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mettre à un idéal sans force et sans vie? Ici encore nous n'hésiterons pas à donner la préférence à la méthode éducative de la mère.

Cependant elle aussi s'adresse à la conscience qui est la loi du Père commun, gravée au sein de l'homme. Elle ne s'avise pas de dire ce que son élève ne comprendrait pas, et probablement ce qu'elle ne sait pas très-bien elle-même; mais elle entend ses ordres au fond de l'âme, et elle en fait part à l'enfant qui l'écoute. Ses deux grands préceptes, celui qui nous défend de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait, et celui qui nous ordonne de traiter nos semblables comme nous voulons qu'ils nous traitent; voilà l'esprit de la morale qui se montre en détail dans les exhortations et les remontrances qu'amène la conduite de son cher disciple. Elle donne par là l'éveil à sa jeune conscience, qui vient de plus en plus à l'appui de ses paroles, et leur imprime une autorité supérieure et une force nouvelle.

Elle a encore à sa disposition d'autres ressources dont elle use dans sa méthode foncièrement éducative; ellemême sent au fond de son âme une sympathie naturelle pour ce qui est beau, juste, grand et honnête dans les sentiments et la conduite, ainsi qu'un éloignement instinctif pour tout ce qui a des qualités contraires. Elle suppose les mêmes dispositions dans son cher élève, et elle les met à profit dans son éducation. Il va sans dire que la première maîtresse de langue s'exprime en tout cela, comme il le faut pour être bien comprise, et elle finit toujours par l'être.

Elle est vraiment admirable dans ses moyens, comme dans son double but, cette méthode que j'appelle maternelle; parce que je la vois naître de la maternité même, qui l'inspire à la femme, à l'aspect de l'enfant qu'elle a mis au jour, et qu'elle a nourri de sa propre substance. Avezvous bien compris cette parole du divin Maître: «La femme, » lorsqu'elle enfante, est dans la douleur, parce que son »'heure est venue; mais après qu'elle a enfanté, elle ne se >> souvient plus de tous ses maux, dans la joie qu'elle a

d'avoir mis UN HOMME au monde!» Oh! la mère attache un prix inestimable à cet être, sorti de son sein, et qui lui a tant coûté. Elle y voit son image, et sous cette image elle voit en esprit toutes les nobles facultés qu'elle se sent en elle-même, l'éminente dignité de l'homme et les hautes destinées dont elle a le pressentiment au fond de l'âme; elle qui vient de se trouver aux portes de l'éternité. Voilà ce qui lui inspire cette tendresse, ce zèle et cette persévérance qui n'ont rien de semblable sur la terre, et voilà encore la source de ce génie maternel que l'on ne saurait trop admirer.

J'espère que l'on ne m'accusera pas d'en avoir fait un tableau d'imagination. J'ai peint, d'après la nature, une belle et grande réalité que vous pouvez retrouver partout dans le monde chrétien où nous avons le bonheur de vivre. Quant à moi, qui suis né dans une famille de quinze enfants, et qui en ai vu naître dix après moi, j'ai le souvenir de ce que ma bonne mère faisait tous les jours sous mes yeux, pour élever les cadets comme elle avait élevé les aînés. Ma mère, il est vrai, mettait dans ses nobles fonctions une intelligence, une tendresse, une activité et une grâce que je n'ai pas retrouvées partout chez les premières institutrices de l'enfance; mais partout j'ai rencontré le même fond.

Plus tard, placé pendant dix-neuf ans à la tête d'une nombreuse école, composée d'enfants appartenant à toutes les classes de la société, j'ai fixé tout particulièrement mon attention sur les petits élèves qui m'étaient amenés à l'âge de six ans et quelquefois plus tôt. Comme je ne voulais pas être pour eux tout simplement un maître de lecture, d'écriture, de calcul et de récitation; mais un instituteur de l'enfance dans toute la signification du mot, je cherchai à découvrir le degré de développement et de culture que m'apportait chaque élève. Je trouvai sans doute à cet égard une grande variété, comme je m'y attendais; mais en dépit de toutes ces différentes nuances, quelque prononcées qu'elles fussent, je rencontrai partout et toujours

les

une profonde et vaste ressemblance dans le langage, pensées et les affections qui venaient se présenter à moi. J'avais en cela le résultat général de la méthode maternelle, et c'est à ce résultat que je rattachai soigneusement les premiers anneaux de la grande chaîne que j'avais en vue pour l'éducation de la jeunesse qui m'était confiée.

CHAPITRE II.

DE L'ENSEIGNEMENT RÉGULIER DE LA LANGUE MATERNELLE ET DU BUT AUQUEL IL DOIT TENDRE.

