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Ainsi quelque étendu que soit le Cours éducatif de langue maternelle, il permet de l'accompagner de tous les objets d'instruction désirables. Il les demande même, ne seraitce que pour mettre de la variété dans les leçons de la jeu

nesse.

Je ne dois pas omettre ici les leçons régulières de religion qui venaient tous les jours se placer à côté des autres objets. Elles se composaient de la récitation du catéchisme diocésain, et d'une explication écrite que j'avais rédigée pour l'accompagner pas à pas. Les exercices se faisaient dans les divisions de chaque salle, les moniteurs en étaient chargés, et ils s'acquittaient bien de leur tâche. Voilà donc le ministère de la parole sainte qui avait sa part dans les leçons de l'école, dont le préfet était en même temps le curé. Il l'était sous tous les rapports; car c'est lui qui faisait le catéchisme à l'église, qui admettait les élèves aux sacrements, et qui au tribunal entendait les tristes confidences que la presque totalité des enfants venait librement lui faire. Ainsi le préfet de l'école et son curé se rencontraient dans la même personne sans s'y confondre ni se contrarier, et le premier préparait le travail du second. On comprend que cette organisation devait être très-avantageuse à l'éducation.

§ III. Division des élèves et méthode d'enseignement.

Les écoles se recrutent constamment de nouveaux élèves à des époques plus ou moins rapprochées. Le développement des élèves y est, en conséquence, trèsdifférent, et cette différence jointe à l'inégalité native des talents, demande une classification régulière. Plus les élèves sont nombreux, plus on peut multiplier les degrés, et il y a en cela un grand avantage. Les élèves aiment à avancer pour avoir le doux sentiment de leurs progrès, et pour y puiser de nouvelles forces à la vue du travail qui leur reste à faire. D'un autre côté, lorsque les degrés sont nombreux, chaque élève peut être mis précisément à la place que lui assignent ses talents,

son application et ses progrès. Cette classification est surtout indispensable à l'égard du Cours de la langue qui, du commencement à la fin, présente une longue gradation du simple au composé, et du facile à ce qui l'est moins.

Dans une école régulièrement graduée, chaque élève travaille avec d'autres de même force, sans jamais être arrêté, comme sans arrêter personne. Par là se développe un puissant ressort, l'émulation, mot par lequel je n'entends pas du tout la coupable rivalité. Bien loin d'exciter cette hostile passion dans le cœur de la jeunesse, l'éducation doit en prévenir la naissance ou l'étouffer. L'émulation dont je parle n'est que le désir bien légitime de ne pas rester en arrière, quand d'autres s'avancent, mais d'imiter les bons exemples que l'on a sous les yeux. L'homme qui marche seul éprouve bientôt de la fatigue; mais donnez-lui un compagnon qui marche bien, et il cheminera plus aisément. Il en est de même dans les études de la jeunesse.

J'ose dire que dans mon ancienne école j'ai toujours vu l'émulation sans rivalité. Jamais un élève ne s'est récrié dans les promotions contre l'avancement de quelqu'un de ses camarades, mais souvent j'ai été prié d'en laisser monter d'autres que je trouvais trop faibles. On me promettait même de leur apprendre en particulier ce qu'ils ne savaient pas assez bien, et que bientôt je les trouverais assez forts. A la fin de l'année scolaire on distribuait des prix de progrès, de diligence et de bonne conduite. Les élèves des trois salles supérieures étaient appelés à en faire préalablement la distribution par écrit, et ils s'en acquittaient avec tant de discernement et d'impartialité, que la très-grande majorité des suffrages portait toujours sur le vrai mérite.

On comprend qu'en multipliant les degrés d'instruction dans une même salle, on est obligé de se servir de l'enseignement mutuel. C'est à son aide que j'ai pu donner au cours de langue maternelle, ainsi qu'à d'autres parties

également graduées, tout le développement que j'avais en vue. Je n'ai jamais été embarrassé pour trouver les moniteurs ou répétiteurs nécessaires, sans avoir besoin de les arrêter dans leurs propres études. Ils les suivaient toujours, parce que je ne les tirais de leur division pour quelques moments que lorsqu'il s'y agissait de parties qu'ils s'étaient suffisamment appropriées pour aller plus loin. D'ailleurs en instruisant leurs camarades, ils acquéraient le précieux talent d'instruire; ce qui eût été déjà un beau dédommagement, si par leurs fonctions ils avaient perdu quelque chose.

Il est faux que ces fonctions produisent dans les enfants de la suffisance, de la vanité, de l'orgueil; car elles sont tout à fait innocentes de leur nature, loin de renfermer ces vices, comme la semence recèle le germe de la plante. Est-ce que la mère devient orgueilleuse en instruisant ses enfants? Oui, dans le nombre des répétiteurs il s'en trouve d'avantageux, mais c'est une disposition qu'ils apportent d'ailleurs. Elle était cachée jusqu'alors, et elle se montre ici dans l'occasion. Elle peut donc être aperçue et corrigée par un instituteur éclairé et attentif. C'est là encore un mérite de l'enseignement mutuel. Les autres modes d'instruction ne forment pas l'enfant sous tous les rapports de la vie, parce que s'il y figure dans des rapports de subordination envers le maître, et d'égalité envers ses condisciples, il ne s'y montre jamais comme supérieur envers des subordonnés. Il reste donc inconnu à cet égard, et il échappe à l'éducation sur un point essentiel; car il aura bientôt à commander.

