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tête-à-tête. Il s'est condamné à ne voir que ce qu'il veut voir. Il méprise les faits. Il a perdu le sentiment du vrai. Il faut que le monde entier passe par le trou d'aiguille de son système. De l'hésitation en présence d'une difficulté, du respect pour une différence d'opinion, le besoin d'accueillir tous les éléments de la réalité telle que Dieu l'a faite, de concilier des contradictions apparentes, de contrôler la théorie par l'application,— allons done! N'avons-nous pas la vérité absolue? Absolue, entendez-vous, c'est-à-dire complète et définitive? Tant pis pour ceux qui ne la voient pas.

L'Univers a deux instruments, l'un pour édifier, l'autre pour détruire. Celui-ci est l'injure, celui-là le paradoxe. M. de Maistre a fait grand usage du paradoxe; il en a révélé la puissance. M. Veuillot a encore renchéri sur son modèle. Cela s'explique facilement. Au point de vue de notre journaliste, rien n'est vrai d'une vérité intrinsèque; les opinions ne sont pas fondées ou erronées en vertu de leurs rapports avec la réalité, mais en vertu de l'appui ou de la résistance qu'elles offrent à un système. Cette foi-là ressemble fort au scepticisme, et le scepticisme est volontiers paradoxal. D'ailleurs il en est du paradoxe comme de la calomnie, il acquiert du crédit en avançant. Répétez à tout propos que les jésuites étaient purs comme l'enfant qui vient de naître, que l'inquisition a été la plus bienfaisante des institutions: le lecteur commence par s'indigner et finit par supposer qu'il y a beaucoup à dire des deux côtés de la question. L'intelligence devient également prête à douter de tout et à tout croire. C'est précisément la position dans laquelle il s'agissait de la placer. Dès que l'incertitude lui pèsera, ébranlée, fatiguée, éperdue, elle embrassera aveuglément la vérité qu'on lui donnera en échange de toutes les

autres.

M. Veuillot est tenu à l'insulte aussi bien qu'au paradoxe. C'est l'un des devoirs de sa position. Je dois dire qu'il s'en acquitte sans rechigner. Il a le mérite d'avoir reconnu toutes

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les conditions de sa tâche et de n'avoir reculé devant aucune. Il a compris que l'Univers ne peut, sans se renier, admettre l'existence du vrai ou du bien en dehors de ses propres doctrines. C'est à ce prix seulement que l'absolu peut rester absolu. Mais quoi? Il arrive çà et là que les infidèles s'avisent encore d'avoir quelques lumières, quelques talents, quelques vertus. On a vu le génie, le mérite allié à l'hétérodoxie. Ici le dénigrement devient d'obligation étroite. Il faut détruire des parences dangereuses, des réputations importunes. Heureusement que M. Veuillot est un démolisseur incomparable, un artiste en dénigrement. Il faut le voir employer tour à tour l'insinuation, le ridicule, l'outrage, attaquer le style quand il ne peut remonter jusqu'à l'homme, l'homme quand il est obligé de respecter le style. Respecter, ai-je dit? M. Veuillot respecter! Quelle alliance de mots! A des dissidents on ne doit que le mépris. Les fidèles sont tous de grands hommes, les autres sont tous des sots ou des scélérats. Voyez l'Univers demander des statues pour O'Connell, le démagogue astucieux et grossier, et déclarer, la main sur la conscience, que l'Angleterre est au-dessous du Mexique dans l'échelle de la moralité. Il est convaincu des vertus de Philippe II et du crime de Calas. Il nous apprend qu'on croit à Molière parce qu'on ne croit pas à Dieu. Il ne se sent plus de joie depuis que M. de Pontmartin a «‹éreinté » Béranger. Les mandements épiscopaux le transportent d'admiration; quant à la prose de M. Mignet.... « c'est beau comme le canal de l'Ourcq, c'est tranquille, nettoyé et fade.» Il est certain que le style de M. Veuillot est de plus haut goût. Mais c'est un point arrêté. L'Univers est compromis si le français de l'Académie n'est un « petit français. » Telle est l'expression consacrée. Ainsi va M. Veuillot, jetant l'encens et la boue, la boue surtout, et se demandant chaque matin quelle cause ou quel homme il lui reste à salir. Triste métier, et qui lui paraîtrait tel s'il lui restait quelque sentiment de justice.

La justice! C'est un ilote dans le royaume de l'absolu. Son rôle consiste à être bafouée. Qui dit juste, dit froid; qui dit impartial, dit faux frère. M. Veuillot n'en veut à personne plus qu'à ses anciens associés, ceux qui sont restés en route épouvantés de ses excès. C'est que la séparation a moins sa cause dans une opinion que dans une manière de sentir. M. de Montalembert est aussi bon catholique que le rédacteur de l'Univers, mais il a un étrange besoin d'équité. Il faut qu'il reconnaisse le bien là où il le voit. Il estime que l'Angleterre est une grande nation. On l'a entendu rendre hommage à des missionnaires d'une autre communion que la sienne. Entre cette noble nature et celle de M. Veuillot il y a un abime. Lequel? Eh! précisément la noblesse des sentiments.

