charles Bonnet jouissait à côté du grand Haller de l'éternelle paix.

ÉDOUARD HUMBbrt.

UN DIOCÈSE SOUS LOUIS XIV.

Le Journal de l'abbé Ledieu est scindé en deux parties fort distinctes par la mort de Bossuet survenue le 12 avril 1704'. Dans un précédent article, nous avons donné, d'après les indications fournies par ce Journal, quelques détails sur les dernières occupations de l'illustre évêque de Meaux et les circonstances qui accompagnèrent sa fin. Nous nous proposons aujourd'hui de dérouler devant les yeux de nos lecteurs quelques traits du tableau que trace l'abbé Ledieu rendant compte de l'administration du diocèse de Meaux sous la houlette du successeur de Bossuet, Bissy, ancien évêque de Toul.

Avec la mort de Bossuet, la scène au milieu de laquelle se trouve placé l'abbé Ledieu subit une profonde transformation. Bossuet s'était montré à nous comme complétement absorbé par le soin de maintenir ce qui était à ses yeux l'unité et la pureté de la foi et ce que nous appellerions plutôt l'uniformité de l'enseignement théologique. Mais tel ne fut pas le principal souci de l'évêque Bissy; très-ardent contre les jansénistes, il est plus porté à les dénoncer que capable de les éclairer ou de les réfuter, et il n'emploie pas moins de six ans à composer une seule ordonnance doctrinale contre le jansénisme; encore l'abbé Ledieu nous assure-t-il que cette production si péniblement élaborée était fort médiocre et n'eut aucun succès.

L'abbé Ledieu a commencé la rédaction de son Journal en 1699, étant alors secrétaire de Bossuet; il poursuivit son travail après la mort de Bossuet jusqu'à l'an 1713, exerçant les fonctions de chancelier du chapitre de Meaux.

Voir Bibliothèque Universelle, septembre 1857.

Bissy n'imita point non plus l'exemple de son prédécesseur qui, tous les jours de grande fête, et jusqu'à sa soixante-huitième année, édifia par ses éloquentes exhortations les fidèles de Meaux; nous ne voyons point le nouvel évêque monter en chaire une seule fois, et son absence dans les occasions les plus solennelles est un sujet de scandale1. «Remarquez, écrit l'abbé Ledieu (avril 1706) que ce prélat a fait ses voyages les trois dimanches de Pâques. Le jour des Pâques fleuries, il est arrivé de Paris; le jour de la grande Pâques il est allé coucher à Versailles; et le jour de Pâques closes, il s'en va à Germigny, en plein midi, avec tous ses équipages. >> « Notre évêque, dans sa retraite de Germigny, ne va à la paroisse ni dire ni entendre la messe, ni assister à vêpres, les dimanches, ni les fêtes; l'on n'y voit non plus aucun de ses domestiques; son aumônier Denis y paraît fort dissipé, car disant tous les jours la messe, il ne laisse pas d'aller à la chasse le plus qu'il peut, en pourpoint, une gibecière à sa ceinture, le fusil sur l'épaule; et on le voit revenir ayant de plus trois ou quatre lapereaux battant sur ses côtés. » Bissy ne prit non plus jamais

La marquise d'Uxelles, après avoir annoncé que le père Gaillard a été désigné pour prononcer l'oraison funèbre du prince de Condé, ajoute: « On disait qu'il fallait un évêque, mais il n'y en a pas beaucoup de prédicateurs. (Lettre de la marquise d'Uxelles, 13 avril 1709.) La Bruyère représente l'évêque ou le curé de son temps comme tranquillement assis dans le temple, « pendant que le feuillant ou le récollet quitte sa cellule pour venir le prêcher lui et ses ouailles, et en recevoir le salaire, comme d'une pièce d'étoffe.»

* Cet aumônier n'était pas le seul individu de sa profession pour lequel la chasse eut un très-vif attrait, à en juger par ces lignes de Mme de Sévigné. Nous étions hier dans l'avenue, Saint-Aubin et moi, nous avions entendu un cor dans le fond de cette forêt; tout d'un coup nous entendons passer comme une personne au travers des arbres; c'était un grand chien courant. Qu'est-ce que c'est ?» dit Saint-Aubin.-C'est, lui dis-je, un des aumôniers de Mar de Senlis. » Ces aumôniers chasseurs nous rappellent le curé du diocèse de Clermont que dépeint Fléchier dans ses

la peine de réunir ses curés en synode, fonction à laquelle Bossuet attachait une grande importance et s'astreignait avec une scrupuleuse régularité, « ce qui fait dire aux plus sensés, observe notre abbé, que la doctrine souffrira un grand déchet sous ce prélat, qui perd ainsi les occasions d'exciter ses curés à l'étude, et fait juger qu'il n'a pas lui-même un grand fonds de doctrine. >>

Un autre défaut contre lequel l'abbé Ledieu décoche sans se lasser les traits d'une indignation bien puérile, c'est l'ignorance dont le nouvel évêque fait preuve dans l'accomplissement des cérémonies ecclésiastiques, et son peu d'égard pour les règles consacrées par la tradition. «Non-seulement, Mgr l'évêque, mais encore son petit aumônier n'ont aucun goût ni pour le chant, ni pour les cérémonies, ni pour l'ordre, ni pour la décence, ils n'en savent pas le premier mot, ils font tout au hasard. Le petit aumônier ne sait rien, il a donné à son prélat des ornements violets et il en fallait de rouges.» « Ce saint jour de la Pentecôte, l'évêque, son maître assistant, ses diacres d'honneur, ses clercs et son aumônier ont tous fait l'office très-mal et de travers, faisant des fautes énormes à chaque chose et dans les plus importantes, comme la bénédiction nuptiale de la messe.» A la Toussaint les choses n'allèrent pas mieux. « Ce premier novembre, fête de la Toussaint, Mgr l'évêque a dit la messe, ce qu'il a fait d'une manière pitoyable, avec

Mémoires sur les Grands jours. « La chasse l'occupait plus que le service divin, et il avait plus de soin de faire mourir des lièvres que d'assister ses paroissiens. Pour vous exprimer l'ardeur qu'il avait pour cet exercice, je n'ai qu'à vous dire qu'il était tombé dans un tel déréglement, que, portant le saint sacrement dans une ferme assez éloignée de son presbytère, il faisait porter son fusil par son clerc, et s'il découvrait quelque gibier par la campagne, il quittait le saint sacrement, et, prenant ses armes en main, il poursuivait sa proie jusqu'à ce qu'il l'eût prise ou qu'il l'eût manquée, Saint-Simon dit que l'abbé de la Rochefoucault ne manquait aucune chasse et était appelé l'abbé Tayaut.»

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