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aimons comme nous pensons. Les pensées forment le cœur, et le cœur forme la conduite, c'est la règle. Cette règle a néanmoins ses exceptions; car on ne saurait enchaîner la liberté, on ne peut que la diriger. L'effet ne sera pas infaillible, mais les efforts ne seront jamais sans quelque succès.

Les pères et les mères, les instituteurs et les institutrices ont tous le sentiment de cette grande règle. Comment ne l'auraient-ils pas, puisqu'ils ne sauraient échapper entièrement à la conscience de ce qui se passe continuellement en eux? Guidés par ce sentiment non réfléchi, ils s'adressent en toute confiance à la pensée de leurs élèves pour arriver à leur cœur, et du cœur à la conduite. Mais il leur faudrait une vive lumière pour bien faire, et ils n'ont que des lueurs toujours faibles, et quelquefois trompeuses.

Voulant donc faire servir notre Cours de langue à la culture du cœur, nous avons dû approfondir ce grand sujet, et nous offrons ici les résultats de nos études. Mais avant d'entrer dans la recherche des moyens, il s'agit de marquer le terme vers lequel l'éducation doit acheminer ses élèves, et c'est par là que nous commencerons.

CHAPITRE PREMIER.

BUT QU'IL FAUT SE PROPOSER DANS L'ÉDUCATION DES ENFANTS.

Les savants qui ont écrit sur l'éducation expriment le but vers lequel il faut conduire la jeunesse par ces mots: vertu, perfection, dignité humaine, ou destination de l'homme. Ces expressions désignent sans contredit de belles et grandes pensées; mais pourtant elles laissent du vague où il ne devrait point y en avoir. Chacun peut les étendre ou les resserrer à son gré, et chacun les mesure, pour ainsi dire, à sa taille. Il nous faut quelque chose de plus positif en même temps et de plus sensible.

Les sages de l'antiquité se sont étudiés à nous faire le

portrait de ce que tout homme doit devenir. Ils voulaient avoir un modèle vivant sous les yeux, parce que la vie parle tout autrement à l'homme qu'une froide doctrine. Cependant ce modèle, si souvent retouché, a d'énormes défauts. Il a partout quelque chose d'insensible, de dur et d'étroit qui blesse le sentiment délicat du bien. On y trouve le citoyen, le guerrier, le philosophe, mais toujours aux dépens de l'homme. Puis ce juste, qui n'est pourtant qu'un fragile mortel, dépendant à tous égards, a l'air de vouloir s'asseoir fièrement sur le trône de l'univers, à côté de la Divinité. C'est du sublime, il est vrai, mais du sublime ridicule.

Depuis que le Sauveur a paru sur la terre, nous sommes heureusement dispensés de nous composer un modèle digne de notre imitation. Il nous a été envoyé par le Père des miséricordes, et il agit d'autant plus puissamment sur nous, que nous ne saurions le connaître et l'envisager sans l'aimer. C'est donc sur lui que le Cours de langue fixera son attention, et c'est lui, pour nous servir de l'expression de l'Apôtre, c'est lui qu'il tâchera de former dans ses élèves 1.

Pour aider les instituteurs et les institutrices qui voudront faire usage de notre travail, nous essayerons de crayonner ici l'image du Sauveur. Toutefois nous sentons bien vivement l'impuissance où nous sommes de rendre dignement un si grand objet. En ce moment nous éprouvons tout l'embarras de Léonard de Vinci, lorsque, dans son tableau de la Cène, il en vint à peindre le Seigneur comme il en avait l'image devant l'esprit et dans le cœur. Mais il sut vaincre son embarras, et nous devons surmonter le nôtre, afin de répandre sur notre sujet toute la lumière dont il a besoin.

§ Ier. Circonstances dans lesquelles le Sauveur a vécu.

Tout le genre humain, à quelques légères exceptions {1 Gal., iv, 19.

près, était plongé dans l'erreur et la corruption. Le Créateur de l'univers n'avait qu'un seul temple sur terre, à Jérusalem, et là encore il était comme ailleurs le Dieu inconnu que l'on honorait du bout des lèvres, et pour qui le cœur ne sentait rien. Le peuple juif avait une belle loi dans celle de Moïse, que Platon appelait le plus sage des législateurs. Mais les grands préceptes qui commandaient la bonne foi, la justice, la miséricorde et la piété filiale, avaient été remplacés par des sacrifices, des offrandes, et par de minutieuses et ridicules pratiques. Un peuple aveugle était conduit par des guides qui à l'aveuglement ajoutaient l'hypocrisie et la ruse, et qui, animés par l'orgueil et la haine du genre humain, inspiraient ces sentiments à la crédule multitude. La lettre qui tue, était tout en Palestine, et l'esprit qui seul vivifie, n'était rien. Il s'était enfui, ne laissant après lui que son aride enveloppe, comme l'insecte aux ailes brillantes s'envole au printemps et abandonne l'inerte chrysalide qui va périr. Telle était la patrie du Sauveur. Elle ne pouvait donner que ce qu'elle avait, ténèbres et corruption.

