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pagnes. Qu'est-ce que le christianisme des villageois? Le paganisme, avec des formes chrétiennes. Il fallait donc répandre les lumières à flots. C'est dans cet esprit, dit Lequinio, que l'on doit organiser les fêtes décadaires : « Éclairer les citoyens, afin d'anéantir toute espèce de fanatisme; faire sentir le prix de la liberté; resserrer les liens de la fraternité, conduire enfin au bonheur, par l'adoucissement des mœurs et par la vertu : tel doit être l'objet de vos fêtes populaires, et vous devez en diriger le plan de manière à les rendre spécialement utiles à ceux qui en ont le plus besoin. C'est dans les campagnes que l'homme reste le plus isolé; c'est là que l'ignorance est enracinée plus profondément et qu'elle est plus universelle ; c'est là que le fanatisme exerce avec plus d'énergie sa funeste puissance et qu'il transforme souvent en furieux des hommes égarés qui pensent courir après la vertu; c'est donc aussi là que vous avez particulièrement à faire dominer la salutaire influence de vos fêtes décadaires. »

Pour atteindre ce but la Convention voulait que les fêtes de la religion qu'elle instituait, fussent célébrées en plein air. Écoutons un des partisans décidés des fêtes décadaires, Eschassériaux : « C'est au grand jour que l'âme s'épanche, s'anime davantage, et que ses jouissances deviennent plus pures. Les fêtes civiques aiment à être célébrées en plein air. La présence de la nature, le cercle vaste d'un bel horizon, inspirent plus de gaîté et donnent plus de majesté aux grandes assemblées. L'intérieur obscur de nos temples, la forme de leur architecture, rappellent trop encore la terreur et les sombres impressions des idées religieuses, pour y concentrer toujours les citoyens... C'est devant son magnifique ouvrage qu'il faut célébrer l'Etre suprême; il sera invoqué dans nos fêtes, non plus, comme autrefois, par l'orgueil et l'ambition qui a trompé les mortels, mais par des hymnes et des chants que lui adresseront la liberté, l'innocence et la vertu. C'est là le culte pur digne de lui et de l'homme libre. C'est dans les fêtes civiques que les hommes de toutes les religions viendront se réunir pour le célé brer. C'est là qu'ils viendront entendre la douce morale de la patrie, et oublier bientôt les illusions dangereuses par lesquelles le fanatisme avait surpris leur crédulité trompée. »

D'autres conventionnels voulaient que l'on se servit des temples chrétiens pour célébrer les fêtes décadaires. Il va sans dire que

l'on devait commencer par en bannir tout ce qui pourrait retracer les idées attachées aux inepties et aux mensonges du catholicisme. Ce sont les expressions de Lequinio. Il ajoute que ce serait un moyen d'arriver sans secousse à faire oublier l'ancien culte : « C'est favoriser la transition de la superstition à la lumière. » Chose singulière! Les mêmes motifs avaient été invoqués au sixième siècle par le pape Grégoire le Grand pour ménager les superstitions des païens, en leur donnant une couleur chrétienne. Malheureusement, à force de ménager les erreurs populaires, l'Église les perpétua, et elle y ajouta celles qui sont inhérentes au christianisme. De là ce tas de croyances superstitieuses qui faisaient à la fin du dix-huitième siècle et qui font encore aujourd'hui toute la religion pour l'immense majorité des fidèles. Et l'on s'étonne de la persistance de l'élément superstitieux au sein de l'humanité, alors que jamais mauvaise herbe n'a été cultivée avec plus de soin que cette plante vénéneuse!

Quand on voit les révolutionnaires recourir instinctivement aux mêmes moyens que les papes pour remplacer ce que les uns et les autres appelaient les vieilles superstitions, par des croyances plus pures, on ne peut douter que la Convention n'ait eu pour but de fonder une religion nouvelle en même temps qu'une nouvelle société. Dans ses décrets, elle ne parlait que d'instructions morales; mais ceux de ses membres qui tenaient à la morale, sentaient la nécessité de lui donner un fondement religieux et des formes religieuses : « L'immense majorité de la nation, dit Rameau, est convertie à la liberté, non à la philosophie. Les hommes sont habitués à un culte, expression de leurs croyances religieuses. Il faut donc un caractère religieux aux fêtes décadaires, sinon le peuple retournera d'autant plus vite à ses anciennes habitudes. » Il demandait en conséquence qu'une heure du matin fût consacrée à des actes religieux.

