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Cherchez, Monge, aidez-vous de vos amis les mathématiciens et les philosophes, vous ne trouverez pas une raison plus forte, plus décisive, et, quoi que vous fassiez pour la combattre, vous ne l'infirmerez pas. Mais cette vérité est trop succincte pour l'homme; il veut savoir sur lui-même, sur son avenir, une foule de secrets que l'univers ne dit pas. Souffrez que la religion lui dise tout ce qu'il éprouve le besoin de savoir, et respectez ce qu'elle aura dit. Il est vrai que ce qu'une religion avarce, d'autres le nient. Quant à moi, je conclus autrement que M. de Volney. De ce qu'il y a des religions différentes qui naturellement se contredisent, il conclut contre toutes, il prétend qu'elles sont toutes mauvaises. Moi, je les trouverais plutôt toutes bonnes, car toutes au fond disent la même chose (1). » Un autre jour, il disait à son interlocuteur, dans les . jardins de la Malmaison: «< Tenez, dimanche, j'étais seul dans cette solitude; le son de la cloche de Ruel vint frapper mon oreille, je fus ému, tant est forte la puissance des premières habitudes. Quelle impression cela ne doit-il pas faire sur des hommes simples et crédules!... En Égypte, j'étais mahométan; je dois être catholique en France. JE NE CROIS PAS AUX RELIGIONS, mais l'idée d'un Dieu (2)! »

Voilà la religion de Napoléon : c'est, sauf quelques nuances, la religion de Voltaire. Les catholiques diraient que c'est la peste de l'indifférentisme, et au point de vue de l'orthodoxie, ils auraient raison. Il faut ajouter, que ces sentiments étaient ceux de toute la classe éclairée. Nous avons entendu Portalis invoquer le témoignage des conseils généraux et des préfets pour prouver aux révolutionnaires que la masse de la nation désirait le rétablissement du culte catholique. Il lui échappe un autre aveu qui contraste singulièrement avec cette déclaration. Il constate « l'indifférence de notre siècle pour les institutions religieuses, et pour tout ce qui ne tient pas aux sciences et aux arts, aux moyens d'industrie et de commerce qui ont été si heureusement développés de nos jours et aux objets d'économie politique sur lesquels nous paraissons fonder exclusivement la prospérité des États. » C'est, en apparence, une indifférence bien dédaigneuse : « Fiers de l'état de

(1) Thiers, Histoire du Consulat, liv. xi.

(2) Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire, chap. xx.

perfection où nous sommes arrivés, trop confiants dans nos lumières, nous imaginons que, sans aucun danger pour le bonheur commun, nous pourrions désormais renoncer à ce que nous appelons préjugés antiques. » Ce que les catholiques appellent indifférence, n'est autre chose que la transformation des vieilles croyances; c'est la religion de l'autre monde qui fait place à une religion de ce monde-ci. Tel étant l'état des esprits au commencement du dix-neuvième siècle, pourquoi restaurer la vieille religion, à laquelle les croyants mêmes ne croyaient plus?

C'était pour Napoléon une question d'utilité, un moyen de gouvernement, un instrument de pouvoir. Portalis ne s'en cache point. La religion est utile, elle est nécessaire, comme fondement de l'ordre public « Pourquoi existe-t-il des magistrats? pourquoi existe-t-il des lois? pourquoi ces lois annoncent-elles des récompenses et des peines? C'est que les hommes ne suivent pas uniquement leur raison, c'est qu'ils sont naturellement disposés à espérer et à craindre, et que les instituteurs des nations ont cru devoir mettre cette disposition à profit pour les conduire au bonheur et à la vertu. Comment donc la religion, qui fait de si grandes promesses et de si grandes menaces, ne serait-elle pas utile à la société? Les lois et la morale ne sauraient suffire. Les lois ne règlent que certaines actions; la religion les embrasse toutes. Les lois n'arrêtent que le bras; la religion règle le cœur. Quant à la morale, que serait-elle, si elle demeurait reléguée dans la haute région des sciences, et si les institutions religieuses ne l'en faisaient descendre pour la rendre sensible au peuple? La morale sans préceptes positifs laisserait la raison sans règle; la morale sans dogmes religieux ne serait qu'une justice sans tribu

naux. »