Si donc avec le Dieu et la loi de Moïse la patrie de J.-C. était tombée dans un tel degré de corruption, on comprendra aisément que les nations, livrées qu'elles étaient aux divinités d'Homère, pouvaient bien se distinguer dans les sciences humaines, les arts et la guerre; mais que leurs opinions religieuses et leur culte devaient nécessairement les dépraver de plus en plus. Toutefois on a voulu nous dire que les dieux du paganisme n'étaient que d'ingé– nieuses allégories, représentant les effets de la nature, et qu'au fond l'adoration des peuples ne s'adressait qu'au Créateur. Mais pour trouver de la foi ailleurs que chez les ignorants, il aurait fallu anéantir tous les écrits de l'antiquité, tous les monuments des arts de la Grèce et de Rome, et changer les noms que portent encore nombre de villes, de montagnes, de collines et de bosquets. Tous les restes de l'antiquité nous disent que nos pères adoraient une foule d'impures divinités qu'ils croyaient pouvoir renfer

mer dans des temples et des statues, et qu'ils fléchissaient le genou devant l'œuvre de leurs mains.

Le Sauveur avait donc une tâche immense à entreprendre sur cette terre de désolation. Il devait réunir tous les peuples sous les yeux et sous l'empire du Père céleste. Il devait en faire une seule et même famille, réunie par les doux liens de la fraternité, et vivant ici-bas dans la consolante attente de l'immortalité dans un monde meilleur. Jamais pensée pareille ne s'était présentée à l'esprit d'un homme, et c'est cette pensée divine qui a animé toute la vie du Sauveur, et qui l'a fait monter sur l'arbre de la croix.

§ II. Principaux traits du caractère de J.-C.

On peut rendre le caractère du divin Maître avec ces deux mots : Il a aimé le Père céleste de toute son âme, et en lui toute sa famille humaine. Ce double amour, cette charité chrétienne est le feu sacré qu'il est venu allumer sur cette terre, où jamais il n'avait brûlé. Suivez tous les pas de votre Maître, prêtez une oreille attentive à toutes ses paroles, et vous verrez que c'est toujours et partout cette même charité qui agit, qui parle, qui endure, qui prie, qui meurt, et qui sort du tombeau pour jeter les impérissables fondements de son œuvre. Il avait pour son Père céleste le plus profond respect, la reconnaissance la plus vive, une confiance sans bornes, et un dévouement si absolu, qu'il pouvait dire en toute vérité : « Ma nourri>> ture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et >>> d'accomplir son œuvre. » En se consacrant à cette œuvre de salut, il s'est montré homme et notre frère, comme personne ne l'avait été. Lui seul a pu dire : « Ce que vous >> aurez fait au plus petit d'entre vous, c'est à moi-même » que vous l'aurez fait. »

Pour fonder le règne de la vérité et du bien sur la terre, alors toute ténébreuse et toute profane, il fallait dans le Sauveur une éminente sagesse et une force divine au-dessus de toute épreuve. Le peuple de la Palestine avait la clef

du royaume de Dieu, mais sans le connaître. Il attendait avec impatience le grand personnage qui devait l'établir; mais toutes les idées étaient alors fausses et grossièrement terrestres, vils enfants de la sensualité et de l'ambition. Les Apôtres mêmes, bien que longuement élevés à l'école du divin Maître, partageaient ces idées, malgré le respect, la confiance et l'amour qu'ils avaient pour lui. Aussi voyez avec quels ménagements il cherche petit à petit à leur dessiller les yeux et à élargir des cœurs si resserrés dans toutes leurs affections.

Si la multitude disait hautement que jamais homme n'avait parlé comme lui, si elle était sensible à sa touchante bonté et à ses bienfaits, les chefs et les docteurs de la nation l'épiaient partout pour lui tendre des piéges et le calomnier. Toujours il les confond, et toujours ils reviennent à la charge, décidés qu'ils sont à le sacrifier à tout prix. Le Rédempteur savait qu'il deviendrait leur victime; mais il savait aussi que par sa mort il assurerait le triomphe de la cause du Ciel et de l'humanité 1. Il continue donc en paix son œuvre de salut. L'heure du sacrifice sonne, et il se remet entre les mains de ses ennemis, et il s'avance vers le Calvaire avec la douceur de l'agneau que l'on conduit à la boucherie. Cloué à un infâme gibet, il prie pour ses bourreaux, remet sa vie entre les mains de son Père, et penche la tête, vainqueur des souffrances, vainqueur de la mort, et vainqueur de la perversité, qui n'a pas pu le vaincre. Les méchants peuvent bien ensevelir la vérité, mais ils ne peuvent pas la tuer. Le mort va bientôt renaître à la vie, mais les indignes ne le verront plus. Ils ne verront que son œuvre, l'œuvre de la charité, de la sagesse et de la puissance. Elle se développera sous leurs yeux, ils en frémiront; mais ils ne pourront pas en arrêter les rapides et majestueux progrès.

SIII. Quelques détails de ce caractère.

Nous venons d'indiquer les traits principaux du person1 Év. de saint Jean, x, 24, etc.

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