entier à l'existence, il fait survivre à son être une partie de lui-même; et lorsqu'il entrevoit dans l'avenir ses restes en proie à la voracité des tigres et des vautours, il déplore ses tourmens futurs; il ne se détache point assez de ce corps abattu par le trépas; il lui accorde des sens, et dans sa pensée craintive, debout à côté de son cadavre, il lui prête encore la vie ; il gémit, indigné de son sort mortel. Hélas! il ne voit pas que la mort ne laisse point survivre en lui un être intelligent qui demeure immobile sur sa tombe, pour pleurer à côté de son corps livide, pour être déchiré par les monstres ou dévoré par la douleur; car si dans la mort le plus cruel tourment est de devenir la proie des bêtes féroces, je ne crois pas qu'il soit moins cruel d'être étendu sur les flammes dévorantes du hûcher, d'être étouffé dans le miel onctueux 21, de languir glacé sous le poids de la pierre humide, ou sous la terre, foulée par les pas dédaigneux du passant. Eн quoi! dis-tu, cette famille joyeuse ne saluera plus mon retour, ni cette épouse chérie, ni ces tendres enfans ne se précipiteront plus sur mon sein pour se disputer mes baisers; ils ne feront plus tressaillir mon cœur de joie et d'amour! J'abandonne des projets chéris, une gloire imparfaite encore, et des amis que ma voix ne pourra plus consoler! Malheureux! le songe du bonheur s'évanouit; un seul jour, un seul instant m'arrache aux plus doux biens de la vie! Oui, sans doute; mais la mort qui te les ravit t'en épargne aussi le regret. Ah! si cette vérité pouvait se dévoiler aux humains, de quel fardeau de terreurs et d'alarmes ne At nos horrifico cinefactum te prope busto Nulla dies nobis moerorem e pectore demet. Hoc etiam faciunt, ubi discubuere, tenentque NEC sibi enim quisquam tum se vitamque requirit, DENIQUE, si vocem rerum Natura repente ; s'affranchirait-on pas 22! Dès que les pavots de la mort ont affaissé ta paupière, des siècles infinis de repos te mettent à l'abri de la douleur. Et nous, cependant, attirés par le bûcher funèbre, nous arrosons ta cendre de larmes intarissables, le temps n'efface point la blessure de nos cœurs. Insensés! quel est donc le sujet de notre amer désespoir? quoi! c'est un sommeil paisible, un calme inaltérable qui nous feraient consumer dans un deuil éternel? O MES amis! livrons-nous à la joie! disent, en s'excitant à l'envi, ces voluptueux mollement étendus, la coupe à la main et le front ombragé de fleurs; savourons rapidement ce fruit passager, l'instant du plaisir s'échappe, il ne reviendra plus. Veulent-ils donc se prémunir pour leurs futurs besoins? craignent-ils, après la mort, d'être atteints par l'aiguillon de la faim, dévorés par la soif, ou tourmentés par les flots renaissans des désirs? QUAND l'âme et le corps reposent plongés dans un doux sommeil, la prévoyance ne s'inquiète ni de la félicité de notre être, ni des soins de la vie. Eh bien! que ce le par calme soit éternel, il ne sera point troublé regret de l'existence. Cependant les principes de la vie n'ont pas tellement désappris les mouvemens, auteurs de la sensibilité, qu'en s'arrachant au sommeil, ils ne les reprennent tout à coup. Mais la mort est encore moins troublée, si l'on peut reconnaître des degrés dans ce qui n'est rien; le désordre et la destruction qu'elle a causés dans les principes imposent un éternel sommeil à celui que son froid repos a glacé. Si tout à coup la voix de la Nature répondait à nos Mittat, et hoc aliquoi nostrûm sic increpet ipsa : Quid tibi tantopere est, mortalis, quod nimis ægris Nam tibi præterea quod machiner inveniamque, <«< Omnia perfunctus vitai præmia, marces; Sed quia semper aves quod abest, præsentia temnis, Et nec opinanti mors ad caput adstitit ante plaintes par ces justes reproches : « Mortel, quelles douleurs causent tes gémissemens? pourquoi pleurer à l'aspect de la mort ? Si tu as jusqu'ici coulé tes jours dans les délices, si, telle qu'un vase sans fond, ton âme ingrate n'a point laissé échapper les flots du bonheur, convive rassasié, que ne sors-tu satisfait du festin de la vie 23? heureux voyageur, que n'acceptes-tu les douceurs du repos? Si, au contraire, tu n'as point cueilli les fruits que je t'ai prodigués, si l'existence t'importune, pourquoi prolongerais-tu dans l'ennui des jours sans plaisirs? que ne rejettes-tu avec la vie le fardeau de tes peines? car je ne peux rien créer de nouveau pour te plaire. Mon ordre est invariable: ton corps n'est point affaissé par les ans, tes membres ne languissent point encore de vieillesse; mais les mêmes scènes se renouvelleront sans cesse à tes yeux, quand tu triompherais non-seulement des siècles nombreux, mais quand ta vie s'étendrait avec l'éternité. » PARLE; à ce juste reproche de la Nature, que pourrions-nous répondre? sa voix a fait triompher la vérité. Et lorsqu'un malheureux, accablé d'infirmités, s'épouvante à l'aspect du trépas, et ose élever ses clameurs, elle lui crie d'une voix terrible: «Va loin d'ici verser des larmes, ensevelis tes plaintes dans le gouffre de la mort. » Aux murmures insensés de ce vieillard débile : «Tes jours se sont écoulés au milieu des plaisirs que tu n'as point saisis; mais tu convoitas les biens qui te manquaient, et tu dédaignas les tiens. Homme insatiable, tu rendis ta vie imparfaite, tu ne vécus qu'à demi; et, quand la mort élève sa tête devant toi, tu regrettes de ne pou |