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tresse : son rival veut faire la même offrande et la même galanterie. Indigné de se voir prévenu par Aristide, qui sans doute se levait plus matin que lui, il arrache ce bouquet odieux et y substitue le sien, Aristide, témoin de cette espièglerie, médite un bon tour pour se venger. Le lendemain, il attache son bouquet à l'ordinaire: Thémistocle vient aussi à l'ordinaire pour le détacher; mais Aristide, placé en sentinelle à une fenêtre voisine, lui verse sur la tête un vase plein d'eau ; et quelle eau! On croit bien que les choses n'en restent pas là; mais laissons M. Lantier prendre le pinceau; lui seul est un digne historien de ce grand événement, qu'il appelle une Iliade. « Le vase versé l'inonde des pieds jusqu'à << la tête, et change son allégresse en tribulation. Il « m'aperçoit et monte furieux dans la maison. Je « ne le craignais pas : nous nous élançons l'un sur « l'autre, prêts à nous étrangler. Une lutte vigou« reuse commence. » (On voit comme M. Lantier varie.ses formes.) Enfin, pour abréger, trois bonnes femmes parvinrent, non sans peine, à faire lâcher prise aux deux champions. Telle est, selon M. Lantier, l'origine de la rivalité qui exista toujours entre Thémistocle et Aristide. Assurément personne ne semblait plus à l'abri de pareils travestissemens que Thémistocle, et surtout qu'Aristide. Boileau s'en serait encore plus indigné, que de voir.

Peindre Caton galant et Brutus dameret.

C'est ainsi

que l'histoire devient noble, intéressante, instructive sous la plume de M. Lantier.

Veut-on savoir si, sous cette plume, la morale et

la poésie s'ennoblissent davantage? un scul morceau pourra satisfaire à cette double curiosité, puisque c'est un morceau de morale en vers. Bion mourant s'adresse à son âme, et lui chante cette petite chanson :

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O ma chère áme! ô tout moi-même !
Tu vas descendre chez Pluton.

Que dira-t-on, ombre légère,
Lorsque Minos au noir sourcil,
Demandera d'un ton sévère
Ce que tu fis ou voulus faire,
Quand tu logeais dans ton étui?

Assurément, quoique les poètes grecs s'entendissent très-peu en rime, il est impossible que Bion ait cru que sourcil rimait avec étui. Voici la réponse de l'âme :

Tantôt grave stoïcien (l'âme stoïcien !),
Tantôt élève d'Épicure,

Je fis le mal, je fis le bien,

Mais sans malice.....

Si cette âme fit le bien sans malice, elle le fit aussi d'après les variations du thermomètre.

Suivant le froid, suivant le chaud
Qu'au gré des vents il fait là-haut :
L'homme, hélas! n'est qu'une machine.

De plus encor, comme poète,

J'eus des défauts assez nombreux;

Je fus colère, paresseux,

Rétif, têtu, capricieux.

J'aurais cru que c'était comme homme, et non comme poète, qu'on avait ces défauts-là. Assurément,

si de pareils vers (ainsi qu'un assez grand nombre que je supprime, car la chanson du poête mourant est longue), étaient l'ouvrage de Bion, il aurait dû se reprocher bien d'autres défauts comme poète.

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Encore si tout cela, vers ou prose, aventures romanesques ou événemens historiques, avait le mérite d'être lié avec art, si les transitions par lesquelles on passe d'un récit ou d'une scène à une autre étaient heureuses! mais tantôt c'est Antenor ou un autre interlocuteur qui ressemble à un écolier débitant tout ce qu'il a appris dans le Selectæ è profanis, érudition qu'il renforce de quelques pages de Rollin et de quelques lambeaux des Métamorphoses d'Ovide; tantôt c'est un jeune homme qui raconte à un vieillard ce que celui-ci doit savoir mieux que lui, et ce qui ne doit être ignoré par aucun enfant d'Athènes; tantôt c'est un grave philosophe qui, venant voir Aristippe au lit de la mort, lui fait lecture de ses mémoires sur l'Égypte, lui parle longuement des psylles, sur quoi Aristippe lui demande: « Mais n'y a-t-il pas aussi des crocodiles? Assurément; » et le philosophe entame l'histoire des crocodiles. « N'en aviez-vous pas peur ?

