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calmer les fureurs de son terrible mari; elle lui grattait la tête. Frédéric, après avoir raconté ces traits et quelques autres, dit à M. de Bouillé : « Voilà, << monsieur, les grands hommes. » Je suis véritablement piqué de m'être tant arrêté sur Samuel Bernard. J'avoue qu'il aurait mieux valu réserver plus de place pour Frédéric le Grand. Mais je suis obligé de l'abandonner, ainsi que l'intéressant récit de M..de Bouillé, pour faire connaître quelques autres parties de ce recueil.

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Après les conversations, ou parmi les conversations, l'éditeur a placé des lettres de différens correspondans, et toutes également inédites. Les premières sont de Diderot: il les adresse au sculpteur Falconnet. Soit conviction sincère, soit amour du paradoxe, Falconnet dit et écrit à Diderot, qu'à la vérité il ambitionne les suffrages de ses contemporains, ainsi que les louanges et les éloges qu'il peut connaître et entendre; mais qu'il se soucie très-peu - de l'avenir, de la postérité, de la renommée, et de la gloire dans les âges futurs; sentiment qui serait peu honorable chez tout homme, mais qui sèrait incompréhensible chez un artiste enthousiaste de son art, comme paraissait l'être Falconnet, et dont le génie actif, ardent même, avait plus d'une ambition, et voulait s'illustrer dans plus d'une carrière. Diderot s'élève contre cette pensée peu élevée de son ami Falconnet: il en plaisante et s'en indigne tour à tour: ici, il discute et raisonne; là, il s'exalte et s'échauffe, et est tantôt sage philosophe, tantôt orateur éloquent, tantôt enthousiaste bizarre, quelquefois écrivain de fort mauvais goût, mais toujours assez curieux et

assez amusant. Assurément il est passablement ridieule lorsqu'il écrit : « Avez-vous le diable au corps, <<< monsieur Falconnet, de me faire saboter comme un « pot, et d'enfourner dans un courant d'étude ma tête « que d'autres êtres appellent? » Mais il exprime avec chaleur un sentiment moral et généreux, lorsqu'il s'écrie: «< Postérité sainte et sacrée, soutien des << malheureux qu'on opprime! toi qui es juste, toi « qu'on ne corrompt point, qui venges l'homme de « bien, qui démasques l'hypocrite, idée consolante, << éclaire-moi, guide-moi, ne m'abandonne jamais! » Puis il redevient un peu burlesque lorsque, pour piquer d'honneur le sculpteur son ami, il représente cette même postérité s'avançant dans la suite des siècles, et criant toujours: Falconnet! Falconnet!

Voici une anecdote que racontait Diderot, et que je ne crois pas. Un jeune homme vient le trouver, lui remet un manuscrit, en le priant de le corriger; puis il sort, et revient quelques jours après. Le manuscrit était une satire odieuse contre Diderot, « Mon« sieur, dit celui-ci au jeune homme, je ne vous <«< connais point, je n'ai pu vous blesser en rien; ap<< prenez-moi le secret d'une pareille conduite. » Le secret du jeune homme était la misère; il espérait que Diderot lui donnerait quelques louis pour l'engager à supprimer sa satire; mais le philosophe lui donne un conseil plus profitable: « Allez trouver, « lui dit-il, M. le duc d'Orléans qui est à Sainte« Geneviève, et qui me hait parce qu'il est dévot; « dédiez-lui votre satire, et il vous donnera des se« cours. » Le jeune homme trouve le conseil bon, mais ne sait comment faire la dédicace. Diderot le

tire d'embarras : « Asseyez-vous, Asseyez-vous, lui dit-il, et je vais la faire. » Le jeune homme accepte, s'assied, attend, et emporte son manuscrit et sa dédicace. Il va chez le duc d'Orléans, reçoit vingt-cinq louis, et vient remercier le généreux et complaisant philosophe. Diderot assurément eût pu se conduire ainsi; mais le jeune homme ! Cela me paraît impossible..

