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l'esprit le plus inconstant, le plus léger, le plus divers. Je l'ai déjà observé, mais il est difficile de ne pas répéter une observation qui se présente si souvent en lisant ce livre.

La partie la plus intéressante du journal de Collé, c'est celle où il rend compte des ouvrages représentés de son temps. Amateur passionné du théâtre, ayant beaucoup d'esprit, du goût, et l'habitude de la scène, pour laquelle il a travaillé lui – même avec succès, il juge ordinairement très-bien et les acteurs et les pièces; il est vrai que tous les acteurs sont morts, et qu'à l'exception de trois ou quatre, Le Kain, Molé, dont Collé vit les débuts, mademoiselle Clairon et mademoiselle Dumesnil, ils n'ont laissé aucune renommée. Il est vrai encore que la plupart des pièces ne sont pas moins mortes et oubliées que les acteurs; mais cependant alors deux grands rivaux, Voltaire et Crébillon, se disputaient la scène. Collé préfère Crébillon; on voit aussi qu'il préfère Corneille à Racine; cette dernière préférence pourrait du moins mieux se justifier. Il appelle les vers brillans de Voltaire des vers luisans. Il critique amèrement Sémiramis, Mahomet, Tancrède, Oreste surtout, qu'il trouve très-inférieur à l'Électre de Crébillon. On peut voir au contraire, dans La Harpe, qu'Oreste est un chef-d'œuvre, et qu'Électre est une rapsodie; et selon l'usage des hommes prévenus et passionnés, La Harpe et Collé ont tort tous deux, en se jetant dans des extrémités opposées; mais avec cette différence, que La Harpe assomme par sa longueur, et que Collé est du moins plus léger et plus court. S'il faut en croire ce dernier, on n'applaudissait aux piè

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ces de Voltaire que parce qu'il achetait tous les billets pour les donner à des applaudisseurs à gage, encore était-il obligé de les exciter de la voix et du geste. On le voyait, dit-il, dans une loge, plonger ses regards perçans sur le parterre, et s'il s'élevait quelque murmure, s'écrier: Arrêtez, barbares! ou si l'on n'applaudissait pas Ah! les barbares! ils ne sentent pas la beauté de cela: Battons des mains, mes chers amis; applaudissons, chers Athéniens! A la première représentation d'Oreste, qui tomba, Voltaire avait fait graver sur les billets les lettres O, T, P, Q, M, V, D. Omne Tulit Punctum, Qui Miscuit Utile Dulci. Un plaisant interpréta ainsi les lettres initiales: Oreste, Tragédie Pitoyable Que Monsieur Voltaire Donne. Collé se plaint, au reste, qu'on ne siffle plus, et il renouvelle souvent cette plainte. « Le public, dit-il, est devenu Mithridate; << à force de lui donner du poison, on l'y a accoutumé. « Dans ma jeunesse on sifflait les pièces qui le méri<< taient, témoin la tragédie de Tibère; j'y étais, et « je sifflai fort bien.» On peut là-dessus s'en rapporter à lui.

Je ne sais si c'est cette haine qu'il porte à Voltaire qui le porte à haïr madame du Châtelet, mais il en dit beaucoup de mal, et s'égaie fort mal à propos, et beaucoup trop plaisamment sur la mort, et surtout sur la cause de la mort de cette grande physicienne.

Collé s'élève fortement contre les drames qui font pleurnicher, et il oublie que Dupuis et Desronais et même, dans quelques scènes, la Partie de Chasse de Henri IV, tendent aussi à faire pleurnicher; il est pourtant constant dans cette doctrine, y revient sou

vent; et à la fin de sa carrière, c'est-à-dire plus de trente ans après avoir exprimé pour la première fois ce sentiment dans son journal, il écrit en note: « Je ne me dédis point de mon jugement sur le genre larmoyant. Admirateur de Molière et partisan de << la bonne comédie, je mourrai dans ces sentimens, «<et je les soutiendrai toute ma vie jusqu'au feu in<«< clusivement...Je n'exige pas non plus que l'on brûle <«<les auteurs dramatiques, tels que Diderot, etc.; << mais leurs drames seulement. » Voilà certes de la modération.

