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la vérité, elle est toute trouvée, c'est l'Église qui la possède; il n'a qu'à faire ce qu'elle commande, et il sera sûr de faire son salut. Mais que feront ceux qui ne croient pas que l'Église soit l'organe de la vérité? Depuis la révolution du seizième siècle, il y a des peuples entiers qui ont déserté le catholicisme; dans le sein même des nations restées fidèles à Rome, il y a des légions de libres penseurs qui contestent plus que l'autorité de l'Église, qui attaquent le christianisme traditionnel et qui soutiennent que Dieu ne révèle point aux hommes la vérité toute faite, mais qu'il leur donne pour mission de la chercher. Est-ce que ceux qui sont en dehors de l'Église n'ont pas le droit de penser librement? N'ont-ils pas le devoir de régler leur vie d'après les croyances qu'ils se forment sur la destinée humaine?

Écoutons la réponse du plus modéré des apologistes. L'abbé Bergier veut bien admettre la liberté de penser, mais il ne veut pas que l'on puisse manifester sa pensée. Il dit que la liberté absolue d'exprimer ses opinions est un libertinage d'esprit, de cœur et de conduite (1). Quelle profonde ignorance chez des prêtres qui se disent les organes de la vérité éternelle! Ils ne se doutent même pas que le premier devoir que Dieu nous impose, c'est d'être vrais. Si l'homme ne peut pas être empêché de penser, n'est-ce pas aussi un devoir pour lui de conformer sa vie à ses convictions? Ou veut-on qu'il se soumette, dans ses paroles et dans ses actions, à une règle qu'il croit fausse, qu'il répudie, qu'il méprise? C'est cependant à cela qu'aboutit la doctrine catholique. Ainsi ces maltres de vérité, ces disciples de Jésus-Christ professent, que dis-je, ils imposent l'hypocrisie, le plus détestable des vices, le seul que le Christ a combattu avec passion, avec violence!

Quel sera le sort des libres penseurs qui ne voudront pas plier devant cette dégradante tyrannie? Bergier répond que le gouvernement doit réprimer cette licence, ce libertinage (2). L'abbé du dix-huitième siècle n'ose pas dire la vraie pensée de l'Église. Elle avait un moyen d'agir par voie préventive, la censure et la destruction des livres dangereux. Mais la censure était un remède insuffisant. L'Église en faisait tous les jours l'expérience. Elle

(1) Bergier, Dictionuaire de théologie, au mot Tolérance. (2) Idem, Dictionnaire, au mot Gouvernement.

avait usé au moyen age d'un remède plus énergique, en envoyant les libres penseurs au bûcher; si l'inquisition n'empêcha pas la pensée d'être libre, elle maintint au moins la domination du clergé. Quand, au seizième siècle, il éclata une révolution religieuse, l'Église aurait bien voulu que l'on procédât contre Luther, comme au treizième on avait procédé contre les philosophes panthéistes et contre les sectaires. Heureusement que le réformateur trouva un appui chez les princes; l'Église regretta amèrement cette indulgence coupable: elle prêcha, par l'organe de ses papes, le feu aux hérétiques, et elle se promit bien de pratiquer cette affreuse doctrine. Elle immola les libres penseurs, pour détruire la libre pensée, et lorsqu'elle ne les immolait pas, elle brisait leur existence; elle tuait l'âme, en laissant vivre le corps.

L'on revendique aujourd'hui pour l'Église l'initiative de toutes les libertés. Est-ce aussi à elle que nous devons le libre droit de manifester notre pensée? Il est inscrit dans nos constitutions, mais qui l'a conquise, et contre qui? C'est aux philosophes que nous devons cette liberté, la plus précieuse de toutes, car qu'est-ce que les droits politiques pour les hommes qui n'osent pas penser, ou qui n'osent pas agir comme ils pensent? C'est à peu près comme si l'on décrétait une constitution pour des brutes. N'est-ce pas la pensée qui distingue l'homme de l'animal? Et y a-t-il une pensée sans liberté? Gloire aux philosophes qui ont lutté pour la liberté de penser! Honneur surtout à ceux qui ont souffert et qui sont morts pour la conquérir! Ils se sont trompés, disent les défenseurs de l'Église, ils ont enseigné des erreurs sur Dieu, sur l'homme et sa destinée. Eh! qu'importent leurs erreurs? Ce ne sont pas les doctrines que nous avons à apprécier; c'est le droit d'exprimer hautement ce que l'on pense, fût-ce une erreur. Parmi ces lutteurs, il y en a qui sont morts martyrs de leur croyance; et comment appellerons-nous ceux qui ont fait périr les libres penseurs sur le bûcher? Si les philosophes sont les martyrs de la libre pensée, l'Église en est le bourreau.

