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C'est donc toujours par propositions et par phrases que conjuguent nos élèves, et jamais le verbe seul. La syntaxe le demande ainsi, parce qu'elle y trouve son intérêt. De son côté la conjugaison en fait son profit, car par là les différentes formes des verbes acquièrent un sens qu'ellesmêmes ne peuvent pas se donner. Y a-t-il d'ailleurs rien d'aussi dégoûtant que ces arides et interminables paradigmes dont on charge la mémoire des enfants? Ce sont là de véritables squelettes qu'il faut enfin mettre à l'écart. Ayez la complaisance de faire conjuguer par propositions d'abord, puis par phrases tels et tels temps du même verbe, vous ferez plaisir à vos élèves; parce qu'ils auront une pensée et une pensée à varier, et qu'ils auront le sentiment de l'utilité de leur travail. Vous augmenterez cette jouissance, si, pour devenir plus pratique encore, vous ne donnez que le verbe, laissant aux élèves le soin de trouver la pensée qui doit l'accompagner. L'homme aime à produire, il aime aussi à varier son ouvrage, et l'enfant n'est-il pas un homme?

Le vocabulaire qu'il s'agit d'ajouter aux deux autres parties, a aussi un développement qui lui est propre. Il est chargé de fournir à la syntaxe et à la conjugaison de nouveaux matériaux et entre autres des synonymes qui ont leur place à la fin de ce vocabulaire. C'est surtout la dérivation qui doit l'occuper dès le commencement, pour faire connaître les mots à leur air de famille, et pour en faire comprendre beaucoup au moyen d'un seul. Ce vocabulaire n'est donc pas alphabétique. Il classe les mots d'après leur dérivation, comme l'avait fait jadis le Dictionnaire de l'Académie, ordre que M. François de Neufchateau aurait voulu retrouver dans une nouvelle édition de cet ouvrage national. Les homonymes demandent aussi une place dans le vocabulaire de l'enfance, pour leur faire éviter des méprises dans l'orthographe.

Le vocabulaire est donc aussi une partie intégrante de l'enseignement, en ce qu'il fournit à la syntaxe et à la conjugaison les matériaux dont elles ont besoin pour pou

voir bien se développer. Cependant comme il faut tirer du même moyen d'instruction tous les avantages qu'il offre, nous demandons, au nom de la didactique, que les élèves soient d'abord appelés à fournir leur contingent au vocabulaire, en cherchant eux-mêmes à le compléter, autant qu'il sera en leur pouvoir. De plus ils doivent être invités à faire entrer chaque fois les mots dans une proposition ou dans une phrase de leur choix. Ce n'est que de cette manière qu'ils feront voir s'ils en saisissent le sens ou non, et que l'instituteur pourra le leur apprendre au besoin. D'ailleurs ce guide de l'enfance devra composer à son tour, et donner toujours le ton, pour que les élèves le suivent. C'est pour eux un secours dont ils ont besoin, et qu'ils mettront à profit; car ils sont nos imitateurs et l'analogie est leur règle. On voit, sans que j'aie besoin de le dire, que le vocabulaire sera tout à fait pratique, et que s'il tend la main à la syntaxe et à la conjugaison, en leur fournissant des matériaux, la conjugaison et la syntaxe aideront les exercices d'invention qui s'y rattachent.

Les compositions proprement dites ne peuvent arriver que plus tard dans le Cours de langue; car, pour que les élèves puissent y obtenir quelques succès, il faut bien qu'ils aient acquis des idées, quelque développement intellectuel, et quelque régularité dans l'expression et l'écriture. Anticipez sur ce temps, et vous ne produirez qu'embarras, dégoût et découragement. Or la syntaxe se partage naturellement en trois grandes sections: syntaxe de la proposition, syntaxe de la phrase de deux propositions, et syntaxe de la période. Comme on peut former des textes suivis simplement avec des propositions, la première section de la syntaxe se terminera par des compositions de ce genre; l'enseignement même en fournira. Elles serviront en même temps de récapitulation pour la syntaxe qui aura précédé, et de modèles pour les essais que fercnt les élèves.

Nous n'avons pas une partie spéciale pour l'orthographe

et la ponctuation. La raison en est sensible. L'orthographe doit être enseignée dans tout le Cours de langue, puisqu'il s'agit d'apprendre aux élèves à écrire correctement tout ce qu'ils disent et écrivent, et que dans tout le Cours de langue ils sont appelés à écrire. L'orthographe de règle est évidemment du ressort de la syntaxe et de la conjugaison. Le vocabulaire est spécialement chargé de l'orthographe d'usage; et comme celle-ci est si irrégulière, si capricieuse, et par là si longue à apprendre, elle doit aussi trouver sa place dans les deux autres parties. Or il est bien facile de la lui donner dans les exercices continuels de vive voix; car il n'y a qu'à mettre en pratique l'épellation par cœur, qui se fait si promptement. Le vocabulaire en fera aussi son profit. Dans le commencement l'épellation devra s'étendre à un grand nombre de mots; mais elle se restreindra de plus en plus, à mesure que le maître verra le succès de ses premiers soins, et cela principalement dans ce que les élèves mettront par écrit.

