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DE L'ENSEIGNEMENT RÉGULIER traite et très-subtile, et il s'agit ici de fixer la limite qu'elle ne doit pas dépasser dans une école de l'enfance. Or c'est la pratique qui trace ici la frontière. Aller au delà, ce serait une chose superflue, onéreuse pour les élèves, décourageante, et en conséquence nuisible à leurs progrès, tout comme au bonheur de leur vie.

Il faut donc éliminer de leurs leçons tout ce luxe métaphysique dans les définitions et les divisions inventées par la subtilité de l'école, luxe qui dépasse en même temps et la portée des enfants et leurs besoins. Il entraîne d'ailleurs une nuée de termes qui ont un son barbare à leur oreille, bien que d'autres pensent faire preuve de science en les prononçant ou en les écrivant. Il y a encore d'autres subtilités beaucoup plus modernes dans la théorie de la langue, et que nous n'aimerions pas à porter à la connaissance des enfants; parce que la pratique n'en a que faire. Pour en donner un exemple, nous citerons le verbe Étre, que l'on veut par force retrouver dans tous les autres verbes, non-seulement par la terminaison des temps et des personnes, mais encore par la signification. Un coup d'œil sur la conjugaison réfute le premier point; quant au second, l'élève comprend bien sûrement mieux par ex. parler, écrire, lire, etc., que les circonlocutions être parlant, être lisant, être écrivant; expressions traînantes qu'il n'a jamais entendues, et qu'il n'entendra jamais; parce qu'elles ne sont pas du tout reçues dans la langue. A quoi bon lui en parler, quand il y a tant d'autres choses à lui dire? N'avons-nous pas déjà beaucoup trop à faire avec les règles de nos participes, règles que la subtilité a introduites en dépit de la raison, et que l'usage a malheureusement consacrées? Ils tourmentent en pure perte non-seulement les enfants, mais encore d'autres personnes. Voyez combien les grammairiens ont été obligés d'écrire sur ce mot.

Nos grammaires ont été calquées sur la grammaire latine, et elles sont chargées d'objets étrangers à notre langue. Le motif peut avoir été de préparer par là l'étude

de la langue romaine, qui sans doute mérite bien d'être cultivée; mais fallait-il pour cela dénaturer le français ? D'ailleurs on aurait dû réfléchir que les femmes ne passent point aux études classiques, et que parmi les garçons il n'y a que le plus petit nombre qui s'en occupe quelques années pour les quitter bientôt à tout jamais. Quant à nous, ayant toute la génération devant les yeux et la pratique pour règle, nous ne saurions entendre à aucune concession à cet égard 1. Dès lors nous répudions hautement les verbes passifs et leur conjugaison : car notre langue a bien un tour passif, mais pas une seule terminaison passive dans ses verbes. Nous espérons que ceux qu'on a voulu lui attribuer malgré elle, iront bientôt rejoindre dans l'oubli ces cas de nominatif, génitif, datif, etc., dont on a si longtemps gratifié une langue qui ne les connaît pas du tout. En leur place elle a des pré

1 L'homme qui vers l'âge de soixante ans a relu les principaux classiques, pour en jouir encore une fois, ne saurait être accusé de ne pas les aimer; mais il sait par expérience, comme par réflexion, qu'on les comprend, et qu'on les goûte mieux à mesure qu'au moyen de la grammaire générale on a appris à bien connaître sa langue maternelle. C'est une grande erreur en didactique que de se hâter de donner à la jeunesse quelques maigres éléments de grammaire française, pour la conduire d'autant plus vite au latin et au grec. C'est précisément l'opposé qu'il faut faire pour réussir. Qu'elle s'applique à saisir sa langue par principes, qu'elle s'exerce en même temps à la composition, et vous aurez établi le fondement sur lequel on pourra bâtir solidement et vite. Quand elle passe ensuite au latin, ne la retenez pas trop longtemps sur les paradigmes ; mais faites-lui traduire des auteurs d'une force graduelle, exercez-la à les imiter, et vos élèves parviendront bientôt à comprendre la phrase latine et à la reproduire dans sa pureté. J'en ai fait l'essai, et il a parfaitement réussi. Les procédés ordinaires ne sauraient donner ce résultat. On veut y parvenir par d'interminables règles, et après des années de travail, les écoliers ne font guère que du mauvais français en mots latins, parce qu'ils n'ont pas appris à lire couraniment les classiques, et à s'approprier leurs expressions. J'ai fait cette triste expérience sur ma personne, et, découvrant la cause de mon embarras, je me suis écrié avec le feu et l'irrévérence de la jeunesse : «< Tes professeurs n'étaient que des ignorants; » scandalisé que j'étais de faire du latin avec tant de facilité, et de ne pas le comprendre dans les auteurs un peu relevés.

positions, à l'aide desquelles elle exprime des rapports de lieu, de temps, de fin, de moyen, de raison, de manière; rapports qui jouent, dans la parole comme dans la pensée, un rôle important avec lequel tout enseignement régulier doit familiariser ses élèves, sous peine d'avoir négligé l'un de ses devoirs les plus essentiels.