Voilà qui est clair. La religion sert de cour d'assises et de bourreau à la morale. Il faut outre les lois criminelles, outre les bagnes et l'échafaud, un enfer et des démons, pour contenir ceux qui n'auraient pas peur du code pénal. Que deviendrait donc la société, si les hommes ne croyaient plus à Satan et à son royaume? Puisque le catholicisme avec son dogme terrible de l'enfer est un si précieux moyen de gouvernement, il faut lui donner une place dans l'État, et tâcher de le fixer, de le consolider. Il est immuable de sa nature; c'est une maxime excellente qui assure la stabilité;

il faut venir en aide à cette immutabilité, en immobilisant la religion. Il est vrai que le législateur ne croit pas à la religion qu'il veut perpétuer; mais qu'importe? elle n'en est pas moins utile. En lisant ces choses révoltantes, le lecteur croira que nous inventons, que nous écrivons la satire du concordat, et de ceux qui l'ont signé. Il n'en est rien. Nous allons transcrire les paroles de Portalis « La question sur la vérité ou la fausseté de telle ou telle religion positive n'est qu'une pure question théologique qui nous est étrangère. Les religions, même fausses, ont au moins l'avantage de mettre obstacle à l'introduction des doctrines arbitraires; les individus ont un centre de croyance; les gouvernements sont rassurés sur des dogmes une fois connus, qui ne changent point; la superstition est, pour ainsi dire régularisée, circonscrite et resserrée dans des bornes qu'elle ne peut ou qu'elle n'ose franchir (1). »

Ainsi le législateur ne se soucie point de la vérité ou de la fausseté des croyances religieuses. Napoléon les croit fausses, il n'est pas plus catholique, que mahométan, mais il veut régulariser les superstitions, établir la règle dans le domaine de l'erreur, comme il l'établit dans son administration. Le libre mouvement des sectes lui est antipathique. Rien de plus curieux qu'une conversation de Napoléon sur les disputes religieuses; nous en citerons quelques traits : « Il n'y a pas une plus admirable institution que celle qui maintient l'unité de la foi et prévient les querelles religieuses. Je ne connais rien de plus odieux qu'une foule de sectes se disputant, s'invectivant, se combattant à main armée, ou formant des coteries qui se jalousent, et donnent au gouvernement des embarras de toute espèce. Les querelles de sectes sont les plus insupportables que l'on connaisse. Elles sont ou cruelles et sanguinaires, ou sèches, stériles, amères (2). »

Napoléon qui voyait l'idéal dans l'unité, et qui ne comprenait point la liberté, était en extase devant l'unité catholique. Dans cette même conversation, il s'écria: « Le pape, qui maintient l'unité de la foi, est une institution admirable. » Il y a cependant un revers à la médaille. Si l'unité est l'idéal, il faut dire avec les ultramontains que les souverains pontifes sont les maîtres du

(1) Portalis, Discours et Rapports sur le concordat, pag. 20.

(2) Thiers, Histoire du Consulat, liv. xu.

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monde. Napoléon ne l'entendait pas ainsi. Il voulait l'unité catholique, avec les articles de Bossuet, c'est à dire l'unité de la foi, mais la soumission de l'Église à l'empereur. Le régime de la religion est le pendant du régime politique. Napoléon mit fin à la république, tout ensemble et à la libre pensée; une unité de fer prend la place de la liberté.

§ 3. Qui est vainqueur ?

