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a de plus intéressant, de plus beau, de plus noble et de plus sublime à dire.

C'est l'aveugle habitude, ce n'est pas la réflexion, qui s'oppose à la réunion que nous voulons faire, et je ne puis que lui répéter ces paroles de Sénèque : « Il faut surtout nous garder d'aller, comme la brute, par où l'on va, et non par où l'on doit aller.

Le développement intellectuel. - Le Cours de langue a été calculé immédiatement, dans toutes ses parties et dans leur réunion, sur le développement des facultés intellectuelles de l'enfant. Il est de nature à le produire, et il a atteint ce but partout où il a été bien suivi. Mais certaines personnes redoutent ce résultat. Les unes invoquent les intérêts de la religion, disant que ce développement ne peut que miner la foi; d'autres craignent que l'éveil donné à l'esprit ne compromette le bien-être de la jeunesse, et en même temps la paix des familles et de la société. Ces craintes sont graves; elles méritent de notre part un sérieux examen.

Le développement intellectuel doit donc, à ce que l'on dit, miner la foi dans la jeunesse !!! Je ne saurais taire la surprise que m'a causée autrefois ce reproche inattendu. Eh quoi! cet Évangile qui par son évidente vérité, qui par sa beauté, sa noblesse et sa profonde humanité est fait pour captiver toute intelligence droite et pure; cet Évangile qui a réduit au silence de la vénération les écoles du paganisme; cet Évangile, dis-je, devrait craindre les regards de la jeunesse, si jamais elle apprend à voir, à réfléchir et à raisonner? Sa cause est-elle donc si mauvaise, si désespérée, qu'il ne puisse se soutenir que devant la stupidité de l'ignorance? Oh! tout ce qu'il y a à craindre pour lui, c'est l'engourdissement de la pensée, c'est la barbarie; car il n'est pas fait pour des sauvages, mais pour des êtres qui savent penser et sentir humainement. Aussi n'a-t-il paru sur la terre que lorsque les peuples ont commencé à ouvrir les yeux et à éprouver des besoins autres que ceux d'une vie toute terrestre. Il a perdu partout où la

mondanité a rélevé la tête, et il a disparu des pays où la barbarie est revenue s'établir. Voilà en deux mots son histoire. Prêche-t-elle contre le développement intellectuel de l'enfance?

Réclamer le sommeil de l'âme et ses ombres en faveur de la foi chrétienne, n'est-ce pas se mettre en opposition directe avec les déclarations formelles de l'Évangile, et leur donner le plus frappant démenti? Le divin Maître s'appelle hautement la lumière du monde, éclairant les esprits, comme le soleil éclaire la terre. Révélant à ses disciples la cause de l'incrédulité qu'il a rencontrée parmi les docteurs et les chefs de son peuple, il les appelle des guides aveugles d'une multitude également aveugle, et il attribue cet aveuglement à un mauvais cœur qui n'aime pas la lumière de la vérité. Tel est partout le langage du Maître, tel est celui de ses apôtres. Et comment se fait-il que des hommes qui se disent chrétiens, déclarent ennemi de la foi un enseignement qui tâche de développer les jeunes esprits, pour qu'ils puissent s'ouvrir à la lumière de l'Évangile et en faire leur profit?

Le Sauveur avait aussi une école qui le suivait partout. Ses disciples le croyaient sur parole, sans recherche, sans examen; mais le Maître ne voulait pas de ce paresseux et servile abandon. Toujours il éveille en eux la pensée ; il les questionne; il leur parle en similitudes, en paraboles; il veut au surplus qu'ils cherchent, et qu'ils trouvent les reflets des pensées divines dans le spectacle de la nature. Il voulait en un mot qu'ils découvrissent eux-mêmes ce qu'il désirait leur apprendre. Il travaille donc dans l'esprit du divin Maître, ce Cours de langue qui s'applique à développer les facultés intellectuelles des enfants, pour les rendre capables de saisir les vérités évangéliques qu'il se propose de leur enseigner.

L'Évangile nous présente comme deux faces. D'un côté il est de la plus grande simplicité, et l'on dirait qu'il est fait pour des enfants. Dieu est le père qui est aux cieux. Il aime et nourrit sa famille. Les hommes sont frères, et

doivent tous aimer leur Père commun, et s'aimer les uns les autres. Un petit enfant peut comprendre et sentir tout cela. Mais regardez un peu les grandes et sublimes idées qui se rattachent en foule et à perte de vue à des éléments si simples, et que ces éléments appellent l'une après l'autre, dès qu'ils sont convenablement saisis. Le dogme s'élance dans l'immensité de l'univers, dans les grandeurs infinies de son Auteur, et dans les profondeurs de l'éternité. De son côté la morale, qui est tout esprit, sans négliger ce qui paraît aux yeux, pénètre dans l'abîme du cœur humain, pour épier, pour régler ce que le cœur dit tout bas, et ce que nulle oreille ne saurait entendre. De là l'exhortation de l'Apôtre à ses disciples de Corinthe: « Mes frères, ne soyez point enfants, pour n'avoir point » de sagesse; mais soyez enfants pour être sans malice, » et soyez sages comme des hommes parfaits 1. »

Nous obéissons à cet ordre dans ce Cours de langue qui prend à tâche de développer l'intelligence dès son aurore; car l'adulte ne sera jamais un homme parfait en sagesse,' si l'enfant reste sans culture intellectuelle. Voyez donc où va le reproche qui accuse un enseignement de miner la foi chrétienne, quoiqu'il s'étudie à la préparer dans ses élèves, à la seconder de tous ses moyens, et à propager les bienfaits qu'elle offre à l'humanité.