L'enseignement régulier de la langue ne peut se faire sans règles; mais il y a une manière convenable de les présenter à l'enfance, et une juste mesure à garder. Comment est-ce que les grammairiens sont arrivés à leurs recueils? Ils ont observé les expressions dont se sont servis les auteurs en crédit chez eux, et ces expressions ils les ont érigées en règles, en en relevant la forme pour la prescrire dans tous les cas semblables. Ce travail doit produire de la perplexité; car les auteurs en réputation s'expriment bien différemment. Pour ne citer qu'un seul exemple, comparez Montaigne et Fénelon, et ce dernier avec lui-même. Quelle expression fera règle? Nous croyons qu'il faut adopter la plus simple, la plus claire, la plus naturelle, et d'ailleurs ne pas mettre sans nécessité la liberté aux fers. Mais revenons à l'origine des règles en général. Elles ont été établies sur les faits, c'est donc aux faits qu'il faut les rattacher dans l'instruction, afin d'apprendre par là aux enfants à faire avec connaissance de cause ce qu'ils n'ont fait jusqu'ici que par une aveugle imitation; ensuite, pour les habituer aux bonnes expressions dont la forme aura été relevée, il faudra, pour leur en donner l'habitude, multiplier les exemples, les faire répéter et analyser par un compte rendu convenable.

Et quelle sera la mesure à garder par rapport aux règles de la langue? Depuis longtemps la saine didactique nous crie: «Peu de règles, beaucoup d'exercices; » et bien que souvent elle paraisse crier dans le désert, elle ne cesse pas pour cela d'élever sa voix. Les règles sont toujours abstraites, sèches, et par là même peu faites pour plaire aux enfants, lors même qu'ils peuvent les comprendre. Nous devons donc en être très-économes en

général, supprimer toutes celles qui dépassent leur conception, celles qui leur sont inutiles, et celles encore qui ne concernent que des minuties que l'on peut toucher en passant et sans appareil doctoral dans une instruction où les élèves sont toujours appelés à parler. Souvenons-nous que la multitude des exemples répétés et analysés est le meilleur code de langue, puisqu'il fait passer dans une pratique raisonnée les règles que dans une autre méthode il aurait sèchement à prescrire.

Cependant, malgré cet exercice continuel, l'enseignement n'est pas encore assez pratique. Il le deviendra lorsque sur toute la ligne l'instituteur aura soin que les élèves inventent de leur propre fond et produisent à leur tour quelque chose d'analogue à la leçon qu'ils reçoivent. Ce ne sera d'abord qu'un adjectif, un nom ou un verbe, plus tard une proposition simple, composée, complexe, et plus tard encore des phrases de tout genre, selon qu'elles se développeront dans la syntaxe graduée. Dans les autres parties de l'enseignement de la langue les élèves devront toujours être invités à inventer sur le ton qui leur sera donné par le livre ou par l'instituteur. L'invention ne se fera pas seulement de vive voix, mais encore dans des exercices par écrit. Ceux-ci devront être régulièrement corrigés tant pour la diction que pour l'orthographe.

Mais en tout cela nous n'aurons encore que des fragments de composition, et c'est bien ainsi qu'il faut com> mencer. Plus tard, il s'agira d'en venir à des compositions proprement dites, dont l'instituteur donnera les sujets. Tout sera ainsi mesuré sur la portée croissante des élèves et sur les besoins qui les attendent dans la vie. Par là on donnera la dernière main à l'enseignement pratique de la langue maternelle.

§IV. Harmonie entre les différentes parties de l'enseignement.

Pour être complet l'enseignement régulier de la langue doit se composer de quatre différentes parties; ce sont la syntaxe, la conjugaison, le vocabulaire et la composition.

Chacune a son développement particulier, tout comme son objet spécial.

La syntaxe commence par la combinaison la plus simple, par le nom, l'article et l'adjectif, mis en accord; de là, elle passe à la proposition, de la proposition à la phrase, et de celle-ci à la période; constructions qui toutes en leur particulier présentent une gradation que l'enseignement de la langue ne doit pas négliger. Son intention est d'abord de faire comprendre aux enfants le sens de ces combinaisons progressives, puis de les mettre à même de les imiter de vive voix et par écrit, avec connaissance de cause. La syntaxe constitue le fond de l'enseignement régulier de la langue.

Les exercices de conjugaison s'y rattachent immédiatement comme partie intégrante. La syntaxe, ayant la construction à soigner, ne saurait, sans couper le fil de ses leçons, s'occuper des détails qu'exige la conjugaison si variée des verbes, bien que sans eux elle ne puisse pas marcher. D'un autre côté les propositions et les phrases ne sont pas toutes de nature à être énoncées aux diverses personnes et aux divers temps de la conjugaison. Il résulte de là que la fusion de la conjugaison et de la syntaxe est nuisible à toutes deux; aussi les ai-je prises séparément dans mon ancienne école, les faisant marcher de front sans les confondre. Cependant dans la Grammaire des campagnes, publiée en 1821, à l'usage des écoles rurales de mon pays, je me suis écarté de mon principe, parce qu'il fallait resserrer l'instruction et la simplifier. En cela j'ai eu grand besoin de résignation, car à chaque pas je sentais l'imperfection de mon travail.

La conjugaison doit être au service de la syntaxe. Ce service est varié; tantôt la conjugaison prépare les verbes dont la syntaxe aura besoin pour ses constructions graduées, et tantôt elle s'empare de ces diverses constructions, pour les faire passer par les personnes et les temps, et donner ainsi aux enfants l'habitude de s'exprimer facilement et régulièrement.

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