C'est le catholicisme, disent les catholiques, qui est vainqueur, et il faut être aveugle pour le nier. Que voulait le dix-huitième siècle? Le mot fameux de Voltaire nous le dit : écraser l'infâme. La philosophie, sous toutes ses formes, et malgré la différence des sectes, poursuivait la ruine du christianisme. En 89, elle se met à l'œuvre, elle démolit l'Église, pour la reconstruire à neuf; elle essaie d'y faire pénétrer l'esprit de la Révolution. Quand la résistance du clergé orthodoxe démontre l'inanité de ses efforts, elle jette le masque : les uns, les enfants perdus de 93, transforment les églises en lieux de débauche et les filles publiques en déesses les autres tentent de fonder une religion nouvelle, et la Convention met sa toute-puissance à leur service. A quoi aboutit cette longue guerre contre le christianisme? Dieu envoie un soldat heureux. Il n'a qu'à se montrer et la République disparaît; il n'a qu'une signature à apposer au bas du concordat, et la France revient aux autels du Christ. L'Eglise constitutionnelle rentre repentante dans le sein de l'Église universelle; quant à la religion décadaire, et au culte des théophilanthropes, ils s'évanouissent, comme s'ils n'avaient jamais existé. Le gallicanisme lui-même, quoiqu'il ait pour lui l'autorité de Napoléon, et ensuite le prestige de l'antique royauté, abdique devant la seule vraie religion, celle de Rome. Faut-il encore demander qui est vainqueur?

Nous avons d'avance répondu à ce cri de triomphe, et l'histoire de la réaction religieuse complétera notre réponse (1). Sur le terrain de la doctrine, on ne peut discuter avec les catholiques, pas plus qu'on ne peut raisonner sur la lumière avec des aveugles.

(1) Voyez mon Etude sur la réaction religieuse.

S'ils ne cèdent point à la raison, ils céderont devant la puissance de la réalité. La Révolution française n'est que le commencement d'une ère nouvelle; c'est le premier engagement d'une lutte décisive entre le passé et l'avenir; avant de crier victoire, il faut attendre la fin du combat. Même en la considérant comme une époque isolée, est-il vrai qu'elle soit aussi favorable au catholicisme que le prétendent ses défenseurs?

Ce n'est pas sérieusement que les catholiques célèbrent leur triomphe. Quand ils parlent à cœur ouvert, ils maudissent la Révolution, et ils regrettent amèrement tout ce qu'elle a détruit. L'Assemblée nationale a enlevé à l'Église le magnifique patrimoine des pauvres qui lui assurait une existence indépendante, et une position aussi haute que celle de la royauté. On essaie en vain de le reconstituer par la fraude; si l'on y parvenait, l'État s'emparerait de nouveau de richesses, fruit de la captation et de la violation des lois. La Révolution a détruit les ordres religieux; c'est comme si elle avait abjuré le christianisme traditionnel. Qu'importe que les morts soient ressuscités? Ce sont des revenants sans vie réelle, puisqu'ils n'ont point d'existence légale. Les couvents n'existent que par la fraude; ils en useront et abuseront si bien, que la conscience publique se soulèvera contre eux, et que le législateur sera forcé de détruire définitivement des associations qui ne sont qu'une œuvre de mensonge et d'hypocrisie. La Révolution a infligé une plaie plus profonde encore au christianisme traditionnel, en l'abolissant comme religion dominante, et en proclamant la liberté religieuse. Il est impossible que la révélation se maintienne en présence de. la libre pensée, car la libre pensée est la négation de la révélation, et elle finira par la ruiner.

La Révolution a échoué, dit-on; elle voulait détruire le christianisme, et le christianisme a gagné une vie nouvelle dans les persécutions qui tendaient à sa ruine. Oui, la Révolution a échoué dans son œuvre de violence, et nous nous en félicitons; en ce sens nous applaudissons au triomphe du catholicisme, car c'est le triomphe de l'idée de droit et de liberté. Seulement nous aurions voulu que la victoire fût plus pure. Ce n'est point par ses seules forces que le catholicisme vainquit la Révolution; il fallut un guerrier, un conquérant qui commença par anéantir ce qui restait

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