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Non» et ici commencent des détails sur les moyens d'éviter ou de vaincre cet amphibie. Pour reconnaître tant de courtoisie, et n'être pas en reste, Aristippe, mourant, raconte de son côté une aventure galante et quelques petites anecdotes sur Denys le tyran, anecdotes que le philosophe si profond sur l'Égypte ignorait apparemment. Quelquefois c'est Lasthénie qui, pour se consoler du départ forcé de son amant Antenor, recueille soigneusement les anccdotes de société, les bruits de rue, la chronique

scandaleuse d'Athènes, et fait ainsi une longue gazette qu'elle entremêle de tirades philosophiques plus longues encore; le plus souvent ce sont des personnages qui, se rencontrant par hasard, se disent tout simplement, racontez-moi cette histoire, et puis encore, cette autre. Ressource admirable! transition ingénieuse, au-dessous de celle des Mille et une Nuits, dont elle paraît empruntée.

Les Antenors modernes, ou Voyage de Christine et de Casimir en France, pendant le règne de Louis XIV. Esquisse des moeurs générales et particulières du dix-septième siècle, d'après les Mémoires de ces deux ex-souverains, continués par Huet, évèque d'Avranches. Avec cette épigraphe :

Le siècle fut plus grand que son héros.

Le titre de cet ouvrage annonce un roman historique plutôt qu'une Histoire ou de véritables Mémoires; et l'épigraphe annonce dans quel esprit ce roman est composé. On sait que Casimir n'a point laissé de Mémoires: on sait que ce prince, qui s'était montré grand sur le trône, se montra dans la société, après son abdication, doux, aimable, poli, aimant les lettres, les arts, les plaisirs. Paris, la cour de Louis XIV, le siècle immortel auquel ce grand roi mérita de donner son nom, offraient à Casimir tous les objets de ces goûts divers, portés à un degré de perfection qu'auraient admiré les hommes nés dans les siècles et les climats les plus heureux, mais qui dut prodigieusement étonner un Sar

mate, tout à coup transporté des âpres bords de la Vistule sur les rives de la Seine; d'une cour agitée par des orages politiques et des divisions intestines, dans un empire tranquille et florissant; d'une nation plus brave et plus fière que polie et civilisée, dans la patrie des arts et du génie, au sein de la magnificence, du luxe et de la politesse. Charmé de tant d'éclat, de gloire et même de véritable grandeur (car ce fut dans les plus brillantes années du règne de Louis XIV que Casimir vécut en France), reconnoissant envers un roi qui le comblait de bienfaits et l'accueillait avec une magnificence vraiment royale, il est à présumer que s'il eût laissé des Mémoires, ils ne nous sembleraient point écrits avec la plume d'un auteur aigre et chagrin, ennemi du trône, de l'autel, et de toute distinction sociale. Un noble Polonais, un descendant des Jagellons, n'aurait peut-être pas partagé les idées de l'auteur de ces nouveaux Antenors sur l'égalité, ni sa haine contre une noblesse dont le caractère, l'esprit et les manières furent si véritablement nobles dans ce beau siècle. Christine n'a pas laissé plus de Mémoires que Casimir. L'ouvrage que nous avons sous son nom est de M. Arkenholz, qui, avec toute la philosophie et toute la diffusion d'un Allemand, a délayé dans quatre volumes in-quarto un fond assez mince. Enfin Huet n'a point continué des Mémoires qui n'existaient pas ; celui qui parle ici en son nom n'a aucune mission pour cela; et il suffirait de le nommer pour qu'il fût démontré à tous qu'il ne peut y avoir aucune idée commune entre lui et le savant évêque d'Avranches.

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