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NOTES

DU LIVRE SIXIÈME.

I.

Primæ frugiferos fœtus mortalibus ægris

:

Dididerunt quondam præclaro nomine Athenæ.

On croyait que les habitans d'Athènes avaient découvert l'art de l'agriculture. Diodore de Sicile nous apprend que ces peuples se vantaient d'avoir, les premiers, formé une société régie par des lois telle était du moins l'opinion commune; mais, à l'époque de la fondation d'Athènes, plusieurs peuples orientaux étaient civilisés dès long-temps, et peut-être ces Athéniens faisaient-ils partie d'une colonie envoyée d'Asie pour s'établir dans les plus riantes contrées de l'Europe.

2. Divolgata vetus jam ad cœlum gloria fertur.

Toutes ces images ont beaucoup de noblesse et de poésie; il semble que Lucrèce se plaisait à développer l'étendue de son génie et le prestige du talent, dans les débuts des différens livres de son poëme; les vers de ce passage sont dignes de la morale qu'ils exposent il faudrait de longs commentaires pour en présenter toutes les beautés. Mais le traducteur doit restreindre dans de justes limites ses remarques apologétiques, et ne point ravir au lecteur le plaisir si doux de se livrer à ses propres réflexions, et de prononcer lui-même.

3.

Nam quum vidit hic, ad victum quæ flagitat usus,
Et per quæ possent vitam consistere tutam,
Omnia jam ferme mortalibus esse parata,

Divitiis homines et honore et laude potentes....

Quand ce sage abaissa ses regards sur la terre,
Les arts y répandaient leur charme salutaire,

Les mortels éclairés, industrieux rivaux,
Savouraient les doux fruits de leurs nobles travaux.
Le débile vieillard, jeune encor d'espérance,
Retrouvait dans ses fils sa seconde existence.
Ces mortels cependant, environnés d'honneur,
Riches de tous les biens, ignoraient le bonheur :
Comme des criminels accablés de leurs chaînes,
Ils gémissaient, courbés sous un fardeau de peines:
Tel qu'un vase sans fond, leur cœur avidement
Recevait et perdait son plus doux aliment,
Ou plutôt, imprégné d'une immonde souillure,
Le vase corrompait la liqueur la plus pure.

(DE PONGERVILLE.)

C'est encore par des louanges adressées à Épicure, que Lucrèce prélude à ses derniers chants. La morale qu'il analyse rapidement est sublime. Cette définition du bonheur, regardé comme un sentiment noble et pur, est au-dessus de tout ce que les philosophes avaient imaginé. Les stoïciens le plaçaient dans une vertu supérieure aux coups de la fortune; ils ne regardaient point comme des maux la pauvreté, la honte, la douleur, la mort. Aristippe, qui, sorti de l'école d'Épicure, devint ensuite son plus opiniâtre détracteur, faisait consister le bonheur dans les plaisirs du corps, idée fausse et basse : les plaisirs des sens usent les facultés morales et physiques, et ne laissent que des souffrances ou des regrets. Thales plaçait le bien suprême dans un corps sain, dans une fortune aisée et dans la culture de l'esprit. Platon le met en Dieu, et n'en promet pas la jouissance dans ce monde : la promesse est un peu trop vague et beaucoup trop lointaine. Aristote, dans la fidélité à remplir ses devoirs. Épicure, pour obtenir le bonheur qu'il nomme volupté, exigeait la tempérance, le mépris des grandeurs, le témoignage de sa conscience et la pratique de toutes les vertus. L'un de nos écrivains philosophes (M. Droz) a donné une définition du bonheur, en professeur habile, de l'art si difficile d'être heureux. Ses couleurs sont empreintes de nuances délicates, que les anciens n'avaient point aperçues. Observateur profond des mœurs, la justesse de ses idées, sa noble et douce philosophie, l'élégante pureté de son style persuasif, le font regarder comme le digne émule de ces sages moralistes qui ont trouvé dans leurs talens l'heureux moyen d'être utile aux hommes.

4.

Partim quod fluxum pertúsumque esse videbat.

Lucrèce a employé deux fois cette image du vase sans fond, qui reçoit et perd sans cesse la liqueur. Elle est juste, et l'élégance des expressions du poète lui donne une force nouvelle. Il a dit, au troisième livre, dans l'admirable prosopopée de la Nature:

5.

Enfant que j'ai chéri, pourquoi crains-tu la mort?
*Heureux navigateur tu vas toucher au port.

Si par les voluptés accompagné sans cesse,
Tes jours délicieux passent dans la mollesse ;
Tel qu'un vase sans fond, si ton fragile cœur
Ne reçut pas en vain les flots purs du bonheur;
Rassasié de tout, sans regret, sans envie,
Va, sors donc satisfait du festin de la vie.
(DE PONGERVILLE.)

Exposuitque bonum summum, quo tendimus omnes,
Quid foret, atque viam monstravit tramite prono

Qua possemus ad id recto contendere cursu,
Quidve mali foret in rebus mortalibu' passim,
Quod flueret naturæ vi, varieque volaret,

Seu casu, seu vi, quod sic Natura parasset.