Sous la plume de Collé la satire devient encore plus amère lorsqu'il parle des comédiens : aucun ne lui plaît, aucun ne le désarme il dit peu de bien de mademoiselle Clairon, un peu plus de mademoiselle Dumesnil; mais Le Kain surtout le met en fureur, et l'expression de cette fureur est quelquefois bien plaisante. « Juste ciel! à quoi nous réduis« tu, s'écrie-t-il! C'est un Le Kain, le plus laid, le << plus maussade des comédiens qui est notre premier « acteur! Le seigneur nous humilie cruellement! >> Il n'aime pas beaucoup plus les musiciens : «< Tout « musicien est une bête, » prononce-t-il durement. Cette proposition est trop générale; mais aujourd'hui ces messieurs prennent leur revanche, et ne sont pas éloignés de dire : Tout homme qui n'est pas musicien est une bête, proposition qui n'est pas moins générale, et qui peut-être est tout aussi injuste.

Après les comédiens, ceux que Collé a le plus en aversion, ce sont les philosophes encyclopédistes; il leur fait une guerre qui admet bien peu de trève, et leur reproche vivement leur despotisme, leur

prétention, leur orgueil. «Ils prétendent, dit-il, que l'orgueil accompagne toujours un grand talent; mais ces chers messieurs commencent toujours à bon compte par avoir le grand orgueil. » Il censure trèsjustement quelques-uns de leurs ouvrages, tels que Bélisaire, le livre de l'Esprit ; il leur reproche justement de porter un coup funeste à la gaîté française, dont il était un des derniers soutiens, et même à l'amour de la patrie, en vantant sans cesse les étrangers, et en introduisant un goût qu'il appelle d'étrangéromanie, qui nous empêche de louer ce qui est national, et d'applaudir à nos compatriotes. Mais il faut avouer que sur ce dernier point, il en donne par trop l'exemple. Collé paraît du moins de bonne foi quand il se trompe, et même lorsque dans la mobilité de son esprit il se contredit. Ce qui le prouve, c'est que plus d'une fois il rend hautement justice à ceux qu'il hait le plus, et qu'il réforme plusieurs des jugemens injustes qu'il avait portés. Ainsi on trouvera dans son recueil quelques éloges du talent et de l'esprit de Voltaire, beaucoup plus flatteurs que tout ce qu'en ont dit ses plus aveugles admirateurs. Ainsi Collé ayant jugé dans un moment d'humeur que Beaumarchais était un sot, met en note, quelques années après: « C'est moi qui suis une bête, d'avoir «< jugé Beaumarchais sans esprit. >>

Dans cette longue galerie de portraits, l'homme que Collé peint le mieux, c'est lui-même, puisque souvent même il se peint en peignant les autres; et auteur dramatique, on sent bien qu'il a sa dose de vanité, mais il a aussi ses accès de modestie, ce qui devient de plus en plus rare. Cette modestie

paraît franche, et quelquefois Collé ne s'exprime pas moins durement sur lui que sur les autres : « Je «< croyais, dit-il, en parlant d'une pièce de lui qui « était tombée, je croyais que cette petite pièce ne << pouvait manquer de réussir : je fus bien étonné << d'être le premier à la condamner: elle me paraît « dégoûtante. » Il en appelle rarement des jugemens du public docile à la critique, il consultait sur ses ouvrages des amis qui, selon son expression, n'étaient pas tendres, et il les priait de le critiquer à feu et à sang. Enfin, quand la vanité l'emporte et prend le dessus, elle est du moins gaie et amusante. On prétend qu'un de ses amis voulant un jour l'exciter et le piquer, lui dit : « Savez-vous bien, << Collé, qu'il y a des gens qui préfèrent La Bataille « d'Ivry de du Rosoy à votre Partie de Chasse de « Henri IV?» Ce n'est pas moi, toujours, réponditil vivement. Il y a dans cette réponse irréfléchie une naïveté charmante, et c'est sous de pareils traits que se produit le plus souvent l'amour-propre de Collé.

Mémoires de Marmontel.

ARTICLE PREMIER.

L'impulsion du génie et des talens, l'amour du bien public et des vérités utiles dictent peut-être la millième partie des ouvrages qui paraissent : l'amourpropre et la vanité dictent tout le reste. Ce poète, qui, dans son froid dithyrambe, ou dans son élan pindarique, se prétend embrasé par un feu inconnu, entraîné par l'ascendant irrésistible d'Apollon et des

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