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CHAPITRE II

LA TOLERANCE PHILOSOPHIQUE

§ 1. Liberté religieuse

No 1. La doctrine de l'Église et les sentiments de l'humanité

I

Nous avons dit qu'en révoquant l'édit de Nantes, Louis XIV fut l'organe de l'opinion publique. Les sentiments de la société laïque ne tardèrent pas à se modifier. Au dix-huitième siècle, il se fit une vive réaction contre l'intolérance du grand roi; elle fut telle qu'insensiblement les horribles édits contre les réformés tombèrent en désuétude. Il n'en fut pas de même du clergé : c'est à peine si les hauts prélats, tous sortis de la noblesse, conservaient quelques croyances chrétiennes, mais on dirait qu'il suffit de passer pour catholique, pour être intolérant. Les évêques et les abbés vont nous dire eux-mêmes quel abîme il y avait entre le clergé et le monde laïque l'Église était restée immobile, tandis que la société civile avait déserté le catholicisme persécuteur du dix-septième siècle pour une philosophie, dont le premier article de foi était, humanité, tolérance.

Nous sommes en 1750. L'assemblée générale du clergé jette un cri de détresse; elle s'écrie que la foi s'en va. Pourquoi? est-ce la faute de Montesquieu? est-ce la faute de Voltaire? Écoutons l'archevêque d'Albi, exposant ses doléances en comité secret : « Les protestants, dit monseigneur, s'assemblent en très grand nombre;

leurs ministres tiennent des synodes; ils marient et donnent le baptême aux enfants, au mépris de toutes les lois du royaume. De si grands maux sont très affligeants pour l'Église, et en même temps dangereux pour l'État. Tous les prélats de la métropole d'Albi réclament la protection de l'Assemblée, et ses bons offices auprès du roi, qui peut seul arrêter les progrès rapides de l'hérésie. » Ces plaintes ne pouvaient manquer d'être bien accueillies par l'Assemblée. Le cardinal de la Rochefoucauld qui la présidait, dit que le clergé voyait avec la plus profonde douleur la foi s'affaiblir de jour en jour, qu'on devait faire les derniers efforts pour la ranimer, et supplier le roi, avec les plus vives instances, d'exécuter les édits donnés contre les réformés (1).

L'Assemblée remit un mémoire au roi. Elle y rappelle que déjà en 1745, les entreprises des religionnaires avaient formé l'objet de ses justes plaintes; que Sa Majesté s'était montrée sensible au détail affligeant des pertes que faisait la religion, et au progrès d'une secte également ennemie de l'Église et de l'État. Viennent ensuite les griefs : « Les ministres et les prédicants, au mépris des édits et des déclarations qui les ont proscrits sous les peines les plus rigoureuses (la mort), continuent à inonder les provinces et les diocèses où il y a des prétendus réformés; ils y ont aussi rétabli, par voie de fait, l'exercice public de leur religion; ils ont chacun leur département; ils exercent les mêmes fonctions et la même autorité qu'avant la révocation de l'édit de Nantes; ils prêchent, ils baptisent, ils marient, ils visitent et exhortent les malades, ils enterrent les morts avec appareil; ils tiennent des synodes, ils font des règlements, leur subsistance est assurée (2). » Tels étaient les sentiments du clergé de France, au milieu du dixhuitième siècle. Aujourd'hui la force des choses oblige l'Église à accepter la tolérance civile, et à l'entendre, elle n'a jamais prêché que l'intolérance dogmatique. Hypocrisie! Au dix-huitième siècle, alors que le souffle de la révolution agitait déjà la France, l'assemblée générale du clergé regarde comme une abomination, que les prédicants baptisent les nouveau-nés et enterrent les morts, elle s'indigne de ce que la subsistance des ministres réfor

(1) Procès-verbaux de l'assemblée générale du clergé, t. VIII, 1′′ partie, pag. 338. 339. (2) Ibid., pag. 342.

més est assurée. L'on dira qu'ils violaient la loi. Cela est vrai, et la violation des lois est toujours un mal, mais quand le législateur foule aux pieds les droits de l'homme, quand il veut le dépouiller de la liberté la plus sacrée, celle de sa conscience, alors il est bon qu'il éprouve de la résistance: ce sont ces héroïques révoltes qui ont sauvé l'avenir de l'humanité, car il n'y a point de vie sans liberté.

Louis XV se souciait fort peu que des prédicants baptisassent et enterrassent. Pour se concilier son appui, sans lequel, le clergé n'avait pas honte de le dire, il ne pouvait arrêter le progrès de l'hérésie, l'Assemblée dénonce les huguenots comme étant toujours prêts à se révolter. « C'est sous ce caractère, dit le Mémoire, qu'ils sont représentés dans la déclaration de 1724 ils ne sont occupés, y est-il dit, qu'à exciter les peuples à la révolte. L'expérience des siècles passés l'avait appris. Il y a deux cents ans que` trois ou quatre novateurs, dont la licence ne fut pas d'abord réprimée, remplirent l'Europe de trouble et de confusion. On doit craindre les mêmes malheurs, si on laisse les peuples en proie à ceux qui ont hérité de leurs principes. » Nous citons ces paroles pour apprendre aux hommes du dix-neuvième siècle, quelle confiance ils doivent attacher aux déclarations et aux protestations du clergé. Dire, en 1750, que les réformés étaient toujours prêts à s'insurger, c'était se moquer du bon sens. Les calvinistes auraient été très heureux si on les avait tolérés: comment faibles, opprimés, dispersés, auraient-ils pu songer à une insurrection?

