vie son juste châtiment, dans la crainte des supplices réservés à ses forfaits. Il sent déjà peser sur lui le glaive des lois il redoute les cachots où gémit le crime, la roche homicide, les faisceaux, les tortures, le bitume brûlant, les lames, les torches; et s'il échappe aux bourreaux, sa conscience elle-même le déchire, le perce de traits cruels, et le tourmente sous le fouet vengeur. Il joint à ces maux l'incertitude de l'avenir et la crainte de voir ses tourmens se prolonger sans fin, ou s'aggraver dans la mort ainsi la vie devient l'enfer de l'insensé. MORTEL injuste, ne dois-tu pas te dire : Ancus, le bon Ancus a fermé ses yeux à la lumière céleste, lui qui te surpassa par tant de vertus 25! Cette foule et de grands et de rois dont les peuples nombreux subirent la puissance, ont courbé leur front sous la faux de la mort; ce monarque qui, resserré sur la terre, se fraya un chemin belliqueux à travers l'Océan 26, méprisa le murmure des flots indignés, et apprit à ses fières légions à fouler d'un pied insultant les gouffres amers, il n'est plus, et son âme a délaissé ses membres livides. Scipion, ce foudre de la guerre, ce fléau de Carthage, comme un esclave obscur a livré sa cendre à la terre; et ces inventeurs des sciences et des arts, ces nobles compagnons des Muses, Homère, qui tient le sceptre dans leur troupe sacrée, comme eux est descendu dans la tombe. Démocrite, courbé par l'âge, averti que les ressorts de son âme se brisaient, d'un pas ferme présenta sa tête à la mort; Épicure enfin, luimême, vit éteindre le flambeau de sa vie, cet Épicure dont le vaste génie domina les humains et brilla parmi Qui genus humanum ingenio superavit, et omnes Tu vero dubitabis, et indignabere obire, Mortua quoi vita est prope jam vivo atque videnti? Et vigilans stertis, nec somnia cernere cessas, Esse domi quem pertæsum est, subitoque revertit : les enfans de la gloire, comme l'astre du jour au milieu des astres pâlissans. Tu balances, cependant! tu t'indignes de mourir 27! tu ne vois pas que ta vie est une mort anticipée que tu renouvelles à chaque instant! toi, qui consumes dans le sommeil la plus grande partie de tes jours, et qui dors en veillant 28; toi, dont les idées sont des songes, et qui, faible jouet des préjugés, des vaines terreurs, des soucis dévorans, ignores jusqu'à la cause qui entraîne ton âme égarée dans un gouffre d'erreurs! Si l'homme découvrait la source des tourmens qui l'obsèdent, aussi facilement qu'il en ressent le faix terrible, consumerait-il sans fruit sa triste existence? le verrait-on à jamais, incertain dans ses désirs, ignorer jusqu'au bien qu'il poursuit avidement, et se précipiter sans repos d'un lieu vers l'autre, comme s'il pouvait, par sa mobilité, secouer le fardeau qui l'accable? L'UN fuit son palais somptueux, chassé par l'ennui; il y retourne aussitôt : il n'a pu ailleurs remplir le vide de son âme. L'autre précipite ses coursiers vers son domaine champêtre, plus pressé que s'il venait en arrêter l'incendie; à peine a-t-il touché ses limites, que l'ennui vient peser sur son front: il invoque le sommeil, cherche à s'oublier lui-même; soudain avec ardeur il redemande la ville, il y revole à l'instant 29, C'est en vain que l'homme se fuit, il ne peut s'éviter; sans cesse il se retrouve, sans cesse il se tourmente. Ah! s'il n'ignorait point la source de ses maux, loin d'y joindre la souffrance de ces vains remèdes, il apprendrait, dans l'étude de la nature, à jouir de ses dons, à connaître ses lois; car ce n'est point Temporis æterni quoniam, non unius horæ, Posteraque in dubio est fortunam quam vehat ætas, Mensibus atque annis qui multis occidit ante. pour fuir son sort pendant quelques courts instans, qu'il doit chercher à sortir de son doute, mais pour s'assurer de l'état éternel qui commence à la mort. ENFIN, pourquoi ce doute, ces terreurs, cette soif dévorante de la vie qui s'irrite dans les périls? Apprends, ô mortel, que le terme de tes jours est fixé : quand la nature t'appelle au repos, sans crainte obéis. EN prolongeant tes jours, changeras-tu de destin? la Nature ne créera point pour toi de nouvelles voluptés. Mais tu n'aperçois pas le bien présent, et tu désires au delà de ce que tu possèdes. A peine satisfaits, les désirs succèdent aux désirs dans ton cœur, et l'embrasent de la soif dévorante de la vie : à tant de maux tu joins encore l'incertitude du sort à venir. NE pense pas du moins qu'en prolongeant la vie tu retranches les instans destinés à la mort; quel que soit le terme de nos jours, il n'abrège point la durée de notre anéantissement. Quand notre existence triompherait de la lutte des siècles, il nous resterait à subir une mort éternelle; et celui pour qui la lumière de la vie s'éteint à l'instant même, ne restera pas moins long-temps enfermé dans les ténèbres de la mort, que celui qui a vu passer sur sa cendre d'innombrables années. |