Mais grand fut l'embarras des révolutionnaires, quand ils essayèrent de formuler ces actes religieux. Le culte est l'expression de croyances positives; or, ces croyances leur manquaient, et ils n'en voulaient même point, car ils avaient horreur de tout ce qui s'appelle dogme. C'était se mouvoir dans un cercle vicieux. Voilà pourquoi, quand ils veulent préciser leur pensée, les orateurs de la Convention aboutissent toujours à des idées politiques. On lit

dans un rapport fait au nom du comité d'instruction par Eschassériaux «< Répandre parmi le peuple les éléments de la morale républicaine, l'enflammer par le récit et le souvenir des belles actions, lui imprimer l'amour des lois, retracer sans cesse ses droits et ses devoirs; produire en lui l'énergie des passions généreuses, lui imprimer les grandes pensées de la liberté, l'attacher à la patrie par tout ce que l'instruction peut avoir de plus touchant et le plaisir de plus innocent, voilà le plan de l'institution que nous avons tracé. Chaque fête civique offrira une vertu, un bienfait de la nature, de la société ou de la révolution à célébrer. Trop longtemps l'esprit humain a été égaré et obscurci par des idées métaphy siques qu'il n'a jamais pu comprendre; il est temps de soumettre à la raison de l'homme les idées simples et les biens réels qui sont le bonheur de la société. Les premiers de tous les législateurs du monde, vous allez mettre devant lui la morale publique en action et consacrer les hommages d'un grand peuple aux vertus sociales et aux droits les plus sacrés du genre humain. >>

Les législateurs de la Révolution espéraient «< que les fêtes décadaires feraient oublier au peuple, jusqu'au souvenir des anciens rites, des cérémonies antiques, et du joug qui pesait depuis tant de siècles sur sa tête. » Quand on met ces paroles de Lequinio en regard des faits, on voit que les révolutionnaires se faisaient une singulière illusion sur leur religion civile. En apparence, elle s'est évanouie comme tant d'erreurs passagères auxquelles l'esprit humain s'abandonne dans les époques de révolution. La religion décadaire est tombée dans un oubli si complet, qu'il nous a fallu accumuler les témoignages pour démontrer que ce n'était point un rêve de Robespierre et de quelques Jacobins, mais une pensée sérieuse de la plus puissante Assemblée qui ait jamais gouverné les destinées d'un grand peuple. On peut maudire la Convention, on peut la flétrir, mais les pygmées de notre siècle ont mauvaise grâce de se moquer des Titans de 93. Quand le nain rit du géant, c'est le nain qui se ridiculise. Il faut donc apprécier sérieusement cette œuvre, quoiqu'elle ait échoué.

La religion que les conventionnels croyaient morte s'est ranimée; les hommes ont déserté les autels de l'Etre suprême pour ceux du Christ. Est-ce à dire qu'il faille saluer dans le triomphe du catholicisme la victoire de la vérité sur l'erreur? Si, comme la

raison nous l'enseigne, l'Homme-Dieu est une impossibilité absolue, une contradiction dans les termes, la réaction religieuse aura beau condamner du haut de la vérité révélée la religion naturelle de Rousseau, et les tentatives de ses disciples pour la réaliser, cela ne prouvera point que le Christ soit Dieu. Cette simple réflexion devrait suffire pour inspirer un peu de modestie aux partisans du passé. Le fait ne décide rien en cette matière. En dépit de la réaction, en dépit de l'avortement des religions civiles, le christianisme traditionnel reste une religion fausse dans son essence; or, l'erreur, quand elle aurait pour elle l'autorité des siècles, n'en est pas moins condamnée à périr. Que si dans la religion des révolutionnaires, il y a des principes vrais, il faut dire que l'avenir leur appartient, quoiqu'ils aient succombé en apparence. Laissons donc le fait de côté, et voyons où est la vérité.