Aux lettres d'un philosophe enthousiaste et emphatique succèdent les lettres d'un homme du monde très-frivole, et qui veut être exclusivement léger. Le chevalier de Lille, que sa réputation d'homme d'esprit avait introduit dans la très haute société, écrit au prince de Ligne, dont la réputation sous le même rapport est encore mieux établie, et s'est plus long-temps soutenue. Ses lettres ont pour objet les petites anecdotes de la ville et de la cour; elles nous entretiennent des grands seigneurs et des belles dames de cette époque, et s'étendent depuis 1779 jusqu'en 1783. Quel temps ! Quelles moeurs ! Quel langage! Quels hommes ! Quelles femmes ! C'est pitié de voir cette génération se jouer si gaîment, si follement, quelques minutes avant sa destruction, et à quelques pas du gouffre qui va l'engloutir. Les moeurs ne sont pas bonnes, mais le langage est peut-être pire encore, et le goût se corrompt au moins autant que la morale. Des femmes de la plus haute naissance trouvent bon qu'un capitaine d'infanterie les appelle ma bergère, ma bichette; etc. Le prince de Ligne trouve bon qu'il lui écrive des plaisanteries du plus mauvais ton, et quelquefois tout-à-fait cyniques. Il paraît qu'il écrit lui-même du même style; car le chevalier de Lille le prie de se modérer un peu sur

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ce point, parce que ses lettres sont lues par les plus jolies femmes de la cour, qui en rient beaucoup, mais qui rougissent un peu. Dans tout cela il y a de l'esprit, sans doute ce n'est pas l'esprit qui manquait aux hommes et aux femmes de cette époque.

Ce volume, très-varié, comme on voit, dans les élémens dont il se compose, se termine par une lettre non-seulement inédite, mais secrète, que Mirabeau" écrivit peu de mois avant sa mort au roi vertueux et malheureux dont il avait beaucoup contribué à ébranler le trône. Mais ce trône, il voulut le raffermir. La difficulté était grande; le génie de Mirabeau se serait peut-être montré égal aux difficultés. La lettre, grave et noble, dit peu de choses, mais elle en annonce de grandes. Ce n'est que la préface d'une correspondance du plus haut intérêt. Cette correspondance était restée problématique; elle ne l'est plus. M. Barrière en établit la certitude, et en donne l'historique dans une préface qui, comme toutes celles qu'il a répandues dans le volume, n'en est pas un des moindres ornemens ni une des moins agréables lectures.

Souvenirs et Portraits, 1780 1789; par M. de Lévis. Avec cette épigraphe :

Il serait à souhaiter que ceux qui ont été à portée de connaître les hommes, fissent part de leurs observations.

DUCLOS, Cons. sur les Moeurs.

ARTICLE PREMIER.

Peut-on écrire l'histoire contemporaine? Est-il convenable de parler des personnages qui ont mar

qué dans l'ordre politique, qui ont influé sur la destinéedes États, aussitôt après qu'ils ont fermé les yeux à la lumière, devant la génération qui les a connus, et les a jugés le plus souvent avec plus de passion que de justice; en présence de leurs familles non encore consolées de leur perte, et toujours disposées à accuser l'historien d'ignorance et d'injustice? Est-il possible que dans de pareilles circonstances le portrait des personnes soit ressemblant et fidèle, le tableau des événemens impartial et sincère? Un de nos anciens historiens s'excuse de n'avoir pas continué son.ouvrage au-delà du règne de Louis XII: « Pour « ce que, dit-il, ceux qui écrivent l'histoire de leur << temps sont contraints de mentir apertement, et ne «< peuvent hardiment courir en la campaigne de vé« rité, hardiesse et liberté de leur langage. » Plutarque, qui a écrit beaucoup d'histoires, semblerait pourtant décourager de l'écrire, tant il trouve de difficulté, soit à raconter les événemens et à peindre les hommes dont nous sommes séparés par un long intervalle de temps, soit à parler de ceux dont nous avons été les contemporains. « Voilà pourquoi, dit(( il (vie de Périclès, traduction d'Amyot), il est à <«< mon avis bien difficile et mal aysé d'avoir une <<< entière connaissance de la vérité par les monumens « des historiens, attendu que les successeurs ont la «<longueur du temps qui leur brouille et offusque << la nette intelligence des affaires, et l'histoire qui <«<est escripte du vivant des hommes dont elle parle, « et du temps des choses dont elle fait mention, quel«quefois par hayne et par envie, et quelquefois par « faveur et par flatterie, desguise et corrompt la vé

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