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littérature latine; mais il juge avec une sévérité qui va jusqu'à l'injustice, l'honneur et la gloire de cette littérature, Cicéron, sur lequel madame d'Épinay lui avait demandé son sentiment; il ne lui rend justice, à mon avis, ni comme homme privé, ni comme homme public, ni comme écrivain. Passionné pour Horace, il s'élève avec raison contre le sentiment du traducteur de Juvénal (Dussaulx ), qui comparait, qui préférait ce poète au favori de Mécène. « Cette traduc« tion, dit-il, pourra m'engager à faire des notes << sur Juvénal; mais ce n'est pas Horace à beaucoup << près. C'est Robé à côté de Voltaire; il a le feu de <«< la criaillerie, il n'a pas la délicatesse du goût. » C'est surtout à l'occasion d'un théâtre français qui venait de s'établir à Naples qu'il parle de littérature française. Ses jugemens sont quelquefois bien étranges. Il décide hardiment que le Père de Famille de Diderot est la meilleure pièce de tout le théâtre français, et par conséquent la meilleure production dramatique de l'esprit humain jusqu'à cette heure; et comme depuis cette heure on n'a rien fait de mieux qu'Athalie et le Misanthrope, il est clair que le Père de Famille reste toujours la meilleure pièce du monde. Galiani regarde aussi Adélaïde Duguesclin comme la meilleure pièce de Voltaire, et un comédien qu'il nomme Busset, comme supérieur à Le Kain. Il faut croire, pour l'honneur de ses dialogues, qu'il se connaissait mieux en commerce des grains qu'en littérature dramatique.

En voilà beaucoup, et peut-être trop, sur l'abbé Galiani; je citerai cependant encore une note comme échantillon des singulières explications de son éditeur,

qui va, comme on dit, chercher midi à quatorze heures, pour expliquer la chose du monde la plus simple: l'abbé Galiani demandant des nouvelles de Paris, fait cette question : « Mademoiselle de Les«< pinasse crie-t-elle toujours à son chien, carreau? » et là-dessus l'éditeur met en note: maladie à laquelle les enfans sont sujets. Mais pourquoi mademoiselle de Lespinasse aurait-elle crié cette maladie à sa chienne? n'est-il pas probable que c'est un ordre qu'elle lui donnait d'aller se coucher sur quelque carreau établi dans un coin du salon? Cette explication est peu ingénieuse et très-simple; mais cela vaut toujours mieux que d'être inintelligible et ridicule. Choix des lettres de Mirabeau à Sophie, avec cette épigraphe :

In nos tota ruens Venus

Cyprum deseruit.

Je ne sais si la réimpression de ces lettres était bien nécessaire, si l'édition ou les éditions antérieures étaient épuisées, si elles manquaient dans la librairie, si le public s'apercevait de leur rareté, s'il les recherchait, s'il les redemandait : pour moi, que la nouvelle publication de cet ouvrage entraîne à en rendre compte, j'avoue que je ne les redemandais point, et qu'il m'eût été infiniment plus commode qu'on ne les réimprimât pas. Je me trouve en effet dans une situation fort embarrassante: je vais parler d'un homme de parti s'il en fut jamais, du seul même qui, par de grands talens, mérita une grande influence parmi tous les hommes de parti qui ont agité la France. Je parle au milieu de la génération qui fut témoin de

ses triomphes et de scs excès, à ceux qui y applaudirent, à ceux qui les abhorrèrent. Comment satisfaire au vif enthousiasme des uns, au vif ressentiment des autres ? J'ai à me défendre de mes propres préventions, et elles sont de plus d'un genre; préventions très-défavorables à l'auteur de ces lettres, trèsfavorables à plusieurs membres de sa famille que j'honore toutes ces préventions, d'une nature si opposée, me dicteront naturellement néanmoins le même procédé, celui d'une critiqué extrêmement douce et indulgente envers l'auteur de ces lettres.

