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LETTRE PREMIÈRE.

A M. LE MARQUIS DE FLORIAN. (A Paris.)

A Ferney, 1er novembre 1765.

Je suis très fâché, monsieur, que vous soyez arrivé sitôt à Paris; j'aurais bien voulu tenir encore chez moi long-temps monsieur et madame de Florian et M. de Florianet.

Je ne sais si les spectacles ont céssé à Paris, dans la crise dangereuse où se trouve monsieur le dauphin; ils doivent du moins être déserts, et le clergé doit suspendre ses querelles pour ne s'occuper qu'à prier Dieu. Il vaut beaucoup mieux qu'il fasse des prières que des mandemens; les unes seront très bien reçues de Dieu, et les autres fort mal du public. M. Tronchin est parti pour Paris; nous verrons si on le consultera. Madame d'Harcourt le suit dans un lit dont elle ne sortira point sur la route. Elle est, ainsi que Daumart, un terrible exemple du pouvoir de la médecine.

Je crois que vous ne vous intéressez guère aux affaires de messieurs de Genève. Une grande partie des citoyens est toujours fort aigrie contre les grandes perruques. On s'est assemblé aujourd'hui pour faire des élections; je n'en sais point encore le résultat. Mon devoir et mon goût sont, ce me semble, de jouer un rôle directement contraire à celui de Jean-Jacques. Jean-Jacques voulait tout brouiller, et moi, comme bon voisin, je voudrais, s'il était possible, tout concilier. Il y a de part et d'autre des gens de mérite, mais ce sont des mérites incomna

CORRESPONDANCE. T. VIII.

I

tibles. Je reçois les uns et les autres de mon mieux; c'est à quoi je me borne. Il faut tâcher de ne pas ressembler au voisin Robert, qui se trouvait fort mal d'avoir voulu raccommoder Sganarelle et sa femme.

Je me flatte que madame de Florian est en bonne santé. J'ai beau faire des allées et des étoiles pour sa sœur, elle ne s'y promène point; elle a le malheur d'être à la campagne, et de n'en pas jouir. Je fais continuellement avec elle le repas du renard et de la cigogne.

Mes complimens, je vous prie, à votre beau-frère et à votre beau-fils. Si vous rencontrez quelque évêque, dites-lui qu'il ne m'excommunie point; si vous rencontrez quelque conseiller du parlement, dites-lui qu'il ne me brûle point au pied du grand escalier (comme la lettre circulaire de l'évêque de Reims), en présence de maître Dagobert Isabeau.

Adieu, monsieur; je vous embrasse vous et madame votre femme, sans cérémonie et de tout mon cœur.

II.

A M. DE LABORDE,

PREMIER VALET DE CHAMBRE DU ROI.

A Ferney, 4 novembre.

Savez-vous, monsieur, combien votre lettre me fait d'honneur et de plaisir? Voici donc le temps où les morts ressuscitent. On vient de rendre la vie à je ne sais quelle Adélaïde, enterrée depuis plus de trente ans; vous voulez en faire autant à Pandore; il ne me manque plus que de me rajeunir; mais M. Tronchin ne fera pas ce miracle, et vous viendrez à bout du vôtre. Pandore n'est pas un bon ouvrage, mais il peut produire un beau spectacle, et une musique variée : il est plein de duos,

de trios et de choeurs; c'est d'ailleurs un opéra philosophique qui devrait être joué devant Bayle et Diderot. Il s'agit de l'origine du mal moral et du mal physique. Jupiter y joue d'ailleurs un assez indigne rôle; il ne lui manque que ses deux tonneaux. Un assez médiocre musicien, nommé Royer, avait fait presque toute la musique de cette pièce bizarre, lorsqu'il s'avisa de mourir. Vous ne ressusciterez pas ce Royer, vous êtes plutôt homme à l'enterrer.

J'avoue, monsieur, qu'on commence à se lasser du récitatif de Lulli, parce qu'on se lasse de tout, parce qu'on sait par cœur cette belle déclamation notée, parce qu'il y a peu d'acteurs qui sachent y mettre de l'ame; mais cela n'empêche pas que cette déclamation ne soit le ton de la nature, et la plus belle expression de notre langue. Ces récits m'ont toujours paru fort supérieurs à la psalmodie italienne, et je suis comme le sénateur Pococurante, qui ne pouvait souffrir un châtré fesant d'un air gauche le rôle de César ou de Caton.

L'opéra italien ne vit que d'ariettes et de fredons ; c'est le mérite des Romains d'aujourd'hui; la grand'messe et les opéras font leur gloire. Ils ont des feseurs de doubles croches, au lieu de Cicérons et de Virgiles; leurs voix charmantes ravissent tout un auditoire en a, en e, en i et en o.

Je suis persuadé, monsieur, qu'en unissant ensemble le mérite français et le mérite italien, autant que le génie de la langue le comporte, et en ne vous bornant pas au vain plaisir de la difficulté surmontée, vous pourrez faire un excellent ouvrage sur un très médiocre canevas. Il y a heureusement peu de récitatif dans les quatre premiers actes; il paraît même se prêter aisément à être mesuré et coupé par des ariettes.

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