-On a peine à concevoir la critique que La Grange fait de ce passage si simple et si noble à la fois. L'interprétation qu'il donne au mot casu, s'éloigne absolument du sens de Lucrèce : casu n'exprime ici que l'entraînement, la force des circonstances; mais sa remarque sur la répétition d'idée dans les deux derniers vers est très-juste. M. Amar, l'un de nos savans qui ont le plus étudié Lucrèce, a cru devoir adopter quelques changemens qui rendent moins sensible l'espèce de tautologie offerte par ce distique.

6.

Volvere curarum tristes in pectore fluctus.

Ce vers offre à la fois le sublime de pensée et le sublime d'image. Catulle connaissait-il le vers de Lucrèce, quand il composa celui-ci ?

Prospicit, et magnis curarum fluctuat undis.

Virgile, après eux, a dit :

Magno curarum fluctuat æstu.

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Quandoquidem semel insignem conscendere currum

Vinçendi spes hortata est, atque obvia cursu

Quæ fuerant, sunt placato conversa furore.

Ces vers, qui présentent une image extrêmement poétique, ont été torturés par les commentateurs; quelques-uns même pensent qu'ils ont été interpolés : ce passage, au contraire, me paraît digne de Lucrèce, et je crois l'avoir reproduit dans son véritable

sens.

8.

Nam bene qui didicere deos securum agere ævum.

Lucrèce a retracé plusieurs fois cette pensée sans varier les tours et les expressions.

9. Sed quia tute tibi placida cum pace quietos Constitues magnos irarum volvere fluctus....

La poésie latine n'offre que rarement des vers d'une aussi grande beauté; il est facile de reconnaître combien les poètes, successeurs de Lucrèce, ont profité de cette grande idée et des expressions qui la font valoir.

10. Ne trepides cœli divisis partibus amens.

Lucrèce parle ici de la division que les prêtres devins, appelés fulguratores, assignaient à la voùte céleste, afin de déterminer les différens effets du tonnerre, d'après lesquels ces imposteurs rendaient leurs oracles.

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Calliope, requies hominum divumque voluptas.
O douce volupté des hommes et des dieux,
Calliope, soutiens mon vol audacieux;

Prête à mes derniers chants une grâce nouvelle,

Et pose sur mon front la couronne immortelle.

Le ton de mélancolie répandu dans cette invocation à Calliope parait faire allusion à la situation où le poète se trouvait; il semble invoquer cette muse pour la dernière fois.

12. Principio, tonitru quatiuntur cærula cœli.

Lucrèce explique souvent les effets du tonnerre et le mouvement des nuages avec une sagacité qui ferait honneur à nos physiciens modernes ; et surtout il a su conserver la couleur poétique

aux objets les plus étrangers au langage des muses; il est à regretter que la peinture fidèle des moindres détails de ce phénomène fasse naître quelquefois de la monotonie.

13. Et fragiles sonitus chartarum....

est une hardiesse poétique qu'il est impossible de faire passer dans notre langue; c'est proprement sonitus rei quæ frangitur.

14,

Forsan et ex ipso veniens trahat aere quædam

Corpora, quæ plagis intendunt mobilitatem.

On ne peut assez admirer le discernement de Lucrèce, qui pressentit une partie des propriétés de l'air. L'expérience a confirmé plusieurs de ses hypothèses sur l'action de ce fluide, dont les effets restèrent ignorés jusqu'au moment où Pascal, Torricelli, Boyle, Otto et autres démontrèrent sa pesanteur, sa compressibilité et ses ressorts; mais on ne savait pas encore que l'atinosphère est un mélange de deux fluides qui, pris séparément, sont transparens, compressibles, pesans, élastiques à peu près comme l'air atmosphérique, et qui néanmoins ont des qualités physiques très-différentes.

15. Пpnarpas Graii quos ab re nominitarunt.

Lucrèce croit devoir rapporter l'origine du mot prester, qui, en effet, a pour racine le verbe рrow, brûler, enflammer, gonfler, souffler. Le dangereux phénomène que les Grecs appelaient pop, était nommé par les Latins typho et scypho; les Français lui donnent le nom de trombe. Les anciens et les modernes ne sont pas absolument d'accord sur les causes des trombes; les uns et les autres l'expliquent d'une manière vraisemblable; la description donnée par Lucrèce est très-ingénieuse, et fait connaître l'idée qu'en avaient conçue les physiciens de son temps:

Mais parmi les fléaux dont le ciel nous accable,
Contemple en frémissant la trombe épouvantable :
Nuage vaste et sombre, elle envahit les airs,
Se balance en grondant sur la plaine des mers;
Elle obscurcit le jour, et lentement s'abaisse;
L'aquilon, faible encor, l'environne, la presse :
Il ne peut la briser; par l'obstacle irrité,
Il rugit, il la pousse avec rapidité;

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