1. Bruno.

Entré tout jeune dans l'ordre de Saint-Dominique, Giordano Bruno déserta le couvent, quand sa raison s'ouvrit à la lumière de la vérité. Voilà son premier crime aux yeux de l'Église. C'est un

apostat. Glorieuse apostasie! Ce que l'Église flétrit comme un crime, est le plus saint des devoirs. Elle aurait voulu que Bruno restât dans son monastère et qu'il continuât à faire les momeries qu'il méprisait. Qu'est-ce à dire? Si Bruno avait usé ses hautes facultés dans des pratiques superstitieuses, sans y croire, le pape en aurait sans doute fait un saint, alors qu'il n'eût été qu'un vil hypocrite! Bruno parcourut l'Europe, s'arrêtant partout où il y avait un asile pour la pensée, tantôt se mettant sur les bancs de l'école pour s'instruire, tantôt montant en chaire pour enseigner. Il avait quitté l'Italie depuis dix ans, quand il retourna dans sa patrie (en 1590), pour être immolé par l'inquisition. On s'est étonné, et à juste titre, de son irréflexion, ou de sa témérité. Les zélés disent que c'est la Providence qui l'amena dans les cachots du saint-office (1). Ces messieurs ont toujours Dieu pour eux; ne sont-ils pas les oints du Seigneur? et leur chef n'est-il pas le vicaire du Christ? Si, du moins, ils laissaient la Providence hors de cause, quand il s'agit de justifier un assassinat! Ils crient à l'apostasie contre Bruno, ils l'accusent de professer les erreurs du panthéisme, et ils ne voient pas qu'eux sont mille fois plus criminels en rendant Dieu complice d'un meurtre.

Bruno fut emprisonné à Venise, en 1592, par ordre de l'inquisition. L'inquisiteur demanda qu'il fût livré au tribunal du saintoffice, siégeant à Rome. On ne cesse de dire que l'Église ne persécuta jamais personne, pour de pures opinions, que ce que nous appelons persécution, est en réalité l'exercice de la justice. Eh bien! voici les crimes dont l'inquisiteur de Venise accusa notre philosophe « Cet homme est non seulement hérétique, mais hérésiarque; il a composé divers ouvrages, où il loue fort la reine d'Angleterre et d'autres princes hérétiques. Il a écrit différentes choses touchant la religion et contraires à la foi, quoiqu'il les exprimât philosophiquement. Il est apostat, ayant d'abord été dominicain. Il a vécu nombre d'années à Genève et en Angleterre. Il a été poursuivi pour les mêmes chefs, à Naples et en d'autres endroits (2).» Voilà tout ce qu'un inquisiteur acharné a pu trouver de plus criminel à charge de sa victime! Où est la sédition? Où

(1) Bartholmèss, Jordano Bruno, t. I, pag. 484-250.

(2) Idem, ibid., t. I, pag. 213.

est même l'hérésie? L'inquisiteur n'ose pás dire que Bruno se fût fait calviniste. Il insinue seulement qu'il pourrait bien l'être, attendu qu'il avait été pendant des années à Genève et en Angleterre, et qu'il avait fait l'éloge de la reine Élisabeth. Bruno est donc véhémentement soupçonné d'être hérétique. Pour corps de délit, l'inquisiteur n'a rien à alléguer que ses écrits; encore est-il obligé d'avouer que la forme en est philosophique. Il fallait une interprétation d'inquisiteur pour y découvrir un crime, et quel crime, grand Dieu! le crime d'avoir pensé librement! le crime d'avoir usé d'un don, du plus beau que Dieu a fait à ses créatures! le crime d'avoir rempli un devoir! Telle est la justice d'un tribunal auquel l'Église donne le nom de saint.