C'est ainsi que, séparant pour le fond les parties dont un cours régulier de langue maternelle doit se composer pour être complet, ces parties seront néanmoins dans la plus étroite correspondance, et formeront ensemble un tout organique semblable au corps de l'animal et à la plante. Peut-on mieux faire que d'imiter les œuvres du Créateur?

CHAPITRE II.

COUP D'OEIL SUR L'ENSEIGNEMENT ORDINAIRE DE LA LANGUE SOUS
LE RAPPORT DE L'EXPRESSION DE LA PENSÉE.

La tâche de l'enseignement de la langue maternelle étant une fois déterminée d'après des principes aussi évidents que riches en conséquences, nous allons jeter un coup d'œil critique sur la forme qui domine encore dans cette partie. Nous ne parlons ici que de la forme dominante, nous réservant d'indiquer plus tard les exceptions qui sont parvenues à notre connaissance.

§ Ier. Forme dominante de l'enseignement de la langue.

Pour caractériser en général l'enseignement usuel en ce genre, c'est sur les grammaires que nous devons fixer nos regards; car ce sont elles qui en indiquent le fond, la marche et l'esprit. Elles sont quelquefois accompagnées d'autres écrits; mais ce ne sont là que des suppléments qui s'y rattachent, pour en mieux développer quelques parties. Ces suppléments sont beaucoup moins en usage dans l'instruction. Nous pouvons en juger par le nombre d'éditions, qui est toujours de beaucoup inférieur à celui des grammaires, qu'ils devaient compléter.

Trois grammaires nous représentent en grand l'enseignement de la langue qui domine aujourd'hui 1; elles ont toutes vu le jour à Paris, pour inonder de là la France et son voisinage.

L'une était l'année dernière à sa trente-deuxième édition; l'autre, destinée par son auteur aux écoles populaires, avait déjà eu à la même époque un assez grand nombre d'éditions. La troisième, qui est la plus savante, a été adoptée par l'Université pour les colléges et les écoles normales. Son champ est nécessairement plus petit, et c'est la quatrième édition que j'ai sous les yeux. Ces trois grammaires offrent sans doute de nombreuses et notables différences dans leurs détails; cependant la marche et l'esprit y sont partout les mêmes; bien que les titres nous annoncent des ouvrages rédigés sur de nouveaux plans.

Toutes trois se divisent en deux grandes parties. Dans la première on voit paraître à la file les neuf ou dix parties du discours. Je dis dix parce que dans l'une on a cru devoir différencier le participe du verbe. Dans cette revue générale des divers mots de la langue paraissent d'abord les

1 Au nombre de ces grammaires se trouve celle de M. Boniface, que j'ai appris à connaître et à aimer à Yverdun, à l'institut de Pestalozzi. Il a été enlevé bien vite à la jeunesse qu'il chérissait, et peu de temps avant sa mort il m'a envoyé de Paris la plupart de ses ouvrages, sans savoir qu'il faisait un legs à l'amitié.

mots variables, avec leurs divisions et les changements qu'ils subissent pour l'accord. Les règles ici précèdent toujours les exemples, et ceux-ci ne portent jamais que sur l'espèce de mots dont il s'agit. Les paradigmes des différentes espèces de verbes sont donnés de suite et tout au long, même avec le subjonctif, pour être appris de mémoire et servir de modèles pour des exercices de même genre. Avec le verbe on voit paraître les régimes ou compléments directs et indirects, et dès lors la proposition. Suivent les mots invariables; mais ce ne sont que des listes d'adverbes, de prépositions, de conjonctions et d'interjections, dont la valeur et l'usage dans la langue ne sont pas appréciés, et ne peuvent pas l'être d'après la place qu'on leur donne et la manière dont on les présente.

La seconde partie de ces grammaires reprend une à une toutes les parties du discours pour développer en particulier les règles qui les concernent dans la construction. Partout encore ces règles précèdent les exemples, qui ne viennent qu'à l'appui des préceptes abstraits. Deux fois nous trouvons ici en tête un petit traité sur la proposition qui entre même légèrement dans la phrase. On y voit aussi les modèles d'analyse logique et grammaticale, ce qui veut dire, analyse de la construction et des mots qui la composent. Nulle part vous n'y rencontrerez l'importante gradation qui va de la proposition simple à la proposition composée et de celle-ci à la proposition complexe. Dès lors on comprend que les phrases n'y seront pas du tout distinguées d'après leurs divers degrés d'étendue et de complication. La composition est aussi entièrement passée sous silence; mais partout, au bout de la carrière, vient se placer un petit traité sur la ponctuation, dont il n'y a pas de trace dans le cours de la grammaire.

Ces ouvrages modernes ne sont donc pas sortis de l'ancienne ornière, soit pour le fond, soit pour la distribution des matières; bien que tous aient du mérite pour quantité de détails et pour la manière de les exposer. Ce qu'ils ont de neuf, ce sont des questionnaires, des modèles d'analyse,

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