:

Si, pour décider qu'un livre est mauvais, il suffisait de prouver qu'il est le fruit d'une mauvaise action, les Lettres à Sophie seraient bientôt jugées et condamnées unanimement, sans contestation et sans appel; elles n'ont même été écrites et ne sont parvenues jusqu'à nous, que par une suite de mauvaises actions leur origine est due à un des plus coupables attentats contre la morale publique, les principes conservateurs des sociétés, et la tranquillité privée des familles et des citoyens. Leur publication n'a eu lieu que par la violation d'un dépôt et celle de plusieurs secrets qui, intéressant des familles respectables, ne pouvaient être révélés sans leur aveu. Or, loin de donner cet aveu, elles réclamaient avec force contre l'impression de ces lettres : elles demandèrent hautement que le manuscrit auquel elles avaient un droit incontestable leur fût remis; mais à une époque où tant d'autres droits, plus sacrés encore, étaient foulés aux pieds, on ne s'étonne point que celui-là n'ait pas été respecté. Le procureur de la commune de Paris, Manuel, entre les mains de qui ce dépôt

était tombé, le publia donc au mépris de toute justice; de toute honnêteté et de toute bienséance.

De cette violation manifeste des premiers principes de la morale dans l'origine et la publication de ce livre, on est bien tenté de conclure que, moralement parlant, le livre est mauvais, et cette conclusion est aussi vraie qu'elle est naturelle. Sans parler du peu de délicatesse des plaisanteries que Mirabeau fait à sa chère Sophie, et de la liberté de ses expressions dans la peinture qu'il lui présente à chaque instant de son amour, de ses transports, de ses souvenirs, de ses privations, de ses regrets, de ses espérances, on se doute bien que le sujet le plus ordinaire de ses lettres est l'apologie de sa coupable conduite et de celle de son amante. Que dis-je? l'apologie! l'éloge le plus complet, le plus continuel, le plus emphatique. Cette conduite est admirable, héroïque, sublime; on la préconise, on l'exalte, on la divinise; il n'y a de vertu que dans les passions effrénées, et le modèle. de toutes les belles passions est celle d'un homme marié qui séduit une femme mariée, l'enlève à son mari; et avec quelles circonstances encore! du moins on tait les circonstances. Malheur à ceux qui n'admirent point et de telles passions, et leurs effets, et leurs résultats, et les êtres privilégiés qui en sont capables! Ce sont des esprits étroits, des cœurs froids, des âmes faibles et pusillanimes; ce sont surtout des dévots et des dévotes, espèce de gens que l'on hait avec fureur, et contre lesquels s'échappent sans cesse des torrens d'imprécations. On conjure Sophie de ne jamais devenir dévote; mais bientôt on est rassuré contre cette crainte-là. «Toi, dévote,

«< bon Dieu ! s'écrie-t-il; toi, si sensible ! oh! non, « tu ne le seras jamais. » Mirabeau ignore donc que rien ne conduit mieux une femme à la dévotion qu'une vive sensibilité.

à ne

En revanche, il apprend à Sophie en quoi consistent la vertu et l'honneur d'une femme; il lui expose d'abord en s'en moquant, et en termes trop cyniques pour que je puisse les rapporter ici, l'opinion des dévotes, c'est-à-dire de toutes les honnêtes femmes à cet égard, et il ajoute : « Pour Sophie et Ga<«<briel (nom de baptême de Mirabeau), ils pensent que l'honneur d'une femme ne consiste pas << point avoir d'amant, comme la sobriété n'est pas de « se laisser mourir de faim; mais qu'il ordonne de « n'avoir qu'un amant et de l'adorer; que celui de << tous les sexes, est de tenir ce qu'il a promis, d'être « fidèle à ses sermens (lors même sans doute que ces promesses seraient coupables, et ces sermens criminels!..) Voilà notre honneur, notre religion, nos << principes malheur à qui les trouve impudens! « << son âme aride n'est pas faite pour juger la nôtre. »>> Il revient souvent à cette doctrine, et toujours avec les expressions de la plus haute estime de lui-même, de Sophie, et de leur conduite, et celles du plusprofond mépris pour le reste des mortels. «< Viles «< créatures! s'écrie-t-il, qui ne voient pas que l'a« mour, qui est le plus pur et le plus chaste des sen<< timens, comme le plus délicieux et le meilleur, << peut être le seul garant qu'une femme puisse avoir « de ses mœurs!» Et c'est à Sophie, à qui une passion insensée a suggéré le dessein d'abandonner son époux, sa mère, sa famille, tous ses devoirs, pour fuir avee

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