Après six ans de détention Bruno fut livré à l'inquisition romaine. Le grand inquisiteur était un Espagnol, digne d'être élevé aux fonctions de bourreau en chef Santorio disait que la Saint-Barthélemy serait un jour à jamais agréable aux catholiques! Celui qui admirait tant le meurtre en masse des hérétiques, devait être heureux de verser le sang d'un libre penseur. Le biographe de Bruno dit que de tous les problèmes relatifs à sa mort, le plus controversé, c'est la recherche des motifs de sa condamnation. Était-ce pour crime d'apostasie? pour hérésie? pour athéisme? Nous ne voyons pas où est la raison de douter en présence du réquisitoire lancé par l'inquisiteur de Venise. Bruno était un hérésiarque, dit ce saint personnage, et il n'avait point tort notre philosophe était pire que calviniste, il était libre penseur. L'abréviateur de la sentence prononcée contre le coupable nous le dit : «S'il n'avait été que sectateur de Luther, on en aurait usé avec plus de douceur. » Scioppius, luthérien converti, ajoute: << Bruno a été brûlé, pour avoir soutenu toutes les abominations qu'avancèrent jamais les philosophes païens et les hérétiques tant anciens que modernes. « Le zélé apostat conclut qu'il n'est pas permis à chacun de croire et de professer ce qui lui plaît.» Enfin, nous lisons dans l'acte de Venise que Bruno s'exprimait philoso-. phiquement sur les matières de foi (1). Voilà plus de témoignages qu'il n'en faut pour caractériser le crime qui conduisit le philosophe au bûcher ce n'est rien que la libre pensée.

(1) Bartholmèss, Jordano Bruno, t. I, pag. 225-229.

Pour l'édification de nos lecteurs, il ne sera pas inutile de transcrire quelques-unes des abominations pour lesquelles le saintoffice livra un philosophe au bûcher. Parmi les erreurs dont on lui fit des crimes, il y a des vérités de physique! De ce nombre sont ses idées sur les taches du soleil et l'aplatissement de la terre. Ces propositions parurent tellement absurdes, tellement ridicules à l'inquisition, qu'elle ne daigna pas même, selon l'expression du père Mersenne, s'amuser à les réfuter. Ce que c'est que d'être les organes de la vérité absolue. Messieurs les inquisiteurs se moquent agréablement des billevesées de leur victime, et il se trouve que ces billevesées sont des vérités mathématiques, et que les organes de la vérité absolue ignoraient ce que les enfants savent aujourd'hui ! Il faut ajouter à ces abominables crimes la théorie sur la rotation du globe, le crime pour lequel Galilée fut condamné au dix-septième siècle. Enfin vient un crime inexpiable; Scioppius ne trouve pas d'expressions assez énergiques pour le flétrir (1). De quoi s'agit-il? Toujours d'une vérité, de la pluralité des mondes. Mais cette vérité est en opposition avec la Bible, de même que la rotation de la terre; or, quand la Bible se trompe, l'erreur devient une vérité révélée, et malheur à ceux qui osent combattre ces erreurs-vérités! Ils expieront leur crime sur l'échafaud.

Citons, pour l'éternelle honte de l'inquisition et de l'Église, ce que Bruno a écrit sur la pluralité des mondes: « S'il n'y a aux yeux de Dieu qu'un globe unique, si tout, depuis le soleil jusqu'à la lune, a été arrangé uniquement pour le bien de la terre, pour l'avantage de l'homme, alors sans doute l'humanité se trouve exaltée, mais la Divinité n'est-elle pas ravalée d'autant? Sa Providence n'est-elle pas étrangement rétrécie, appauvrie? Quoi! la faible créature humaine serait le seul objet digne de l'attention de Dieu! Non, la terre n'est qu'une planète; le rang qu'elle tient dans les écoles est une usurpation: il est temps de la détrôner. Le roi de notre monde est, non pas l'homme, mais le soleil, mais la vie qui circule dans l'univers entier. Point de privilége pour la terre! qu'elle marche! qu'elle obéisse! Que, néanmoins cette vue ne désespère point l'homme, comme s'il se trouvait abandonné de

(1) Bartholmèss, Jordano Bruno, t. I, pag. 233.

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