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en face et le flétrir, ce vengeur ne laisserait pas d'être encore un personnage détestable.

Que chacun dans la société se fasse raison par le mépris, et par un mépris éclatant, du vice insolent qui le blesse, rien de plus noble et de plus juste. Mais le métier d'exécuteur, quoique très-utile, est infâme; et s'il se trouvait un homme doué d'un génie ardent, d'une éloquence impétueuse, du don de peindre avec vigueur, et que cet homme eût commis un crime digne de la rigueur des lois, c'est lui qu'il faudrait condamner à la satire personnelle. Voyez SATIRE.

Mais autant la satire personnelle est odieuse, autant la satire générale des mauvaises mœurs est honnête. Celle-ci diffère de l'autre à peu près comme le miroir diffère du portrait : dans le miroir, malheur à celui qui se reconnaît: la honte n'en est qu'à lui seul.

La satire, me dira-t-on, porte avec elle une ressemblance. Il est vrai; mais cette ressemblance est celle du vice, à laquelle il dépend de vous qu'on ne vous reconnaisse pas.

C'est là cependant cette espèce de satire innocente et juste, qu'on trouve le moyen de rendre criminelle par la méthode des allusions.

On sait tout le chagrin qu'elles ont fait à Fénelon. Heureusement le vertueux Montausier fut flatté que l'on crût qu'il ressemblait au Misanthrope; heureusement il ne dépendit pas de quelques puissants personnages de faire brûler, comme ils l'auraient voulu, le Tartufe avec son auteur.

C'est une façon de nuire, aussi basse qu'elle est commune, que d'appliquer ainsi des traits, qui par eux-mêmes n'ont rien de personnel, pour faire un crime à l'écrivain de l'intention qu'on lui suppose. L'envie et la malignité y trouvent d'autant mieux leur compte, que c'est un fer à deux tranchants.

C'est par allusion que, dans la tragédie d'OEdipe, on voulut rendre répréhensibles ces vers :

Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense;

Notre crédulité fait toute leur science.

Un jour, au spectacle, un de ces misérables qui sont payés

pour nuire, faisant remarquer un vers qui attaquait fortement je ne sais quel vice, s'écria que l'allusion était punissable. Trèspunissable, lui dit quelqu'un qui l'avait entendu; mais c'est vous qui la faites.

L'allusion est surtout dangereuse lorsqu'elle rend personnelle aux souverains ou aux hommes en place une peinture générale des faiblesses et des erreurs où peuvent tomber leurs pareils. Malheur au gouvernement sous lequel il ne serait permis ni de blâmer le vice ni de louer la vertu !

Rien de plus effrayant alors, et de plus nuisible en effet pour les lettres, que cette manie des allusions. De peur d'y donner lieu, on n'ose caractériser avec force ni le vice ni la vertu; on se répand dans le vague; on glisse légèrement sur tout ce qui peut ressembler; on ne peint plus son siècle; on craint même souvent de peindre à grands traits la nature; on n'ose dire ni bien ni mal, que de loin, à perte de vue ; et alors on mérite le reproche que Phocion faisait à l'orateur Léosthène, que ses propos ressemblaient aux cyprès, qui sont, disait-il, beaux et droits, mais qui ne portent aucun fruit.

Il serait digne des hommes en place de répondre aux vils délateurs qui leur dénoncent les traits de blâme qui peuvent les regarder, ce qu'un roi philosophe (Archélaüs, roi de Macédoine), sur qui quelqu'un, de sa fenêtre, avait laissé tomber de l'eau, répondit à ses courtisans, qui l'excitaient à l'en punir: Ce n'est pas sur moi qu'il a jeté de l'eau, mais sur celui qui passait. Cela seul serait noble et juste; et ce serait alors que l'homme de lettres, avec la franchise et la sécurité de l'innocence, pourrait blâmer le vice et louer la vertu, sans que personne prît la satíre pour un affront ni l'éloge pour une insulte. Voy. SATIRE. Quant aux allusions qu'on fait soi-même, en parlant ou en écrivant, c'est quelquefois ce qu'il y a de plus fin dans le langage et dans le style. Un soldat salue en espagnol le maréchal de Berwick. «< Camarade, lui dit le maréchal, où as-tu appris l'espagnol ? >> A Almansa, mon général.

On parlait de généalogie devant M. de Catinat. « Pour moi, dit-il en souriant, je descends de Catilina. » De Caton, monseigneur, lui répondit quelqu'un. L'heureuse repartie!

A la représentation d'une pièce nouvelle, que protégeait le grand Condé, on faisait du bruit au parterre. Le prince, qui était sur le théâtre, crut distinguer le cabaleur; et, le montrant du doigt, il dit : « Que l'on prenne cet homme-là. » Mais l'homme désigné se sauvant dans la foule : On ne me prend point, dit-il au prince je m'appelle Lérida.

Un de nos ministres des finances ayant fait donner une déclaration qui alarmait le clergé, l'abbé C............. était un de ceux qui s'en plaignaient le plus hautement. « Vous sonnez le tocsin, » lui dit le ministre. En étes-vous surpris, répondit l'abbé, quand vous mettez le feu partout?

Catulus accusait de péculat, devant le peuple, un Romain appelé Philippe, lequel, l'interrompant, lui dit : « Tu aboies, Catulus. » J'aboie, répondit Catulus, parce que je vois un voleur. (Il faut savoir qu'en latin catulus veut dire, un petit chien.)

