continuel de mœurs et de goûts : le chien d'Hyrcanie fuirait l'aspect du cerf devenu menaçant; le vautour, à la vue de la colombe, tremblerait dans les airs; l'homme se dépouillerait de la raison, et la brute féroce usurperait son empire. EN vain, pour soutenir cette erreur, on feint que l'âme, sans renoncer à son immortalité, se transforme elle-même et s'asservit aux goûts du corps qui la reçoit; mais tout objet qui change de forme se dissout : elle périt donc, puisque ses parties se sont disséminées dans tous les membres pour parvenir à s'en détacher et à fuir; en un mot, elle meurt avec eux. L'âme humaine, diras-tu, recherche constamment un corps humain. Cependant, pourquoi le faible enfant est-il si long-temps dénué de prudence? et pourquoi le nourrisson de la jument n'a-t-il point le courage du généreux coursier? Tu n'en peux douter, l'âme a donc son germe qui se développe et croît avec les sens. Me répliqueras-tu qu'elle rajeunit et reprend la fragilité du corps qui la recèle? mais c'est faire l'aveu de sa mortalité; car elle ne peut subir un semblable changement sans se voir dépouillée du sentiment et de la vie. Si le même instant ne les avait pas vus naître, comment pourraient-ils croître, se fortifier, et atteindre ensemble la fleur de l'âge? Pourquoi l'âme veut-elle fuir, dans la vieillesse, les membres affaiblis? craint-elle de rester prisonnière dans un asile insalubre, ou d'être écrasée sous les débris de son vieux palais? Quel péril peut donc redouter une essence immortelle? ENFIN, penses-tu qu'à l'instant où Vénus épanche des Esse animas præsto, deridiculum esse videtur; Tandem in eodem homine, atque in eodem vase maneret. Desipere est. Quid enim diversius esse putandum est, flots d'amour dans le cœur des époux, des âmes vigilantes viennent épier l'occasion de conquérir un germe mortel, et que leur foule innombrable combat, afin d'obtenir la préférence? à moins que, pour bannir la discorde et prévenir l'abus d'une lutte incertaine, un pacte prudent n'accorde le prix à la plus diligente. DIS-MOI, voit-on les arbres croître dans les airs, les nuages dans le gouffre des flots, les poissons dans les champs, le sang dans les veines du bois, les sucs savoureux dans l'âpre caillou? Non, non, chaque être existe et croît dans le lieu que lui destine la nature. L'âme ne peut donc naître isolée, ni .vivre indépendante de l'influence du sang et des nerfs. Si tel était son privilège, elle pourrait à son gré se choisir un asile dans la tête, dans les bras, et siéger jusque dans les pieds ou dans les moindres parties du corps, puisqu'elle ne cesserait ni d'habiter le même être, ni de rester captive dans le même vaisseau. Or, si l'évidence nous atteste que l'esprit et l'âme ont un trône assigné pour croître et exercer leur puissance séparément dans le corps, avec quelle conviction devons-nous nier qu'ils puissent naître et vivre sans leur abri! Ainsi, quand le corps périt, l'âme, décomposée avec lui, s'arrache à son asile. QUELLE erreur, d'unir une immortelle essence un corps mortel! de les douer d'un mutuel attrait, et de les asservir à de communs emplois! Quelle distance les sépare! quoi de plus différent, de plus opposé que ces deux substances? L'une est indestructible, l'autre est périssable; et l'on prétend les allier pour les contraindre à voguer ensemble au travers d'horribles flots de douleurs! PRÆTEREA, quæcunque manent æterna, necesse est, Corpora sunt, quorum naturam ostendimus ante : At neque, uti docui, solido cum corpore mentis Proruere hanc mentis violento turbine molem, Haud igitur lethi præclusa est janua menti. Aut quia non veniunt omnino aliena salutis; Præter enim quam quod morbis tum corporis ægrit, UN corps est immortel, ou par sa solidité, qui résiste à tous les chocs, et que rien ne peut pénétrer ni dissoudre, comme ces principes de la matière que ma muse t'a retracés; ou parce qu'il est inaccessible au choc, comme le vide impalpable où se perd et s'anéantit tout choc destructeur; ou enfin parce qu'il n'offre autour de lui aucun passage à la chute de ses débris, comme la nature, ce grand tout, hors duquel il n'existe ni espace pour recevoir ses parties, ni corps pour les heurter et les rompre. Or, l'âme n'est point immortelle par sa solidité, puisque déjà je t'ai prouvé que le vide habite en toute chose; elle ne l'est pas non plus comme renfermant le vide, car une foule d'objets lancés de tous les points de l'univers l'ébranlent sans cesse par une irruption soudaine, et l'entraînent au bord de sa ruine. Il est d'ailleurs des espaces infinis où ses principes élémentaires peuvent, en se dispersant, anéantir sa substance égarée. Ce n'est donc pas pour l'âme que sont fermées les portes du trépas. Tu me diras en vain que son immortalité se fonde sur le privilège qui la garantit des efforts de la destruction; affirmeras-tu que ses traits agresseurs n'arrivent point jusqu'à elle, ou qu'ils sont repoussés avant que la douleur nous avertisse de leurs attaques? Mais, outre les maux que l'âme partage avec le corps, quels tourmens l'assiègent sans cesse! l'incertitude de l'avenir, qui la fa |