Les révolutionnaires avaient-ils tort de répudier, à la suite des philosophes, les dogmes incompréhensibles du christianisme historique? Ce qui prouve qu'ils étaient dans le vrai, c'est que la conscience moderne a également déserté la foi antique. Sauf quelques rares momies, les chrétiens eux-mêmes ne professent plus leurs dogmes que de bouche; ils sont de l'avis de la philosophie, que c'est la pratique de la vertu qui procure le salut, et non la foi. Et qu'entendent-ils par vertu ? Est-ce toujours la perfection évangélique? C'est si peu l'idéal de l'Évangile, que les hommes l'ignorent; ils ne le connaissent pas plus que si la bonne nouvelle n'avait jamais été prêchée. Qu'est-ce à dire? C'est que la religion qui a été pendant des siècles une religion de l'autre monde,' monde imaginaire, tend à devenir une religion du monde réel. N'est-ce pas là la religion de Rousseau et de la Convention? Le culte décadaire est donc, dans son essence, un progrès considérable sur le christianisme. Oui, la religion doit changer de nature avec nos sentiments et nos idées. Notre conception de la vie s'est modifiée; il en doit être de même de nos croyances. Nous nous intéressons à la liberté civile et politique bien plus qu'à la grâce et à la prédestination; nous tenons à l'égalité en ce monde bien plus qu'à l'égalité dans le ciel; nous estimons les vertus morales plus que les vertus théologiques. La religion qui ne tient pas compte de ces faits, qui les contrarie et les maudit, est fausse et elle doit se transformer, si elle ne veut périr. Tel est le chris

tianisme traditionnel. La religion naturelle, formulée par les révolutionnaires, donnait satisfaction à ces besoins, pour mieux dire, elle en était l'expression. A elle donc appartient l'avenir. Nous demandera-t-on pourquoi elle a succombé? Nous allons répondre à la question, en parlant de la dernière forme qu'elle revêtit, du culte des théophilanthropes.

N° 3. Les théophilanthropes

I

Les fêtes décadaires eurent peu de succès; il leur manquait le caractère religieux qui, malgré les abus et les excès, caractérise le dimanche chrétien. Des municipaux en écharpe, lisant les décrets de la Convention, ou récitant une homélie républicaine, étaient d'assez mauvais remplaçants des curés. Quelle que fût l'ignorance des oints du Seigneur, ils avaient la foi; or, peut-il y avoir une religion, sans un élément quelconque de foi? Le fanatisme républicain tint lien de foi à Robespierre et à ses sectateurs. C'était une foi aussi absolue, aussi exclusive, aussi haineuse même que celle des catholiques romains. Les hommes de 93 croyaient à la liberté, à l'égalité, comme les adorateurs du Christ croyaient à sa divinité. Ils ne reconnaissaient aucun droit, pas même le droit de vivre à ceux qui repoussaient la République, de même que les fanatiques de l'ancienne religion poursuivaient jusqu'à la mort ceux qui osaient nier ce que l'Église enseigne. Si les catholiques étaient convaincus de l'infaillibilité des papes, les républicains étaient tout aussi persuadés de l'infaillibilité du peuple. De là leur intolérance; elle témoigne contre leur fanatisme, mais elle témoigne aussi pour l'ardeur de leur foi aveugle.

Cet amour fanatique de la liberté n'était partagé que par une faible minorité; la France n'était pas républicaine. Sous le Directoire, il fallut des coups d'État pour maintenir l'élément républicain au pouvoir, en attendant qu'un autre coup d'État rétablit la royauté et à sa suite le catholicisme. Malgré les efforts du gouvernement, la religion civile s'en allait, ainsi que la République. Ce fut alors que des citoyens se réunirent pour fonder sous le nom

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