Je n'étendrai pas plus loin des réflexions qui ont été développées ailleurs . Je passe à l'autre reproche que l'on a adressé à un Cours de langue qui s'applique à développer l'esprit des enfants. Il doit, dit-on, compromettre la paix et le bon ordre des familles et de la société, en inspirant aux enfants de l'orgueil et des prétentions qui tourmenteront leur vie, en faisant le malheur d'autrui.

A cela je puis répondre en deux mots. C'est la mère qui

1 1 Cor., 1, 20.

2 Discours prononcé à Fribourg à la distribution des prix de 1821. La Société pour l'instruction élémentaire en France l'a fait réimprimer à Paris dans le Journal d'éducation, numéro du 1er octobre 1821.

donne le premier éveil à l'esprit de son tendre élève : lui fait-elle du mal, en fait-elle à la famille et à la société par les soins qu'elle donne à son instruction? L'Évangile de son côté trouble-t-il les individus, les familles et les peuples par la vive lumière qu'il répand sur eux, et l'appel qu'il fait en même temps à l'intelligence humaine, pour la tirer de l'engourdissement, et lui donner la plus grande activité? Eh bien! le Cours de langue qui cultive l'esprit des enfants, continue auprès d'eux le travail de leur première institutrice, pour les rendre propres à saisir et à pratiquer les leçons du divin Maître, et c'est ainsi qu'il est un perturbateur du bon ordre et de la paix !

Jusqu'à quand voudra-t-on confondre l'usage avec l'abus, le jour avec la nuit? Nous savons que bien des hommes, des enfants même, emploient mal les connaissances et la facilité qu'ils ont acquises; dira-t-on pour cela qu'il faut empêcher tout développement des facultés intellectuelles? A ce compte il faudrait ravager la terre, dépouiller et mutiler l'homme; car il abuse de tout, même des choses les plus saintes. Prévenir l'abus et le corriger, s'il est possible, où il se présente; voilà la sagesse, et voilà notre devoir.

Que l'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas du tout la culture de l'esprit qui rend les enfants raisonneurs, suffisants, insubordonnés, turbulents. La source féconde de ces mauvaises qualités est dans le cœur que la culture de l'esprit ne gâte pas, mais qu'elle seule, si elle est ce que dit son nom, peut ou empêcher, ou contenir, ou détruire. Cultiver l'esprit, ce n'est pas développer les facultés sans but, sans mesure et sans règle. Pour le cultiver, il faut d'abord choisir des sujets convenables, qui excitent dans l'enfant tout ce que le Créateur a mis de beau, de noble, de divin et d'immortel dans l'homme. A cette instruction il faut ajouter des exercices propres à faire bien saisir les vérités dont elle se compose, et à les rendre indélébiles pour la vie. La réunion de ces deux éléments constitue la culture de l'esprit, ainsi qu'il a été longuement exposé.

Par la culture d'un champ, nous entendons la meilleure manière de lui faire porter ce qu'il peut produire de mieux dans le genre que nous désirons. Pour cela il faut deux choses, un bon labour et de bonnes graines. Telle est l'image de la culture intellectuelle, et l'origine de son nom d'emprunt; mais on n'a pas toujours soin de rattacher au mot sa signification. Trop souvent il n'emporté que l'idée d'un développement quelconque des facultés, sans mesure comme sans objét déterminé. Et c'est pourtant cet objet qui doit être en première ligne, et auquel il s'agit de subordonner tous les exercices propres à développer convenablement toutes les facultés, et à les mettre dans une heureuse harmonie entre elles.

Ceux qui repoussent toute culture d'esprit dans l'enfance, n'ont, à ce qu'il paraît, jamais distingué l'usage de l'abus; ils n'ont que celui-ci devant les yeux, et ils en ont déploré les suites funestes dans les familles et les États. Ils n'ont pas remarqué qu'en proscrivant ainsi toute espèce de culture intellectuelle dans la jeunesse, ils se mettaient en pleine insurrection contre le ciel. N'est-ce pas le Créateur qui a distribué des talents aux hommes, non pas sans doute pour qu'ils les enfouissent paresseusement en terre, mais pour que chacun fasse valoir les siens, sachant qu'un jour il devra en rendre compte à Celui dont il les a reçus?

Ici je ne saurais taire un souvenir que je conserve précieusement. En 1820, je fus présenté à Genève à madame la marquise de Pastoret, et elle voulut bien s'entretenir avec moi sur l'éducation de la jeunesse. Elle était du comité des dames qui surveillaient à Paris les écoles des jeunes filles. Un cri venait de s'élever dans la capitale nonseulement contre l'enseignement mutuel, mais en général contre l'instruction que l'on cherchait à répandre dans toutes les classes de la société. On ne voulait y voir que du mal ou tout au moins de grands dangers. Ces idées et ces craintes avaient trouvé beaucoup de retentissement en haut lieu, et madame la marquise en éprouvait de l'in

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