On sait que l'enseignement de la mère se fait entièrement de vive voix, et toujours selon l'occasion, bien qu'il revienne sans cesse. Vous y trouverez une progression bien réelle quant aux objets sur lesquelles l'institutrice appelle l'attention et l'intelligence de son tendre disciple; car elle lui parle bien autrement au berceau qu'elle ne le fera plus tard, lorsque croissant en âge il commencera à exprimer des pensées à sa manière, ou qu'il interrogera pour apprendre ce qu'il désire savoir. Elle a toujours soin de se proportionner à son enfant; elle l'imite même par l'expression, nommant les choses comme il les nomme dans son impuissance, et altérant ainsi quelquefois les mots qu'il altère. L'enfant ne demande point cette complaisance; elle ne lui est pas utile, et la mère ferait mieux de ne pas l'avoir.

Elle a raison d'éviter tout ce qui tient à l'enseignement grammatical; cependant elle pourrait le préparer de loin par quelques légers exercices de conjugaison orale, comme nous l'avons dit plus haut; les notions de grammaire seraient absolument déplacées dans son enseignement. Dès sa naissance l'enfant est tout entier aux choses et à la réalité vivante, et voilà que la grammaire vient lui faire violence pour l'entraîner dans une terre inconnue, dans la région des mots dont il n'a encore aucune idée, bien qu'il s'en serve toujours; et ce qui est encore pire, dans les

landes arides de nos abstractions. C'est vraiment un monde tout nouveau pour lui. Faut-il s'étonner qu'il ait de la peine à y entrer même beaucoup plus tard, et qu'à tout instant sa pensée s'enfuie de ce pays inhospitalier pour elle, et que toute rebutée elle se sauve dans sa patrie où elle se trouve si bien! Pour s'alimenter dans ce monde si nouveau, l'enfant a besoin de se combattre et de remporter une glorieuse victoire sur lui-même. C'est au grammairien à la lui faciliter. L'abbé Gaultier y a travaillé avec le génie maternel et avec succès; mais où sont ses imitateurs?

L'enfance aimerait bien qu'on la dispensât de toutes les études grammaticales. Cela ne se peut pas, et l'usage où nous sommes de donner à toute la jeunesse des leçons régulières de langue maternelle, repose sur d'excellentes raisons; bien que toutes ne soient pas généralement senties, et que cet enseignement doive, pour entrer dans l'ordre, subir une refonte complète.

La grammaire est l'art de parler et d'écrire correctement la langue; c'est ainsi qu'on la définit. Pour remplir cette tâche, elle devrait être avant tout l'art de penser; puisque la parole est l'expression de la pensée, et que si celle-ci est incorrecte, l'expression le sera de même. Il suit de là que la grammaire devrait être aussi la logique de l'enfance; et pourtant elle ne l'est pas du tout. Il est vrai qu'elle ne s'occupe guère non plus de l'art de parler, puisqu'elle ne fait pas parler les élèves. C'est sur la langue écrite que portent surtout les grammaires qui sont presque généralement en usage; elles sentent la difficulté qu'il y a d'écrire correctement une langue qui a tant de signes pour exprimer les mêmes sons, et tant de finales muettes que la liaison seule rend quelquefois sonores. Ajoutez à cela la multitude d'homonymes, l'irrégularité capricieuse de la dérivation des mots, ce luxe si exigeant, si dispendieux, et en même temps, (car il faut bien le dire) si peu raisonnable de l'accord des participes, et vous comprendrez pourquoi les grammairiens négligent la pen

sée et la parole, pour fixer sur l'écriture des mots presque toute l'attention de leurs élèves. Cette connaissance exige des règles assez nombreuses, et surtout beaucoup d'exercice.

D'un autre côté, si vous considérez le peu d'étendue de l'enseignement maternel pour les mots et leur construction, et par conséquent pour les idées individuelles et les pensées qui doivent résulter de leur réunion, vous comprendrez qu'afin de ne pas laisser l'enfance, pour ainsi dire, dans ses langes, il faut que l'enseignement régulier de la langue étende sous tous les rapports les leçons de la mère.

Nous ne voulons donc ni le supprimer, ni le restreindre; nous demandons seulement que cet enseignement remplisse sa tâche mieux qu'il ne l'a fait jusqu'ici.

N'est-il pas vrai que la mère, suivant sans art les inspirations de son cœur, parvient en quelques années à donner à son enfant l'intelligence et l'usage de la langue, et cela dans une étendue si grande, que l'on pourrait demander si même beaucoup d'études produiront à l'avenir un résultat comparable à celui-là? N'est-il pas vrai encore que, toujours par la langue et sans le secours de l'art, elle a donné l'éveil à toutes les facultés intellectuelles de son élève, et qu'elle l'a mis à même de faire des progrès indéfinis dans les connaissances humaines? Enfin n'est-il pas vrai que sans lui inoculer la vertu, qui ne peut être que le produit d'une volonté libre, elle a parlé à la conscience de son enfant et aux sentiments d'humanité que le Créateur a mis en lui, et que ces sentiments et cette conscience ont répondu à la voix de la première maîtresse de langue?

Que l'enseignement régulier de la langue se rattache donc au sien pour les procédés et pour le fond, et il deviendra à son tour un puissant moyen de développer et de perfectionner ce que la mère a si bien commencé. Il est aisé d'ajouter, dit le Livre des Proverbes, à ce qui a été trouvé. C'est précisément en achevant l'œuvre de la nature

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