Quel était le remède au mal déploré par le clergé de France? Il était plus facile de combattre les huguenots que les philosophes. Louis XIV avait rendu contre eux une série d'édits odieux que Louis XV réunit dans sa déclaration de 1724. Il s'agissait de tenir la main à l'exécution des lois. Quelles lois, grand Dieu! Les catholiques de nos jours prétendent que l'Église n'a jamais persécuté cette sainte mère est toute charité! En effet, celui qui persécute par charité, ne persécute point. Écoutons l'assemblée générale du clergé : « Par l'article 3 de la déclaration de 1724, les religionnaires sont obligés de faire porter à l'église dans les vingt-quatre heures, leurs enfants pour y être baptisés. Cet article a été exécuté jusqu'en 1743, époque funeste du changement. Depuis ce temps, ceux de la religion prétendue réformée, réser

vent cette fonction à leurs prédicants. Ils aiment mieux exposer leurs enfants à mourir sans baptême, que de les faire porter à l'église. » Cela ne s'appelle point persécuter! Il est vrai que l'on fait violence aux convictions religieuses, mais c'est une salutaire violence; il s'agit de sauver les enfants de la damnation éternelle, et la fin justifie les moyens ! L'assemblée du clergé finit par demander à Louis XV l'exécution rigoureuse de la déclaration de 1724: «<les prédicants disparaîtront, les assemblées cesseront, les anciens et les nouveaux catholiques ne seront plus tentés d'abandonner l'Église; les prétendus réformés y reviendront (1). » C'est la violence légale, la plus odieuse de toutes, mais qu'importe ! L'essentiel, c'est de sauver les âmes, et de maintenir la domination du clergé.

Depuis 1750, le clergé de France ne se réunit plus, sans dénoncer au roi les entreprises des religionnaires, sans solliciter de la piété de Louis XV l'exécution sévère des lois les plus odieuses qui aient jamais été portées. C'est une fatigante répétition des mêmes doléances et des mêmes réclamations. Quelques traits, qui révèlent l'esprit de l'Église, suffiront à notre but. Les philosophes attaquaient la révocation de l'édit de Nantes, comme un attentat contre la liberté de conscience, et comme un acte funeste aux intérêts de la France. Là où les libres penseurs blåment, les évêques et les abbés louent : « Sire, votre auguste prédécesseur a fait triompher dans ce royaume la religion catholique des plus formidables ennemis qui l'y eussent attaqué depuis le commencement de la monarchie. La révocation de l'édit de Nantes a porté un coup mortel à l'hérésie de Calvin. Des esprits légers et superficiels, de prétendus politiques ou philosophes, des chrétiens chancelants dans la foi, ont osé critiquer une démarche profondément méditée dans le conseil de ce grand roi, et aussi nécessaire au repos du royaume qu'à l'affermissement de la vraie religion. Nous ne suivrons pas ces téméraires censeurs dans leurs écarts, sur les divers dommages que la France a soufferts selon eux, par la révocation de l'édit de Nantes. » Qu'est-ce en effet que des pertes matérielles, en comparaison d'un bien inestimable, l'unité de foi? Cependant le clergé est obligé d'avouer que l'unité de foi est

(1) Procès-verbaux, t. VIII, 4" partie, pag. 344, 346.

une fiction, que l'hérésie subsiste et qu'elle gagne même de nouvelles forces. A quoi donc a servi la révocation de l'édit de tolérance de Henri IV? A démontrer l'impuissance de la force, quand il s'agit de croyances, à prouver que la liberté de conscience est plus qu'un droit, que c'est une nécessité. Le clergé ne l'entendait pas ainsi. Ce que nous considérons comme un droit, le plus naturel de tous, puisque nous le tenons de Dieu, il le réprouve comme une aberration d'hommes qui dans leur aveuglement osent s'élever contre les saints Pères et contre les conciles généraux (1). Voilà ce que le clergé disait au roi en 1760. La tolérance gagnait tous les jours au sein de la société laïque; le clergé seul s'obstinait dans des sentiments qui répugnaient à l'humanité, cette religion du dix-huitième siècle. En 1765, l'Assemblée dit dans un mémoire sur les entreprises des religionnaires : « Votre Majesté a constamment rejeté les différents systèmes de tolérance, exposés dans une foule d'écrits répandus dans le public elle les regardera toujours comme inventés pour renverser toutes nos lois et y substituer, sous prétexte d'humanité et de bienfaisance, des principes de révolte et d'anarchie, et comme capables de ramener ces temps désastreux, où l'hérésie, toujours ennemie de l'autorité, osa lui déclarer la guerre, commit tant de violences, renversa les autels et ébranla le trône (2). »

Si la tolérance est un crime, il faut dire que l'intolérance est un devoir. Telle est en effet la doctrine des saints Pères et des conciles dont le clergé invoquait l'autorité contre les novateurs. Les conciles et les Pères, logiques dans leur intolérance, n'avaient reculé devant aucun excès de la force : les bûchers de l'inquisition, les croisades contre les hérétiques, la Saint-Barthélemy et les guerres de religion nous montrent où aboutit l'unité de foi considérée comme loi d'État. Que voulait le clergé au dix-huitième siècle? Il prêchait l'intolérance, et il n'osait point accepter les conséquences de ses principes. « Nous connaissons, dit-il, la douceur de l'Évangile, et nous nous faisons gloire de la pratiquer. Ce ne sont point des actes de rigueur que nous sollicitons. A Dieu ne plaise que nous cherchions à armer contre vos sujets votre bras

(1) Procès-verbaux, t. VIII, 4′′ partie, pièces justificatives, pag. 294, 295. (2) Ibid., 2 partie, pièces justificatives, pag. 460.

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