L'un par l'autre attachés à la branche pliante, Montrèrent tout-à-coup une grappe pendante. Un prêtre saint alors fait entendre sa voix : « Mon dieu parle, dit-il, il m'inspire: je vois Des lieux d'où cet essaim aborda sur nos plages, Et de ce vieux laurier envahit les feuillages, Je vois des étrangers fameux par leurs exploits Fondre sur nos remparts, et nous donner des lois. » C'est peu: dans tout l'éclat de sa pompe royale, Un jour auprès du roi, de sa main virginale, Sa fille présentoit l'encens aux immortels; Tout-à-coup, ô terreur! s'élançant des autels Le feu sacré saisit sa belle chevelure, De son auguste front embrase la parure, Son bandeau, sa couronne, éclatants de rubis; Parcourt en petillant ses superbes habits, D'un brûlant tourbillon l'embrase tout entière; Et le temple étonné resplendit de lumière. L'augure est consulté: « Ce présage certain Annonce, répond-il, un illustre destin; Mais ce feu merveilleux, propice à Lavinie, D'un vaste embrasement menace l'Ausonie. » Latinus s'épouvante; au temple paternel Il vole du dieu Faune interroger l'autel, Perce la sombre nuit de l'antique Albunée, Qu'entoure un noir marais d'une onde empoisonnée, Et dont les flots sacrés épanchés en torrents, Font retentir des bois aussi vieux que le temps. Là cent peuples divers, cent nations lointaines Viennent chercher du sort les réponses certaines ;
Quum tulit, et cæsarum ovium sub nocte silenti Pellibus incubuit stratis, somnosque petivit, Multa modis simulacra videt volitantia miris, Et varias audit voces, fruiturque deorum Conloquio, atque imis Acheronta adfatur Avernis. Hic et tum pater ipse petens responsa Latinus Centum lanigeras mactabat rite bidentes, Atque harum effultus tergo stratisque jacebat Velleribus. Subita ex alto vox reddita luco est: «Ne pete connubiis natam sociare Latinis, O mea progenies, thalamis neu crede paratis : Externi veniunt generi, qui sanguine nostrum Nomen in astra ferant, quorumque ab stirpe nepotes Omnia sub pedibus, qua sol utrumque recurrens Adspicit oceanum, vertique regique videbunt. » Нӕс responsa patris Fauni, monitusque silenti Nocte datos, non ipse suo premit ore Latinus; Sed circum late volitans jam Fama per urbes Ausonias tulerat, quum Laomedontia pubes Gramineo ripe religavit ab aggere classem.
Æneas, primique duces, et pulcher Iulus, Corpora sub ramis deponunt arboris altæ, Instituuntque dapes, et adorea liba per herbam Subjiciunt epulis, sic Juppiter ipse monebat,
Là, quand le prêtre aux dieux a présenté ses dons,
Et des beliers sacrés arraché les toisons,
Quand son corps assoupi presse leurs peaux sanglantes,
Il voit dans son sommeil mille formes errantes,
Il écoute leurs voix, commerce avec les dieux, Interroge l'enfer et fait parler les cieux.
Le roi pénétre au sein de ces forêts antiques, Presse pendant la nuit les toisons prophétiques, Attend l'auguste oracle; et soudain une voix Arrive jusqu'à lui du silence des bois :
« Mon fils, chez les Latins ne choisis point un gendre;
Un étranger viendra (ton sort est de l'attendre),
Qui par ses nobles faits, son bras victorieux,
Portera jusqu'au ciel notre nom glorieux;
Dont les fiers descendants vaincront plus de contrées Que l'astre étincelant des voûtes azurées
N'en découvre sous lui, quand du trône des airs
Il embrasse les cieux, les pôles et les mers."
Le roi ne cache point la fatale réponse; Déja la Renommée à cent peuples l'annonce,
Tandis que les Troyens, vainqueurs heureux des eaux, Au rivage du Tibre enchaînent leurs vaisseaux.
Dans le lieu le plus frais d'une riche campagne Le héros et ses chefs, et le charmant Ascagne, Sur la verdure assis, et d'ombrages couverts, Réparent par des mets les fatigues des mers. Ces mets ne chargent point une table superbe : Des gâteaux de froment qu'ils étendent sur l'herbe (Ainsi s'accomplissoient les arrêts du destin) Composent sans apprêts un champêtre festin;
Et Cereale solum pomis agrestibus augent. Consumptis hic forte aliis, ut vertere morsus Exiguam in Cererem penuria adegit edendi, Et violare manu malisque audacibus orbem Fatalis crusti, patulis nec parcere quadris:
<< Heus! etiam mensas consumimus! » inquit Iulus (4). Nec plura adludens. Ea vox audita laborum Prima tulit finem, primamque loquentis ab ore Eripuit pater, ac stupefactus numine pressit.
Continuo: «Salve, fatis mihi debita tellus; Vosque, ait, o fidi Troja, salvete, Penates.
Hic domus, hæc patria est. Genitor mihi talia, namque Nunc repeto, Anchises fatorum arcana reliquit : Quum te, nate, fames ignota ad litora vectum Adcisis coget dapibus consumere mensas, Tum sperare domos defessus, ibique memento Prima locare manu molirique aggere tecta. Hæc erat illa fames; hæc nos suprema manebat, Exitiis positura modum.
Quare agite, et primo læti cum lumine solis
Quæ loca, quive habeant homines, ubi monia gentis,
Vestigemus, et a portu diversa petamus.
Des tributs des vergers leur coupe se couronne, Et Cérès a reçu les présents de Pomone.
Tous leurs mets épuisés, de ce fatal froment Leur dent audacieuse attaque l'aliment;
Et leur faim, s'accordant avec l'ordre céleste, De la pâte sacrée a dévoré le reste.
Ascagne, à cet aspect, dans un transport soudain : «Eh quoi! la table aussi devient notre festin ! » S'écria-t-il. Ces mots, qu'on eût jugé frivoles, Le héros les saisit; et ces douces paroles Sont pour lui le signal de la fin de leurs maux. Rempli du dieu par qui sont inspirés ces mots, << Salut, s'écria-t-il, terre long-temps promise! Salut, dieu des Troyens! plus d'une fois Anchise (J'en avois jusqu'ici perdu le souvenir) M'annonça comme un bien ce malheur à venir. Mon fils, me disoit-il, si la faim indomptable Un jour en aliment te fait changer ta table, Dans ce même moment et dans ces mêmes lieux, De ton premier abri fais hommage à tes dieux : Là de ton sort cruel finira la détresse. Ainsi parloit Anchise; il me tient sa promesse. Oui, je les trouve enfin ces lieux hospitaliers : Voilà notre patrie, et voilà nos foyers!
Vous donc, dès que le jour vous rendra la lumière, Courez de ce pays visiter la frontière;
Que sur des points divers nos compagnons épars Reconnoissent ses mœurs, ses peuples, ses remparts.
Maintenant invoquons le souverain du monde;
Qu'imploré par nos vœux, Anchise nous réponde,
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