Ceux qui, pour exalter ou blâmer l'enseignement mutuel, l'ont représenté comme une méthode nouvelle, n'ont pas fait preuve de leurs connaissances dans l'histoire de la didactique. Ce mode d'instruction a joué un rôle important dans nos écoles savantes dès la renaissance des lettres en Europe, et un corps religieux qui, dès le xvI° siè– cle, s'est fait un grand nom dans l'enseignement, s'en est avidement emparé. Il est fâcheux qu'en poussant ses for

mes trop loin il ait négligé l'éducation en faveur du savoir 1.

S'agit-il de remonter jusqu'au berceau de l'enseignement mutuel, on le trouvera dans la famille. Qu'il me soit permis de citer celle où je suis né, et qui sans doute pour le fond ressemblait à toutes les autres. Ma mère, femme intelligente, active et gaie, a nourri et élevé quinze enfants. Elle en avait toujours plusieurs autour d'elle, et elle présidait à notre éducation dans tous les détails. Une de mes sœurs montrait les ouvrages du sexe à ses cadettes. En l'absence du précepteur j'étais chargé de faire lire, écrire, chiffrer et réciter mes petits frères et mes petites sœurs. Il me souvient que, sans être enflé de mon savoir, j'étais très-exigeant dans mes fonctions, et que je me suis attiré des réprimandes de ma bonne mère. Je ne savais pas, comme elle, allier la douceur à l'exactitude. La leçon n'a pas été perdue, car je me suis corrigé depuis. Ma mère ne se doutait pas qu'elle me faisait faire en petit ce que plus tard je serais appelé à établir en grand dans une école de ma ville natale. Et moi, j'étais bien loin de penser qu'on y proscrirait un jour, comme une invention presque sortie de l'enfer, un enseignement qui est né dans la famille, et qui vient d'en haut, puisqu'il appartient à l'instinct maternel. Plus tard on a été obligé d'y revenir dans nos écoles, bien que furtivement en certains lieux. Il est de nouveau menacé et l'on ne pense pas à cette vieille vérité : « Quand tu prendrais une fourche pour chasser la nature, elle reviendra toujours en dépit de toi. » Quant à moi, je n'ai pas cessé un instant de recommander l'enseignement mutuel aux écoles un peu nombreuses, comme le seul moyen de mettre l'instruction à la portée des élèves de tous les degrés, et de faire en sorte qu'ils en profitent tous selon leurs besoins particuliers.

1 Voyez l'Ordo studiorum dans les Constitutions de la société, et le commentaire publié par le spirituel P. JOUVENCY Sous le titre Ratio discendi et docendi, réimprimé en 1809. Paris, Delalain.

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Le Cours de langue qui est si profondément gradué, l'exige impérieusement dans une école. Ce besoin ne concerne néanmoins que la syntaxe et la conjugaison, car le vocabulaire était chez moi une leçon générale que l'instituteur donnait simultanément à toutes les divisions qu'il avait à instruire. C'est lui aussi qui corrigeait les compositions, comme il dirigeait toutes les leçons de dessin; outre cela il était tenu de remplir lui-même les fonctions de moniteur, tantôt dans un cercle et tantôt dans un autre. C'est donc une méthode mixte que j'avais introduite, et c'est celle que je conseille comme réunissant les divers avantages que l'on doit rechercher.

Dans les écoles d'enseignement mutuel on commence par fixer le nombre de divisions ascendantes que l'on juge convenable d'y établir, puis on assigne à chacune sa portion du travail à faire. Ainsi pour y enseigner le Cours de langue, on partagera la syntaxe et la conjugaison correspondante en autant de cahiers qu'il y aura de divisions dans l'école 1. Lors des lecons ces cahiers sont remis aux moniteurs pour remplir leurs fonctions dans les cercles qu'ils doivent instruire, comme ils l'ont été précédemment eux-mêmes. On comprendra que la tâche de la première ou plus basse division doit être la moins étendue, puisqu'elle est à son début dans la partie. La tâche des divisions suivantes sera augmentée par degrés, attendu que par l'exercice elles ont acquis plus de force et de facilité.

Dans mon école le Cours de langue n'était qu'un manuscrit partagé par cahiers. Chaque moniteur recevait des mains de l'instituteur celui de la division qu'il allait in

1 L'école française comptait de mon temps trois à quatre cents élèves qui occupaient quatre salles. Dans la première les nouveaux venus recevaient à l'âge de six ans environ les éléments ordinaires auxquels j'avais ajouté des exercices réguliers d'intelligence et de langage. Le Cours de langue se donnait dans les trois salles supérieures, et chacune en avait une portion déterminée. Cet arrangement subsiste encore aujourd'hui.

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