C'est un exemple ingénieux de cette justesse d'allusion, que le petit dialogue fait à l'installation du pape Urbain VIII, Barberin, dont les armoiries étaient des abeilles.

Gall. Gallis mella dabunt, Hispanis spicula figent.
Spicula si figant, emòrientur apes.

Hisp.

Ital. Mella dabunt cunctis; nulli sua spicula figent:

Spicula nam princeps figere nescit apum.

En voici une qui, dans son espèce, est aussi rare qu'elle est plaisante. Des chasseurs affamés n'avaient à leurdîner que des côtelettes fort dures. C'est ici, dit l'un d'eux, le combat des voraces contre les coriaces.

Euripide, et, mieux que lui, Racine indique, par allusion, l'objet du délire de Phèdre : c'est un trait de génie.

Dieux, que ne suis-je assise à l'ombre des forêts!

Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière?

C'est par allusion qu'Ulysse, dans le XIIIe livre des Métamor phoses, reproche à Ajax d'avoir eu dans sa famille un banni pour le crime de fratricide.

.....

Mihi Laërtes pater est; Arcetius, illi,

Jupiter, huic; neque in his quisquam damnatus et exul.

L'allusion est propre surtout à la comédie et à la satire. L'une des plus comiques est celle que fait le Misanthrope à la querelle qu'il vient d'avoir avec Oronte.

On n'a point à louer les vers de messieurs tels.

Mais de tous les poëtes, la Fontaine est celui qui fait le plus d'allusions. Je ne parle pas de cette allusion générale, des animaux à nous, qui est de l'essence de l'apologue, je parle de mille traits répandus dans ses Fables, qui touchent plus expressément à quelque particularité de langage, de caractère, d'usage, de condition, de mœurs locales, d'opinion, d'érudition, etc.

Ratopolis était bloquée....

Thémis n'avait point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé...
Don pourceau raisonnait en subtil personnage...
Certain renard gascon, d'autres disent normand...
Quand il eut ruminé tout le cas dans sa tête...
Le loup en fait sa cour, daube au coucher du roi,
Son camarade absent...

Le renard dit, branlant la tête,

Tels orphelins, seigneur, ne me font point pitié...
Faites en les feux dès ce soir;

Et cependant viens recevoir
Le baiser de paix fraternelle...

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen...
Un lièvre, apercevant l'ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque inquisiteur

N'allât interpréter à cornes leur longueur...
Miraud sur leur odeur ayant philosophé...
Le maître du logis en ordonne autrement...
J'ai passé les déserts; mais nous n'y búmes point...
Je sais que la vengeance

Est un morceau de roi; car vous vivez en dieux...
Il leur apprit à leurs dépens,

Que l'on ne doit jamais avoir de confiance

En ceux qui sont mangeurs de gens...

Ces traits, dis-je, et une infinité d'autres, aussi fins et aussi rapides, réveillent en passant une multitude d'idées qui rendent

le plaisir de cette lecture inépuisable; et c'est, dans les Fables de la Fontaine, un genre d'agrément dont Ésope et Phèdre n'avaient pas soupçonné que l'apologue fût susceptible.

AMATEUR. Ce serait une classe d'hommes précieuse aux arts et aux lettres, que celle qui, par un goût naturel, plus ou moins éclairé mais sincère et juste, jouirait de leurs productions, s'intéresserait à leur gloire, et, selon ses divers moyens, encouragerait leurs travaux. C'est réellement ainsi qu'un petit nombre d'âmes sensibles aiment les lettres et les arts, sans que la vanité s'en mêle. Heureux l'écrivain qui peut avoir de pareils amateurs pour conseils et pour juges! Non-seulement ils l'éclairent ⚫ sur les fautes qui lui échappent; mais, comme il les a sans cesse présents devant les yeux en écrivant, il en devient plus difficile et plus sévère envers lui-même ; et le pressentiment de leur goût règle et détermine le sien. Despréaux avait pour amis le prince de Conti, le marquis de Tresmes, Bossuet, Bourdaloue, Arnauld, l'abbé de Châteauneuf, le président de Lamoignon, d'Aguesseau, depuis chancelier : ils étaient pour lui ce qu'étaient pour Térence Lélius et Scipion. Aussi Térence et Despréaux sont-ils les écrivains les moins négligés de leurs siècles. Le goût de Despréaux, formé à cette école, put former celui de Racine; et en lui apprenant à écrire pour le petit nombre, il lui apprit à écrire pour la postérité.

Mais la foule des amateurs est composée d'une espèce d'hommes qui, n'ayant par eux-mêmes ni qualités ni talents qui les distinguent, et voulant être distingués, s'attachent aux arts et aux lettres comme le gui au chêne ou le lierre à l'ormeau.

Cette espèce parasite n'apporte dans ce commerce que de la vanité, de fausses lumières, des prétentions ridicules, et des manœuvres souvent déshonorantes, toujours désolantes pour les lettres et pour les arts. Juges superficiels et tranchants, leur manie est de protéger; et comme les grands talents sont communément accompagnés d'une certaine élévation d'âme, qui répugne aux protections vulgaires, qui les repousse, ou du moins les néglige, ces faux amateurs ne trouvent que dans l'extrême

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