M. Veuillot décrit lui-même les procédés de la diffamation. Le passage est de main de maître. « On annonce qu'on va rendre compte d'un livre; en réalité, on le salit, on le falsifie, on le déchire, quelquefois avec art, presque toujours grossièrement. Autant qu'on le peut on avilit l'auteur, lui attribuant de sordides motifs, lui faisant dire ce qu'il ne dit pas, lui prêtant des fautes qu'il n'a point commises, assurant carrément qu'il se trompe là où il a le plus manifestement raison, se méprenant à dessein sur des pensées aussi claires que le jour, insinuant par-dessus tout que son ouvrage est ennuyeux et même immoral. » Peut-on dire mieux? Je tourne la page et je trouve la propagande protestante accusée de soudoyer des lithographies obscènes (petit français par parenthèse!) contre les ordres religieux et le clergé catholique. » En vérité la propagande protestante peut avoir beaucoup de choses à se reprocher, mais des images obscènes! M. Veuillot en est-il bien sûr? Qui, lui? il n'en sait rien et ne se soucie pas même de savoir ce qu'il en est. Si le fait n'est pas vrai, il pourrait l'être, il doit l'être, cela suffit. De aliter sentientibus nil nisi malum.

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A ces procédés le talent de l'écrivain perd plus qu'on ne pense. M. Veuillot a montré que, s'il est avant tout homme

Bib. Un. T. I. - Janvier 1858.

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de lutte, il pouvait réussir dans d'antres genres. Un morceau sur le général Cavaignac, récemment inséré dans l'Univers, prouve que le désir d'être impartial ne nuit jamais. Si M. Veuillot savait douter quelquefois et quelquefois chercher, s'il apprenait à tenir compte des intentions, à peser les témoignages, à faire la part des circonstances, à élargir ses sympathies, il gagnerait en force ce qu'il gagnerait en dignité, en moralité. Son esprit prendrait en même temps de la substance: son œuvre ne serait plus aussi négative. En effet, l'éclat des controverses soutenues par M. Veuillot fait illusion sur la stérilité de son enseignement. A proprement parler il n'enseigne pas, et, qui pis est, il n'a rien à enseigner. On est tout étonné quand on cherche à se rendre compte de l'œuvre de M. Veuillot. M. Veuillot n'est pas un penseur; MM. de Maistre, de Bonald représentaient des idées, notre écrivain ne représente qu'un parti. M. Veuillot est encore moins un poëte; il n'a ni la sensibilité, ni l'imagination, ni la grandeur, ni le charme. M. Veuillot n'est pas même un critique, j'entends un homme qui apprécie les faits en les ramenant à des principes puisés dans la nature de l'esprit humain ou dans l'expérience des sociétés. Avec plus d'instruction, il aurait pu être un publiciste; avec plus de goût pour les choses de l'esprit, un littérateur. Qu'est-ce donc que M. Veuillot? Je lui en demande mille pardons, mais c'est tout simplement un homme de style, habillant de phrases un thème très-court et toujours le même. C'est moins que cela, c'est un avocat, chargé de diffamer la partie adverse, s'en acquittant bien, d'ailleurs tendu, excessif et peu fait pour convaincre.

On remarquera que M. Veuillot a gâté sa thèse en l'exagérant. C'est encore là le propre des systèmes absolus. Le moyen âge est l'idéal de l'Univers. Qu'à cela ne tienne. Le moyen âge est, en effet, la grande époque du catholicisme, et, il faut bien le dire, l'histoire n'offre pas de développement plus complet et plus magnifique d'une idée que le treizième siècle. Le treizième siècle, c'est Innocent III sous la tiare et saint Louis

sur le trône; ce sont les croisades, les grands ordres religieux, c'est saint Thomas d'Aquin dans la théologie, Dante dans la poésie, Cimabue et Duccio dans la peinture renaissante, le style ogival dans l'architecture. Le monde reverra-t-il jamais rien de si grand? Je ne sais. Qu'est-ce à dire? Que nous devons nous håter de revenir aux conceptions religieuses et sociales du moyen âge? Que la théocratie catholique est la forme nécessaire de l'Eglise et de l'Etat? Puérilité! Rien n'est beau, rien n'est vrai qu'à sa place. Les plus grands faits comme les plus grands hommes ont besoin de porter leur date. Ce qui était légitime à une époque devient insensé à une autre. Toutes les restaurations sont des anachronismes. Pauvre historien que celui qui méconnait le droit relatif de la féodalité, du pouvoir temporel des papes, de la scholastique, des croisades, de l'inquisition même, si l'on veut; pauvre philosophe, et j'ajoute pauvre chrétien que celui qui, élevant tous ces souvenirs à la valeur d'un type absolu, ne sait rêver pour l'humanité d'autre avenir que son passé. M. Veuillot se défend bien çà et là de demander la reconstitution du moyen âge: il se contenterait de voir revivre l'esprit de cette époque. La proposition amendée n'est pas plus acceptable que la première rédaction. Qu'est-ce que l'esprit d'un siècle séparé de sa forme, c'est-àdire de ses institutions? Au reste, veut-on savoir avec quelle élévation notre journaliste juge le monde moderne? Il lui trouve jusqu'à trois avantages sur le moyen âge: «Nous avons, dit-il, le gaz, la vapeur, les théâtres; nos divertissements, notre cuisine, notre police ont beaucoup gagné. » On se demande souvent, en discutant avec M. Veuillot, si ce n'est pas se donner un ridicule que de le prendre au sérieux.

Je parlais tout à l'heure de ce qui distingue M. de Montalembert de M. Veuillot. Le besoin d'équité, qui anime si honorablement le premier, a sa source dans un principe plus profond encore. Il y a deux races de cœurs ceux qui battent pour la liberté, et ceux à qui ce mot ne dit rien ou n'inspire

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